États-Unis
Nationalisme autoritaire, capitulation démocrate et résistance
Au cours des deux premières semaines de son mandat, le président étasunien Donald Trump s’est lancé, par une pléthore de décrets, dans une transformation autoritaire et nationaliste de la société étasunienne et de son État. Premier point de la situation avec le journaliste Ashley Smith, qui travaille entre (beaucoup d’) autres pour Spectre Journal.

Contrairement à son premier mandat, Trump dispose désormais d’un cabinet loyal, d’un Parti républicain réincarné à son image et d’un programme défini dans le Project 2025 de la Heritage Foundation.
Au cours des deux premières semaines de son mandat, il a signé une pléthore de décrets attaquant les travailleur·ses, les groupes opprimés, les réglementations environnementales et les programmes gouvernementaux. Le Président a également gracié les fascistes condamnés pour l’insurrection du 6-Janvier, suspendu la majorité des aides étrangères et imposé de nouvelles taxes douanières au Mexique, au Canada et à la Chine.
À ce stade, Trump n’a pratiquement pas rencontré d’opposition. L’establishment capitaliste libéral représenté par le Parti démocrate a largement capitulé, les bureaucraties syndicales et les ONG sont sur la défensive. De larges couches de la société sont désorientées, démoralisées et désorganisées.
En conséquence, contrairement à ce qui s’est passé il y a huit ans, il y a peu de protestations contre Trump, qui semble tout-puissant. Mais son gouvernement ne pourra pas instaurer un régime stable en raison de profondes divisions internes, de politiques qui exacerberont les problèmes du pays au lieu de les résoudre. Sa tendance aux excès imposera des politiques profondément impopulaires. Tout cela déclenchera inévitablement une résistance.
Mandat mon cul
Malgré ce que prétendent les médias capitalistes, le nouveau gouvernement de Trump n’est pas soutenu par la majorité du pays. L’ampleur de sa victoire a été exagérée, ce qui renforce son affirmation selon laquelle il aurait obtenu «un mandat» pour mettre en œuvre son programme d’extrême droite.
En réalité, Trump n’a devancé son adversaire que de 1,5% lors de l’une des élections présidentielles les plus serrées de l’histoire. Il n’a même pas réussi à convaincre la moitié des 66% d’électeur·ices qui ont pris la peine de remplir leur bulletin de vote. Il n’a donc obtenu le soutien que de 33% des personnes disposant du droit de vote – 67% n’ont donc pas voté pour lui. Comme le grand Gil Scott Heron le déclamait dans sa chanson B Movie, à propos de l’élection de Reagan en 1980, «mandate my ass» (mandat, mon cul).
En réalité, la base électorale de Trump reste une minorité concentrée dans un secteur dévoyé de la classe capitaliste, en particulier celui de la tech et du capital-risque, investis dans les cryptomonnaies et l’IA, ainsi que la petite bourgeoisie moderne – propriétaires de petites entreprises, sous-traitant·es et cadres moyen·nes. Cela dit, Trump a obtenu des gains dans des secteurs de la classe ouvrière, y compris auprès des populations noires et latinos, en particulier celles et ceux qui ont été frappé·es par la mondialisation, les restructurations et l’austérité.
Le président a galvanisé ces personnes derrière son mélange frelaté de nationalisme «America First», de conservatisme d’extrême droite, de néolibéralisme, d’austérité et de protectionnisme. Le gouvernement actuel est de loin le plus à droite de l’histoire moderne des États-Unis, et il vise à mettre en œuvre une restructuration radicale et autoritaire du pouvoir et de la société.
Blâmer les démocrates, pas le peuple
La responsabilité de la victoire de Trump incombe au principal parti du capitalisme et de l’impérialisme étasuniens: les Démocrates. Ce parti, et l’establishment républicain déchu, avaient conjointement perpétué l’hégémonie des États-Unis dans la mondialisation libre-échangiste, l’imposant par leur puissance militaire contre toute résistance, tous rivaux et autres «États voyous».
Le prix de ce projet impérialiste a été payé par les travailleur·ses et les opprimé·es du monde entier. Aux États-Unis, l’inégalité de classe a explosé, la pauvreté s’est accrue et l’oppression structurelle s’est aggravée, en particulier à l’égard de la classe ouvrière noire et latino. Ces développements ont entraîné des vagues de lutte sociale et de classe aux États-Unis ainsi qu’une polarisation politique.
Alors que Trump a réussi à prendre le contrôle du Parti républicain, Joe Biden et l’establishment du Parti démocrate ont neutralisé et coopté le courant réformiste interne de Bernie Sanders. En tant que président, Joe Biden a tenté d’instaurer un programme de keynésianisme impérialiste pour reconstruire la puissance industrielle étasunienne, renforcer son hégémonie sur le soi-disant «ordre international fondé sur des règles» communes contre ses rivaux, la Chine et la Russie, et mettre en œuvre de modestes programmes d’emploi et des réformes sociales pour réduire les inégalités.
Mais il n’a pas réussi à atteindre ses objectifs. Sa politique industrielle était modeste, sa décision de soutenir la guerre génocidaire d’Israël contre la Palestine a totalement discrédité Washington et son «ordre international fondé sur des règles» et ses réformes sociales n’ont pas passé le Congrès. Incapable de renouveler les mesures de lutte contre la pauvreté, il a géré l’austérité, tandis que l’inflation faisait grimper le coût des produits, de l’épicerie au logement.
Les démocrates étaient donc condamné·es à la défaite. Après que la sénilité a forcé Biden à se retirer du ticket, sa remplaçante Kamala Harris a mené une campagne de droite qui s’est appuyée sur l’establishment républicain, militaire et le patronat, qui l’a gratifiée de plus d’argent que Trump. Sa principale stratégie consistait à s’assurer les votes des électeur·ices riches et centristes des zones périurbaines.
Sa campagne s’est tellement aliénée la classe ouvrière multiraciale que celle-ci ne s’est pas présentée en nombre suffisant au moment du vote, et les riches périurbain·es n’ont pas pu combler cette perte. En conséquence, Harris a obtenu 6 millions de voix de moins que Biden en 2020, ce qui a fait basculer l’élection en faveur de Trump.
Édifier un État autoritaire
Malgré leur triomphalisme affiché, Trump et ses collaborateur·ices sont conscient·es de la faible marge de leur victoire et de leur manque de soutien populaire. Il leur faut donc mettre en œuvre leur programme avant les élections de mi-mandat, dans deux ans, lors desquelles les démocrates reprendront probablement le Congrès.
Iels agissent donc rapidement pour transformer radicalement l’État et l’économie étasunienne, ainsi que la position du pays au sein du capitalisme mondial. Aujourd’hui, Trump est confronté à moins de garde-fous qu’il y a huit ans. Il a transformé le Parti républicain en parti d’extrême droite. Ses élu·es au Congrès sont des exécutant·es soumis·es et la Cour suprême est remplie de juges de droite qui lui ont accordé une immunité générale.
Donald Trump veut attaquer les normes constitutionnelles, édifier une présidence plus autoritaire, transformer la bureaucratie fédérale en arme loyale contre ses opposant·es, à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Il a déjà rétabli le reclassement des certain·es fonctionnaires afin de faciliter le licenciement de celles et ceux qu’il considère comme déloyaux·ales. Il a suspendu toutes les subventions et aides fédérales aux institutions et agences du pays [«le temps de s’assurer qu’elles sont conformes aux politiques définies dans les décrets du président», ndt]. Ces deux mesures ont été jugées inconstitutionnelles par les tribunaux.
Dans le cadre de cette transformation de l’État, Trump a nommé le milliardaire adepte du salut nazi Elon Musk à la tête d’un nouvel organe consultatif, le Department of Government Efficiency (DOGE) (département de l’efficacité gouvernementale [dont les initiales forment le nom de sa cryptomonnaie, ndt]). Il est chargé de restructurer le gouvernement, de supprimer des programmes, de licencier des travailleur·ses et d’investir dans la haute technologie pour accroître la productivité de la main-d’œuvre restante.
L’État comme machine de guerre
Trump a déjà licencié des fonctionnaires et appelé deux millions d’employé·es fédéraux·ales à la «démission volontaire». Il a également signé un décret qui révoque le droit du sol, bloqué par les tribunaux car contraire à la Constitution.
Sans se laisser décourager, il a lâché les agent·es de l’agence de contrôle des frontières dans tout le pays pour mener des raids afin d’arrêter et expulser les migrant·es «criminelles» et a même menacé d’héberger 30000 expulsé·es dans les camps de Guantanamo Bay, à Cuba. Il a signé des décrets visant les personnes trans, les militant·es solidaires de la Palestine et les programmes pour la diversité, l’équité et l’inclusion (DEI) qui luttent contre les discriminations raciales et de genre.
Trump a également annulé une grande partie des timides réglementations environnementales du gouvernement Biden, ouvrant le pays aux forages et à la fracturation. Il a retiré les États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat et mis fin aux subventions pour les investissements capitalistes verts. Et pour satisfaire les propriétaires de petites entreprises, qui n’ont pas décoléré depuis les fermetures dues au Covid qui avaient menacé leurs affaires, il a retiré les États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé, nommé le crétin antivax Robert Kennedy Jr à la tête du ministère de la santé et des services sociaux et réintégré les soldat·es renvoyé·es pour avoir refusé la vaccination Covid.
Agressivité unilatérale
En matière de politique étrangère, Donald Trump a remplacé la stratégie impérialiste de Washington, qui consistait à superviser le capitalisme mondial, par la doctrine nationaliste de l’«America First». Sa stratégie n’est ni plus favorable à la paix, ni isolationniste; c’est une stratégie d’agression unilatérale visant à imposer des deals, tant avec des amis et que des ennemis, sous le seul angle du bénéfice qu’il juge que les États-Unis peuvent en retirer.
Ainsi, il a menacé d’annexer le Groenland pour s’assurer que les États-Unis, plutôt que la Chine et la Russie, contrôlent les routes maritimes cruciales qui traversent l’Arctique en dégel. Il veut reprendre le canal de Panama pour contrer l’influence croissante de la Chine sur celui-ci. Il a publiquement soutenu l’aspiration d’Israël à un nettoyage ethnique de Gaza. Et il a l’intention de conclure un accord avec la Russie dans le dos de l’Ukraine, en bradant sa lutte pour l’autodétermination.
Dans le cadre de cet abandon du rôle hégémonique historique de Washington, il a suspendu toute aide étrangère, sauf à Israël. Cela a entraîné l’arrêt de programmes vitaux de lutte contre la faim et la maladie et a bloqué l’aide à l’Ukraine, affaiblissant sa capacité à répondre aux besoins de sa population et à se défendre contre l’impérialisme russe.
Enfin, Trump a commencé à mettre en œuvre son programme protectionniste en menaçant d’imposer des droits de douane de 25% au Mexique et au Canada, ainsi qu’une augmentation de 10% envers la Chine. Avec d’autres droits de douane à venir, Trump va accélérer l’éclatement de la mondialisation telle que nous l’avons connue et exacerber les rivalités impériales et régionales.
Où est la résistance?
À ce stade, il n’y a guère d’opposition organisée au régime Trump. Pourquoi? Tout d’abord, le Parti démocrate, après avoir affirmé durant la campagne que Trump menaçait d’introduire le fascisme aux États-Unis, a jeté l’éponge, assurant ainsi sa transition en douceur vers le pouvoir.
Au mieux, les démocrates contestent les décrets de Trump devant les tribunaux. Mais, dans l’ensemble, iels capitulent, confirmant ses nominations, y compris le faucon néoconservateur Marco Rubio, sans un seul vote dissident au Sénat. Iels cherchent plutôt des moyens de collaborer et gardent toutes leurs cartouches pour les élections de mi-mandat.
Les syndicats et les ONG ne sont absolument pas préparés à monter une opposition. Au cours des quatre dernières années, leurs bureaucraties ont essentiellement démobilisé les luttes, de Black Lives Matter à la Women’s March, pour se tourner vers un travail de lobbying envers le gouvernement Biden.
L’ancien président et les démocrates les ont soit cooptés, se contentant de répondre du bout des lèvres à leurs revendications, tout en mettant en œuvre leurs propres politiques, soit ils les ont réprimés, par exemple en brisant la grève des cheminot·es ou en criminalisant les manifestations pour la Palestine. Finalement, les responsables syndicaux·ales et les bureaucrates ont gaspillé le temps, l’argent et l’énergie de leurs membres dans une tentative désespérée et infructueuse de faire élire Harris.
Cet échec a démoralisé, désorienté et démobilisé l’opposition à Trump. En conséquence, les manifestations organisées à l’occasion de son investiture ont été minuscules par rapport à huit ans auparavant. La People’s March a rassemblé jusqu’à 1 million de personnes à Washington en 2017, contre au mieux 15000 cette année.
Conflit au palais
Mais personne ne doit confondre l’absence de protestation avec un soutien populaire à Trump et à ses politiques. En effet, 48% des gens désapprouvent sa présidence, et seulement 47% l’approuvent, un niveau remarquablement bas pour un président nouvellement élu.
Les militant·es syndicaux·ales et les activistes des mouvements sociaux commencent à organiser des campagnes de défense contre les licenciements, les coupes dans les programmes et les attaques contre les groupes opprimés, en particulier les migrant·es. Ces campagnes deviendront les éléments constitutifs des contre-offensives à venir.
Et il ne fait aucun doute que Trump en provoquera. Sa coalition est de fait un amalgame de fractions de classe et de factions politiques aux intérêts et aux programmes contradictoires. Les milliardaires de la tech, les propriétaires de petites entreprises et les sections de la classe ouvrière qu’il a attirés lors de l’élection ne partagent pas les mêmes intérêts.
De plus, son gouvernement est composé de trois factions aux programmes politiques totalement différents: les conservateur·ices traditionnel·les, les patron·nes néolibéraux·ales de la tech et les nationalistes MAGA. Ces factions sont en désaccord sur tous les sujets, des taxes douanières à la sécurité sociale. Steve Bannon, ex-leader de l’aile MAGA, a déjà dénoncé Musk et ses acolytes comme des «oligarques techno-féodaux» et s’est engagé à «briser ces types».
Pour l’instant, toutes les factions sont loyales, espérant que leur dirigeant les écoutera et adoptera leur politique. Trump est donc coincé et doit jouer l’équilibriste. Trop pencher dans une direction ou l’autre pourrait les faire s’écrouler cette fragile unité.
Plus important encore: Trump n’a pas de solution aux griefs de la vaste majorité. De fait, il ne fera qu’aggraver leurs problèmes, en exacerbant les inégalités sociales et de classe par des réductions d’impôts pour les riches, des licenciements de fonctionnaires et l’annihilation des programmes sociaux et environnementaux.
Il intensifiera également les problèmes systémiques du capitalisme étasunien, qui sont à l’origine de la colère populaire. Par exemple, ses taxes douanières et ses déportations massives feront grimper l’inflation et pourraient déclencher une récession, ce qui attisera l’opposition à son régime.
Excès et résistance
Enfin, dans sa course effrénée pour mettre en œuvre son programme avant les élections de mi-mandat, Trump dépassera les bornes et provoquera une opposition massive. Déjà, son ordre de suspendre toutes les subventions et aides fédérales, qui a tout bloqué, de Medicaid aux prêts étudiants, a provoqué l’opposition des universités, des ONG et de l’opinion publique, ce qui l’a conduit à l’annuler, pour l’instant.
Il est difficile de prédire ce qui déclenchera la résistance, mais elle surviendra. Les travailleur·ses, les opprimé·es et les étudiant·es qui ont connu des vagues de lutte sociale et de classe, d’Occupy à Black Lives Matter, en passant par les grèves, illégales, des enseignant·es dans les États républicains, les manifestations de masse pour le climat et les manifestations de solidarité avec la Palestine, ne resteront pas longtemps silencieux·ses.
Les excès de Trump transformeront à un moment donné le feu souterrain des campagnes défensives en un feu follet de résistance. Pleinement conscient de cela, il a promis d’utiliser non seulement la police, mais aussi l’armée et les émeutier·es qu’il a libéré·es de prison pour réprimer les manifestations et les grèves.
Pour l’instant, la gauche étasunienne doit mettre en place des campagnes défensives contre les attaques visant les travailleur·ses et tous les groupes opprimés et organiser de nouvelles infrastructures démocratiques pour la résistance – des groupes de base dans les syndicats et de nouvelles organisations et coalitions ouvertes. Et nous devons plaider pour que ces dernières restent politiquement indépendantes et engagées dans la lutte pour leurs revendications, quel que soit le pouvoir en place.
Enfin, la gauche doit commencer le dur travail de construction d’un nouveau parti de travailleur·ses et d’opprimé·es pour défier à la fois le Parti républicain d’extrême droite de Trump et le Parti démocrate de l’establishment capitaliste afin de leur disputer le pouvoir dans les urnes, dans les communautés et, surtout, sur les lieux de travail. Notre tâche est d’aider à mener ces luttes vers un combat pour une société et un monde qui donne la priorité aux personnes et à l’environnement.
Ashley Smith
Traduit par la rédaction