Aller simple pour l'aide sociale? exigeons d'autres destinations!

Aller simple pour l’aide sociale? exigeons d’autres destinations!

La machine à fabriquer des
pauvres s’emballe! Les mécanismes de régulation
garantis par la sécurité sociale s’effritent
l’un après l’autre. A Genève, dans
l’indifférence générale, le gouvernement
s’apprête avec la première étape de
l’introduction du Revenu déterminant unique (RDU) à
apporter une touche de plus au mécanisme consistant à
rendre les pauvres plus pauvres et à reléguer à
l’aide sociale celles-ceux que ce travail de sape de la
sécurité sociale ferait basculer en dessous du minimum
vital.

Le phénomène n’est pas local, on voit les
mêmes tendances au niveau fédéral et international.
La dernière révision de la loi sur le chômage ou la
5e révision de l’AI n’en sont que des avatars. La
recette est connue: on affaiblit les assurances sociales en les privant
de moyens suffisants. On en rend l’accès plus difficile en
fixant des conditions préalables plus restrictives. On
réduit ou supprime des droits à des prestations. On
invoque une prétendue pléthore d’abus. Et enfin, on
s’octroie bonne conscience en renvoyant «les plus pauvres
des pauvres» sur l’aide sociale.

Après le déni de droits, le déni de subsidiarité

L’’Etat institue le déni de droit comme mode de
réponse aux questions complexes de la montée de la
pauvreté et de la précarité et justifie ainsi la
baisse des ressources qu’il y consacre. Le corollaire est
immédiat. Le champ de la subsidiarité de l’aide
sociale, voulu expressément par le législateur, est
réduit. Ainsi, après le déni de droit,
après le déni de subsidiarité, resurgit
l’«indigence», que l’on croyait
définitivement éradiquée par la
préoccupation de garantir à chacun-e les moyens de
subvenir à ses besoins vitaux et de vivre dans la dignité
par la satisfaction des besoins sociaux. Or, cet acquis est battu en
brèche par l’atteinte délibérée au
principe de redistribution aux plus démunis.

Deux catégories de citoyen-ne-s sont définies, ceux et
celles qui ne peuvent absorber le déficit économique de
l’une ou l’autre de ces réductions de droits et qui
sont renvoyés à l’aide sociale et celles et ceux
dont la capacité économique, aussi réduite
soit-elle, les situent encore hors des limites d’aide sociale.
Celles et ceux-là se voient durablement appauvris,
abandonnés aux confins de l’aide sociale. De fait, ce sont
eux les cibles de cette vaste offensive visant au «moins
d’Etat», au moment où ce même Etat se montre
incapable de gérer les effets d’un
néolibéralisme débridé et qu’il
s’apprête à devoir faire face à des besoins
accrus en matière de sécurité sociale.

Après eux le déluge…

Et pourtant, les effets de la paupérisation sont connus. Les
personnes ne sont plus en mesure de faire face à des charges
incontournables: cotisations de caisses maladie, impôts, etc.,
qui, non couvertes, les feront basculer dans la spirale de
l’endettement et pour certain-e-s dans un dénuement
indigne. Les suspensions de prestations de l’assurance maladie
pour non paiement de cotisations, autorisées depuis
décembre 2005, en sont une scandaleuse illustration. Qui peut
croire encore, du Conseil d’Etat ou du parlement, qu’il y a
là des économies à faire? Le coût humain et
social de ces mesures se révèlera à brève
échéance incommensurable. Seront-ils prêts à
en assumer la responsabilité?

Créer les conditions de l’exclusion

Une alternative avait été clairement
énoncée par le Conseil d’Etat lors des travaux
préparatoires de la loi sur le RDU: «donner plus à
moins» ou «donner moins à plus». C’est
résolument pour le deuxième terme que le gouvernement a
opté. Après le vote au Grand Conseil de mai 2005,
où seul notre groupe parlementaire a exprimé par un refus
sa méfiance à l’égard d’un projet qui
ne livrait pas ses véritables intentions, le Conseil
d’Etat, porté par un blanc seing donné par tous les
autres partis, a renforcé le processus d’affaiblissement
de la protection sociale à Genève.

Le 1er janvier 2006, il a diminué les prestations d’aide
sociale en supprimant les forfaits vêtements et TPG, soit une
diminution de près de 10 %. Ensuite, le 1er juillet 2006, il
introduisait les normes de la Conférence des institutions
d’action sociale (normes CSIAS), qui sous prétexte, entre
autres, d’incitation à la réinsertion, soumettent
à condition de réussite d’objectifs convenus, une
part de la prestation d’aide sociale. Dans les faits, il abaisse
subrepticement le seuil du minimum vital. La manœuvre est
triplement pernicieuse. Elle en fait porter la responsabilité
aux bénéficiaires désignés comme
insuffisamment motivés, elle fait l’impasse sur
l’absence patente de solutions alternatives pour ces
usagers-ères, enfin elle occulte le fait que c’est le
«recalibrage» de la sécurité sociale qui
contraint toujours plus de gens à solliciter l’aide
sociale.

Concrètement, de Fr. 1260 la prestation de base pour une
personne passe à Fr. 960, susceptibles d’être
complétés par un forfait d’intégration de
Fr. 300. Sur ce dernier point, rappelons qu’au Grand Conseil,
notre groupe s’était vu rétorquer que ce
système se voulait incitatif et favorisant l’insertion! A
la question de quelle insertion? Nos interlocuteurs-trices, en
revanche, restaient muets. Pourtant, ils connaissent alors, comme nous,
les chiffres du chômage, ils connaissaient la violence du rapport
entre nombre de demandeurs-euses d’emplois (22 406) et offres de
postes de travail (640), ils savaient encore l’insuffisance du
nombre de structures intermédiaires offrant des transitions
entre emploi et non emploi.

Demandez le programme!

Ainsi, le décor était planté. Le seuil de
l’aide sociale était abaissé, le nombre de
bénéficiaires potentiel réduit, la mise en coupe
sévère des prestations sociales pouvait commencer. Elle
n’a pas tardé! Au printemps 2006, discrète nouvelle
offensive, le parlement vote à l’unanimité, une
modification de la loi sur le Service d’avance et de recouvrement
des pensions alimentaires (SCARPA), qui limite la durée des
avances. Résultat, après 3 ou 4 ans selon les cas, une
famille monoparentale ou recomposée sera, soit plus pauvre, soit
assez indigente pour demander l’aide sociale. Au chapitre de
l’insertion, on se demande quels objectifs devrait-on lui fixer
afin qu’elle perçoive le fameux forfait
d’intégration susmentionné: Molester le mauvais
payeur? Rançonner l’huissier des poursuites afin
qu’il remplisse son office?

Soyons sérieux! Au nom de quoi, de quel hasardeux principe,
va-t-on justifier la relégation à l’aide sociale de
personnes, qui tout autant que les working poor et tant d’autres
exclu-e-s de la prospérité, n’y ont strictement
rien à y faire?

Un déni de compétence, comme les trains, peut en cacher un autre

Après tous les mauvais procès fait à
l’Hospice général, rappelons que l’aide
sociale est destinée aux personnes qui sont momentanément
dans l’incapacité de subvenir à leurs besoins
vitaux. La loi l’a voulu également subsidiaire à
toute autre prestation, elle l’a vouée à favoriser
la restauration des ressources de personnes en difficulté afin
qu’elles puissent assurer leur subsistance par elles-mêmes
ou par des mécanismes de régulation sociale, tels que
l’assurance chômage ou invalidité ou des allocations
sociales. L’aide sociale n’est pas sensée être
une fin en soi.

Et pourtant, les tenants du «moins d’Etat»,
ceux-là même qui fustigent la hausse des coûts de
l’aide sociale n’ont aucun scrupule à y renvoyer un
nombre croissant de personnes en les privant préalablement de
leurs droits. Qui de son droit à un ETC, qui de son droit
à une rente AI, qui de son droit à voir sa situation
réelle prise en compte pour obtenir un subside à
l’assurance maladie ou une allocation logement. Car la liste des
entames dans le dispositif de régulation sociale n’est pas
terminé, loin s’en faut!

Durant l’été 2005, les ETC, malgré un vote
populaire refusant leur suppression, sont en sursis et on ne le sait
pas encore. L’Office cantonal de l’emploi ne parvient pas
à assurer un ETC à tous les chômeurs-euses ayant
épuisé leurs indemnités. Les autorités
inventent donc les «contrats fictifs». Ces
chômeurs-euses-là auront donc, dès
l’été 2006, le triste privilège
d’inaugurer le système que le Conseil d’Etat ne
désespère pas de mettre en place, comme le
démontre le nouveau projet de loi qu’il a
déposé. Ils-elles devront faire appel à
l’assistance ou se verront privés d’une ressource
qui leur était assurée jusqu’alors, au nom
d’un droit.

L’entrée en vigueur en janvier 2007 de la première
étape du RDU, apportera la dernière touche à cet
élagage de la sécurité sociale. Par la
référence intangible décidée par les
Autorités au dernier avis de taxation, on pourra exclure du
droit, aux subsides à l’assurance maladie et plus tard aux
allocations logement, tous ceux et celles dont la situation se sera
détériorée depuis leur dernière
déclaration d’impôt. Ainsi, durant près des
deux ans que pourra nécessiter la mise à jour des
données fiscales, la personne se verra imposer un délai
de carence pour obtenir les prestations auxquelles elle pourrait
légitimement prétendre. Plus pauvre ou à
l’aide sociale, une fois encore l’alternative est
posée.

Pour sortir de l’exclusion, d’autres pistes…

A fin 2005, une enquête de Caritas révélait
qu’en Suisse une personne sur sept vivait en dessous du seuil de
pauvreté. Visiblement, à Genève, le parlement
considère que cette proportion n’était pas
suffisamment alarmante puisqu’il a pris et entend prendre, des
dispositions qui augmenteront encore le nombre de pauvres et de
bénéficiaires de l’aide sociale. Pourtant, face aux
défis lancinants que posent la mondialisation et
l’évolution de la société il y aurait mieux
à faire. Réfléchir, par exemple, à
l’opportunité de créer des emplois plutôt que
de les réduire comme s’y acharnent de nombreux employeurs,
dont l’Etat n’est pas le dernier. Car il ne faut pas
s’y tromper, il ne s’agit pas seulement de supprimer les
doublons ou de mécaniser les tâches
répétitives, ce sont des prestations qui disparaissent,
autant dans le secteur privé que public.
Aujourd’hui, de nombreux besoins ne sont pas couverts. Que
l’on ne prétende pas nous river notre clou en affirmant
qu’il n’y a plus assez de travail pour tous et toutes! Il y
a des emplois à créer autour de ces prestations et de ces
services qui manquent à l’heure actuelle. Il faut aussi
dynamiser l’engagement associatif et citoyen. Le
développement de la qualité de vie peut être
générateur d’emplois, il doit surtout être
facteur de reconnaissance sociale, car il faut sortir de
l’acquisition d’un statut social exclusivement par
l’emploi.

Enfin, pour que chacun-e soit réellement en mesure
d’opérer de véritable choix par rapport à
l’emploi, encore faudrait-il développer une réelle
politique familiale afin que les parents puissent consacrer du temps
à l’éducation des enfants sans préjudice
financier. Cela supposerait la reconnaissance des tâches
éducatives et ménagères pour tous et toutes. Ce
genre d’option contribuerait encore à éviter que le
divorce ne soit un facteur implacable de paupérisation.
Intégrées à un système d’allocations
sociales de régulation, ces mesures favoriseraient un
réajustement entre charges et ressources des ménages en
fonction de leurs caractéristiques. Avoir un loyer trop cher ne
relève pas d’un choix, pas plus que le coût de la
vie ou celui des études.

Pour élaborer ensemble des alternatives

La responsabilité de ce rééquilibrage incombe
à la collectivité. Ces quelques pistes n’ont rien
d’original, il n’empêche que leur
nécessité s’impose. D’autres alternatives
pourraient être élaborées dans le cadre
d’assises que l’auteure du présent article appelle
de ses vœux. Elles pourraient avoir pour thèmes:
développer et financer autrement l’emploi,
reconnaître et rétribuer les prestations de
proximité. Dans cette attente, il faut, à tout le moins,
s’opposer au laminage des prestations sociales et au
démantèlement des assurances sociales.

Jocelyne HALLER