Médiocre bilan social de la gauche en Amérique du Sud
Médiocre bilan social de la gauche en Amérique du Sud
La presse européenne sétonne: lAmérique
du Sud ne serait pas condamnée
par nature à la dictature militaire et elle pourrait même connaître,
comble dexotisme, un gouvernement de gauche. À regarder de plus
près le bilan social de ces exécutifs, comme le fait larticle
de Marcela Valente, on nest pas loin de conclure que le caractère «de
gauche» de ces gouvernements est davantage un produit dexportation
quune réalité nationale.
Les nouveaux gouvernements se
sont imposés de maintenir léquilibre
des comptes, daccomplir ponctuellement les engagements extérieurs
et dattirer des investissements en accordant de solides garanties. Mais
les électeurs espèrent aussi la mise en uvre des promesses électorales
sur le combat contre la pauvreté et le chômage et en faveur dune
répartition plus équitable de la richesse dans la région
la plus inégalitaire du monde. Pour le sociologue Atilio Borón,
secrétaire exécutif du Conseil latino-américain des sciences
sociales (CLACSO), le défi «suppose un changement dans le
paradigme de politique économique que, jusquà présent,
les pays nencouragent pas. Lexpérience la plus décevante
de toutes est celle du Brésil»
Brésil
La gestion du Parti des travailleurs na pas obtenu les
résultats
attendus en matière dactivité économique et de
création demplois. Lula peut mettre en avant quelques réalisations.
La Fondation Getulio Vargas de Río de Janeiro a signalé au début
de ce mois que la misère a diminué de 27,26% à 25,08%
de la population en 2004. Cela signifie que sont sortis de lindigence
plus de trois millions de personnes, soit 8 % des 40 millions qui étaient
indigents en 2003. Le salaire minimum a augmenté de 9% cette année,
et le programme de «bourses pour les familles» (une aide pour les
familles pauvres) a touché 6,57 millions de foyers en 2004; et lobjectif
est den atteindre 8,7 millions en 2005 et 11,2 millions à la
fin de la période de Lula, en décembre 2006. Mais la politique économique
de Lula est basée jusquà présent sur un ajustement
excessif des dépenses pour assurer le paiement des dettes et sur des
taux dintérêt élevés pour combattre linflation,
combinaison de mesures qui nest en rien nouvelle et qui engendre des
effets récessifs.
Argentine
Après une dure crise en 2001, la population vivant dans la
pauvreté avait
largement dépassé les 50%, pour se réduire durant les
deux dernières années à 40%. Mais pour lessentiel,
le gouvernement «sest maintenu dans les règles strictes
du Consensus de Washington, sans changement dans lorientation de la
politique économique», a-t-il ajouté1. Selon Borón,
un changement de fond en Argentine impliquerait que lon aille vers une
réforme fiscale qui rendrait le système moins régressif.
Il a cité comme exemple: «Vendre une voiture modèle
1985 génère une obligation fiscale, mais vendre une entreprise
de 15000 millions de dollars, non.» Ce système, qui
ne touche pas à la rente financière, a été hérité de
la gestion de Carlos Menem (1989-1999). Dans cette période, on a mis
pleinement en pratique le modèle néolibéral dans une des
versions les plus orthodoxes de la région. «Lactuel
gouvernement maintient cette même structure dimposition»,
a signalé le sociologue.
Chili
Borón a considéré aussi comme «une frustration» le
résultat de la gestion du socialiste Ricardo Lagos au Chili. Lagos sapprête à finir
son mandat avec un haut niveau de popularité2. Toutefois, pendant son
administration, «il y a eu progrès économique» mais
pas réduction de linégalité. La coalition de centre
gauche qui gouverne le Chili depuis 1990 nest pas arrivée à renverser
linégalité sociale laissée par le régime
militaire. «Le Chili était un des pays les plus égalitaires
dAmérique latine avant la dictature dAugusto Pinochet
(1973-1990) et il sest transformé maintenant en lun
des plus inégaux de la région», a déclaré Borón.
Toutefois, le Chili a pu réduire la pauvreté de moitié,
en la faisant baisser de 38,5% de la population en 1990 à 18,8% en cette
année 2005, tandis que lindigence a été diminuée
de 12,9 à 4,7% dans la même période. Il est le premier
pays latino-américain à atteindre le premier des huit objectifs
de développement du millénaire. Le politologue argentin Rosendo
Fraga, directeur du Centre détudes pour la nouvelle majorité,
a indiqué que «le Chili a fait baisser la pauvreté,
mais il est certain quil na pas progressé de manière
significative en matière dinégalité.» (
)
Uruguay
et Bolivie
En mars est arrivé au pouvoir en Uruguay le premier gouvernement
de gauche de son histoire. Son président, Tabaré Vázquez,
a mis en marche un vaste programme social pour combattre la pauvreté et
lindigence, dont a été chargé le nouveau ministère
du développement social. Pendant ce temps, en Bolivie, le paysan Evo
Morales a remporté les élections de ce mois de décembre,
dans un triomphe sans précédent pour un dirigeant indigène. «Il
semble que Morales soit quelquun de très cohérent et quil
parvienne à réaliser des avancées sur le terrain social,
soutenu par un fort mouvement populaire», a estimé Borón.
Selon ce dernier, le gouvernement dHugo Chávez au Venezuela «essaye
un nouveau schéma économique, social et politique» qui
suppose que lon sorte «du Consensus de Washington. Le chemin
suivi est important, mais il nest pas fait pour être imité.
Les changements doivent correspondre à des processus originaux propres à chaque
pays» a-t-il estimé.
Une volonté politique absente
Pour José Luis Coraggio, économiste
et expert dans les politiques sociales, «il ny a pas de raison» pour
quun
gouvernement qui gère avec prudence les comptes publics se voie empêché dadopter
des mesures qui permettent de réduire la pauvreté et de procéder à une
plus juste répartition de la richesse. «Cest un problème
de volonté politique», a-t-il remarqué. «Dans
nos pays, il y a une capacité contributive, mais il y a beaucoup dévasion,
et, pour changer cela, on manque beaucoup de volonté», a
indiqué Coraggio.
Marcela VALENTE
Cet article a été publié par le réseau de solidarité ave
lAmérique latine RISAL; Source: Inter Press Service (www.ipsonoticias.net);
Traduction: Diffusion de linformation sur lAmérique latine:
(www.dial.-infos.org). Adaptation: ds.
- Le Consensus de Washington a consisté en
un ensemble de politiques dajustement structurel formulées dans
des programmes de la Banque mondiale, de la Banque interaméricaine de
développement et du Fonds monétaire international, entre autres
institutions, à partir des années 80. - Cet article a été écrit
avant linvestiture de Michelle Bachelet.