Italie
Le renouveau mutuelliste et créatif du communisme
Dans un contexte néolibéral qui atomise les individus et où les organisations politiques et syndicales combatives peinent à fédérer au-delà du microcosme de la gauche radicale, il est utile de regarder les tentatives de renouveau du communisme. Pour sortir de la grisaille associée aux organisations communistes, Potere al popolo couple une grande diversité de modes d’action. Entretien avec le militant Emiliano Zanelli.
Peux-tu présenter brièvement ce qu’est Potere al Popolo? Comment s’est-il construit?
Potere al Popolo est la tentative de créer une organisation communiste capable de renouveler l’héritage de cette tradition politique, de sortir du microcosme de la gauche radicale extraparlementaire et d’avoir un impact réel sur la société.
Ses racines remontent à la dernière vague de mobilisations dans les universités italiennes (2008–2011) et surtout à son échec, qui a mené un groupe de camarades à remettre en question leurs pratiques politiques afin de dépasser les limites du milieu universitaire.
Parmi les étapes suivantes, on peut noter, en 2013, la fondation du collectif Clash City Workers (CCW), qui, à partir de Naples, Florence et Padoue s’organisait dans une dizaine de villes pour mener une activité de soutien aux luttes des travailleur·euses et d’enquête autour des dynamiques d’exploitation sur les lieux de travail ; entre 2014 et 2015, un tour en 80 dates pour discuter avec les forces de gauche sur la base d’un livre écrit par le CCW, Dove sono i nostri? («Où sont les nôtres?», une analyse de la structure de l’économie italienne et une réflexion autour des possibles modes d’organisation pour y lutter) ; l’occupation d’un ancien hôpital psychiatrique judiciaire à Naples en 2015 (connu aujourd’hui comme l’Ex-OPG «Je’ so pazzo»), qui est devenu le cœur du mouvement au niveau national et où nous avons commencé à expérimenter un renouveau du mutualisme ; le festival Potere al Popolo!, qui, en 2017, a réuni à Naples autour de ce mot d’ordre des dizaines de collectifs et groupes politiques.
Finalement, la structure actuelle a été créée à l’occasion des élections de mars 2018. Là, le but était surtout de créer quelque chose qui ne soit pas simplement une liste dissoute comme toutes les autres au lendemain des élections, mais plutôt un projet capable de durer.
Quels sont les principaux modes d’action (travail parlementaire, campagnes électorales, manifestations, désobéissance civile, actions de solidarité à la base, occupations, etc.?) qu’utilise Potere al Popolo et comment vous les articulez ensemble? Y a-t-il des tensions entre ces différents modes d’action que vous utilisez?
L’idée à la base de notre mouvement est que la solidité stratégique et l’ambition révolutionnaire soient couplée avec une souplesse tactique et une créativité au niveau de la manière de militer, avec le but de ne pas se faire enfermer par des contradictions souvent plus abstraites que réelles (notamment autour de la participation à la politique institutionnelle) et de se défaire de la rigidité et de la grisaille souvent associées aux organisations communistes.
On essaie donc d’utiliser une grande diversité de modes d’action: mutualisme conflictuel à travers l’ouverture d’un réseau de «maisons du peuple» dans les quartiers populaires de grandes et petites villes, soutien aux luttes de travailleureuses au-delà du syndicat d’appartenance, participation aux élections (surtout au niveau local), contrôle populaire sur l’action des institutions, organisation de campagnes nationales de mobilisation (par exemple sur le salaire minimum), occupation d’immeubles vides, mobilisations internationalistes… Il faut aussi dire que les modes d’actions peuvent beaucoup changer d’une ville à l’autre, vu la grande autonomie des assemblées territoriales qui constituent l’organisation de base de Potere al Popolo.
L’Italie a une première ministre d’extrême-droite, Giorgia Meloni, dans un contexte global de montée de l’extrême droite. Quelle est l’analyse que Potere al Popolo fait de sa politique et comment s’organise la résistance contre celle-ci ?
L’Italie sert aujourd’hui de laboratoire politique au niveau européen. L’arrivée au pouvoir de Meloni et le virage à droite du cadre politique du continent nous montrent que l’ultradroite peut gouverner en toute sécurité tant qu’elle respecte deux contraintes: la subordination à l’OTAN et l’application de politiques contre les travailleureuses. Sur ces points, la politique de Meloni et de son gouvernement est presque entièrement alignée avec celle des gouvernements de centre-gauche qui l’ont précédé.
Mais face à son apparente toute-puissance, il faut se rappeler que le pouvoir de Meloni repose plus sur un déplacement de voix au sein du centre-droit (de Forza Italia à la Lega et à Fratelli d’Italia), que sur une mobilisation de cette base et une percée dans le bassin du vote ouvrier et populaire, qui, au contraire, alimente de plus en plus le grand réservoir de l’abstention. Cela signifie que le gouvernement compte actuellement davantage sur la passivité des masses que sur leur adhésion: sa force sont la désillusion, la résignation, le désengagement, autant de «sentiments», fondés, sur l’impression que «rien ne change».
Notre réponse doit passer par la réactivation de la participation de masse à la vie politique, en reconstituant les liens sociaux brisés par 40 ans de néolibéralisme et en étant utiles, en tant qu’organisations de gauche radicale, aux classes populaires dans la lutte pour une vie digne et une démocratie réelle.
Le 9 juin ont eu lieu les élections européennes. Est-ce que Potere al Popolo s’est présenté? Quelle campagne avez-vous mené ou qu’avez-vous cherché à mettre en avant à l’occasion de cette échéance?
Non, Potere al Popolo ne s’est pas présenté aux élections européennes. Dans un premier temps, nous avons participé à la création d’une alliance de gauche mais après avoir constaté certaines ambiguïtés du projet (notamment autour de la question palestinienne ou de l’OTAN) nous avons jugé que les conditions n’étaient pas réunies pour y rester.
Néanmoins, nous avons participé à la campagne pour les élections à travers deux actions: l’appel au vote pour Ilaria Salis, militante antifasciste détenue dans les prisons hongroises et candidate sur la liste d’AVS (Alleanza Verdi Sinistra, béquille de gauche du Parti Democrate), et l’organisation d’une manifestation qui a eu lieu le 1er juin à Rome (en même temps que le dernier meeting électoral de Giorgia Meloni) avec le soutien de 70 organisations sociales et politiques – des syndicats de base tels que USB, aux étudiantexs pro-Palestine, en passant par les mouvements écologistes tels que No Ponte, et les avant-gardes de classe telles que les dockers de Gênes – et la participation de 10000 personnes, contrastant avec la place à moitié vide qui a accueilli Meloni.
Propos recueillis par Teo Frei