Irak: contre l'occupant US, la résistance populaire s'organise
Irak: contre l’occupant US, la résistance populaire s’organise
Nous reproduisons ici une interview du cheikh Jawad Khalisi, membre du Congrès de la Fondation Nationale Irakienne (CFNI), par Herbert Docena*. Il a été réalisé en marge du récent Forum Social Mondial de Porto Alegre au Brésil. Le Cheikh Jawad al-Khalisi, docteur influent de la foi chiite, est Secrétaire général du CFNI. La madrasa (école religieuse) qu’il administre, un modeste complexe voisinant des rues étroites et boueuses, des vieilles maisons ornées de balcons de style arabe et des bazars, a la réputation d’être le lieu de naissance historique de la résistance contre l’occupation britannique dans les années 1920. Maintenant, elle est devenue aussi le lieu des réunions ordinaires du CFNI.
Le 19 mars de l’an passé, à la veille du premier anniversaire de l’invasion de l’Irak, des milliers d’Irakiens chiites ont défilé à partir de leur mosquée, dans le quartier de Khadamiya à Bagdad. Ils sont passés devant une base états-unienne et ont traversé le Tigre. Là, ils ont retrouvé des milliers d’Irakiens sunnites qui défilaient à partir de leur propre mosquée, dans un autre quartier, pour les rejoindre.
Cette démonstration d’unité était organisée par des groupes liés au Congrès de la Fondation Nationale Irakienne (CFNI), une large coalition de forces politiques, que certains voient comme un possible noyau pour l’émergence d’un front uni contre l’occupation. Fondé en mai 2004, le CFNI est un groupe qui chapeaute des activistes de gauche, nationalistes et islamistes de diverses tendances, qui se sont opposés au régime de Saddam et ont refusé de participer à une quelconque instance politique instaurée par les Etats-Unis. La qualité de membre du Congrès est ouverte à tous ceux qui souscrivent à ses bases minimales d’unité: un appel sans équivoque au retrait des troupes d’occupation et l’opposition à toute forme de division du territoire irakien et des peuples sur une base religieuse ou communautaire.
Parmi ses membres, on trouve le Dr. Muthana Harith al Dhari de l’Association des Oulémas musulmans, le plus grand réseau du clergé sunnite d’Irak, l’Ayatollah Ahmad al Baghdadi, dirigeant religieux chiite basé à Nadjaf, et Wamid Nadhmi, membre de l’Université de Bagdad, qui est le porte-parole du groupe. Le mouvement d’Al-Sadr a un représentant au secrétariat général.
Conscient de la stratégie des occupants consistant à fomenter des conflits communautaires, le CFNI est un projet délibéré de rassembler les musulmans chiites et sunnites, les Arabes, Kurdes, Turkmènes, Assyriens et autres minorités. Le CFNI a condamné les offensives menées par les USA tant contre la ville à majorité chiite de Nadjaf que contre la ville à majorité sunnite de Falloudja. Il s’est aussi employé à désamorcer les tensions communautaires très vives à Kirkouk et Mossoul.
Affirmant ne pas avoir de branche armée, le CFNI supporte explicitement le droit des Irakiens de résister «par tous les moyens nécessaires», même s’il a condamné les décapitations, les prises d’otages et la mort de non combattants.
Parlez-nous du Congrès de la Fondation Nationale Irakienne.
Après l’invasion, les forces d’occupation ont occupé l’Irak militairement, économiquement et politiquement. L’Etat irakien a été détruit. Dans un premier temps, le peuple irakien a été choqué. Il était nécessaire d’initier un projet national afin d’unifier toutes les forces opposées à l’occupation. C’est la raison principale pour laquelle nous avons participé au Congrès de Fondation. En fait, nous pensions à ce projet avant l’invasion. Nous avons projeté de transformer ce projet, en réalité, après l’arrivée des forces d’occupation.
Vous avez eu une conférence de fondation en mai 2004. Que s’est-il passé depuis?
Petit à petit, le Congrès est devenu la principale force représentant l’opposition à l’occupation. Elle utilise différentes formes. Nous n’avons pas de contact direct avec des groupes militaires de la résistance, mais ils nous envoient des lettres et messages. Ils considèrent le CFNI comme leur structure politique et défendent les positions politiques pour lesquelles combattent les groupes de résistance.
Pour vous donner un exemple de l’efficacité et de la représentativité du Congrès, lorsque le représentant spécial des Nations Unies, Lakhdar Brahimi, est venu en Irak, il a rencontré de nombreuses forces irakiennes, dont le CFNI, car il nous considère comme le principal porte-parole de l’opposition en Irak. En ce qui concerne les élections, un appel au boycott est venu du Congrès.
En dehors de l’Irak, nous entendons parler de nombreux groupes qui affirment représenter la résistance. Qu’est-ce qui vous permet de dire que vous êtes la structure politique qui défend les positions de la résistance?
Nous ne disons pas que nous sommes le visage politique de la résistance. Premièrement, nous sommes une structure politique; nous n’avons pas de branche militaire. Mais des groupes de résistance que nous ne connaissons pas disent que les positions exprimées par le Congrès représentent toute l’opposition en Irak armée et non armée. D’autres groupes politiques ont peut-être des relations avec la résistance, mais je pense que nos positions politiques représentent le consensus national irakien.
Quelles sont les principales revendications politiques du Congrès?
Nous avons élaboré un programme politique et tous ceux qui veulent nous rejoindre doivent accepter les points de la déclaration du programme. Premièrement, nous exigeons le retrait immédiat des forces d’occupation et le retour complet de la souveraineté en Irak. Deuxièmement, nous insistons sur l’unité du territoire irakien. Troisièmement, nous soutenons la légitimité de résister à l’occupation par tous les moyens nécessaires. Et quatrièmement, nous refusons toute division du peuple irakien sur une base religieuse ou communautaire.
Vous appelez à un retrait immédiat des forces d’occupation. Que dites-vous à ceux qui arguent que les troupes ne devraient pas encore être retirées car ce serait le chaos si les troupes s’en vont?
Nous craignons aussi un vide politique en Irak. Lorsque nous disons «retrait immédiat des occupants», nous savons que ça n’arrivera pas en un seul jour. Mais il est nécessaire d’établir un calendrier. Durant la période d’intervention, la police et l’armée irakiennes peuvent être développées. Dans tous les cas, nous ne nous attendons pas à ce que les choses empirent beaucoup lorsque les troupes d’occupation quitteront l’Irak par rapport à ce qui se passe maintenant. Ce qui arrive aujourd’hui est si mauvais, qu’après le retrait des forces d’occupation, la situation ne pourrait être pire.
Quid de ceux qui disent qu’il y aura une guerre civile après le retrait des troupes?
Ils essayent de légitimer une longue occupation par les Etats-Unis. Ils sont des marionnettes des Américains.
Les membres de l’administration US disent toujours que les combattants contre l’occupation sont des «forces anti-irakiennes» ou des «Baasistes jusqu’au-boutistes» ou
L’armée US dit avoir capturé 1065 personnes à Falloudja. Parmi elles, ils n’ont trouvé que 25 non Irakiens. Tous les autres étaient Irakiens. La résistance est une résistance irakienne une résistance populaire qui fait maintenant tache d’huile. Parmi les groupes de la résistance, il y a d’anciens officiers de l’armée qui utilisent leur expertise pour aider la résistance. Mais le principal courant idéologique à l’intérieur de la résistance est un courant islamique modéré et populaire pas baasiste. Il est populaire, patriotique et islamique.
Que voulez-vous dire par «populaire islamique»?
Cela signifie que les gens en Irak pas nécessairement ceux qui sont organisés ou ceux qui appartiennent à des groupes politiques organisés se battent contre l’occupation de leur propre initiative et ils ont généralement un mélange de motifs religieux et patriotiques pour cela. Les forces américaines dominent la nation irakienne et ont également un projet qui menace l’identité religieuse de l’Irak. Le motif religieux est aussi très fort, car les personnes qui combattent des forces militairement supérieures ont davantage de forces lorsqu’elles ont une conviction religieuse, qu’elles combattent contre l’oppression, et que lorsqu’elles mourront, elles iront au ciel.
Il y a des personnes dans le mouvement anti-guerre, à gauche mais aussi à droite, qui s’opposent à l’occupation et disent que nous ne devrions pas soutenir la résistance car elle est dirigée par des Baasistes et des «fondamentalistes», et que nous ne devrions pas leur permettre de s’emparer de l’Irak lorsque les Etats-Unis s’en iront.
Ce sont les forces d’occupations qui diffusent cette opinion. Comme l’a dit un député français, il y a quelques mois, la résistance irakienne est comme la résistance française: un jour elle vaincra les forces d’occupation et prendra le pouvoir en Irak.
Lorsque je dis «courant islamique» à l’intérieur de la résistance, je veux dire un courant islamique modéré. Ce n’est pas le courant islamique dépeint dans les médias. C’est un courant qui défend sa propre culture et sa propre nation mais n’est pas hostile à l’égard d’autres cultures et d’autres nations. Il n’est pas hostile envers le peuple américain mais est opposé au projet de domination états-unienne dans notre région et dans le monde.
Dans quelle mesure les fidèles de Saddam et les «islamistes durs» sont-ils engagés dans la résistance?
Je crois qu’ils ne représentent que 5 à 10% de la résistance. De cette fraction, les «islamistes durs» sont la majorité. Les partisans de Saddam ont une faible participation. Cependant, certains baasistes qui participent à la résistance et à l’opposition politique à l’occupation ne sont pas des fidèles de Saddam. Ils tiennent Saddam pour responsable de ce qui s’est passé. Ils sont toujours attachés à l’idéologie politique du parti Baas mais ne sont pas partisans de Saddam. Ils ne veulent pas le voir revenir au pouvoir. D’autres ont abandonné l’idéologie du Baas et sont contre l’occupation.
Maintenant, le principal centre d’intérêt en Irak est de combattre contre l’occupation. C’est maintenant une question fondamentale qui transcende les différences idéologiques et politiques.
A quel point les groupes de la résistance sont-ils divisés et quelles sont les chances de former un front uni contre les forces d’occupation?
La condition de l’Irak sous occupation ne permet pas la formation d’un front uni actuellement. Dans une seule zone, vous trouverez parfois six ou sept groupes de guérilla formés par la population pour combattre l’occupation mais qui sont indépendants les uns des autres. Parfois, des problèmes surgissent parmi ces groupes. Après un an et demi d’expérience, nous constatons la combinaison de différents groupes et nous pensons que ce rassemblement se renforcera dans les mois à venir.
L’opération à Mossoul il y a deux mois, et l’opération de la semaine passée lorsqu’un hélicoptère américain a été abattu et 31 soldats ont été tués signifie que nous vivons des sauts qualitatifs dans la lutte armée.
Est-ce que les groupes de résistance ont le soutien des Irakiens ordinaires?
Le principal soutien des actions de résistance est donné par des gens ordinaires.
Le CNFI disait à l’origine qu’il participerait aux élections du 30 janvier. Cependant, à la fin, vous avez décidé de les boycotter. Pourquoi?
Nous disions que nous allions participer aux élections si elles étaient honnêtes et légitimes. Nous avions des conditions et nous les avons exprimées dans des documents que nous avons envoyés aux Nations Unies, au Washington Post et au New York Times. Nous espérions que la commission électorale les prendrait en compte. Mais parce que la commission n’est pas indépendante, ça n’a pas été le cas.
L’une de nos conditions était un arrêt de toutes les agressions militaires contre le peuple irakien. Lorsque les Américains ont attaqué Falloudja, cela a été suffisant pour nous amener à refuser toute participation aux élections.
Mais il y a aussi des personnes qui justifient leur participation aux élections en disant qu’ils n’ont participé que parce que c’était la meilleure manière de mettre fin à l’occupation.
C’est également notre point de vue, mais à condition que les conditions pour de réelles élections existent. Des élections à la manière dont les Américains veulent les voir organisées servent à soutenir l’occupation.
L’Alliance Irakienne Unie, par exemple, a dit que lorsqu’elle gagnerait, elle appellerait à un calendrier de retrait.
Les jours à venir montreront s’ils respectent leur promesse.
* Herbert Docena est associé de recherche à Focus on the Global South, un centre de recherche et promotion politique basé à Bangkok. Traduction de notre rédaction.