Le goût amer de nos fruits et légumes: l’exploitation des migrants dans l’agriculture intensive en Europe

Le goût amer de nos fruits et légumes: l’exploitation des migrants dans l’agriculture intensive en Europe


Sous ce titre évocateur, le Forum Civique Européen a publié en mars 2002 une brochure qui rassemble diverses contributions issues de deux colloques organisés en juin et août 2001.



L’intérêt de ce document est de mettre en lumière les liens qui existent entre un certain modèle de développement agricole (culture intensive), les politiques migratoires qui génèrent l’augmentation du nombre de «sans-papiers», et la montée de mouvements racistes et xénophobes.



Comme l’explique Emmanuel Terray, l’économie du travail illégal permet une «délocalisation sur place» des emplois, par l’utilisation d’une main d’œuvre précarisée, sous-payée, privée de toute protection et donc totalement flexible, ce qui est l’idéal pour l’économie néo-libérale. Si l’agriculture n’est pas le seul secteur à utiliser ce type de main d’œuvre (c’est aussi le cas pour le bâtiment, l’hôtellerie et la restauration notamment), elle constitue toutefois un cas d’école : dans ce modèle d’agriculture intensive, que Jean-Pierre Berlan décrit comme «le modèle californien», le recours à une main d’œuvre immigrée, flexible et précarisée est une nécessité structurelle. Ce type d’agriculture a en effet besoin d’une grande quantité de main d’œuvre, mais pendant de brèves périodes, soit pour la durée des récoltes. Par ailleurs, le caractère périssable des fruits et légumes implique la nécessité de rentrer la récolte en un minimum de temps. Ce mode de production agricole a donc besoin d’un excès structurel de main d’œuvre: c’est précisément la main d’œuvre «clandestine» qui joue le rôle de cette armée de réserve.



En Europe, le marché des fruits et légumes est totalement libéralisé, ce qui a pour conséquence, comme le dit Denis Brutsaert, que «la loi du plus grand profit pour un minimum d’acteurs prévaut sur toute considération sociale, écologique ou humaine». Cette logique libérale est par ailleurs fatale aux petits agriculteurs: en France, 3140 petites exploitations ont disparu en 12 ans, soit 43% de moins. En Suisse également, le nombre de fermes a passé de 94000 en 1990 à environ 70000 actuellement. Comme dans les autres pays européens, l’agriculture suisse est plus que jamais dépendante d’une main d’œuvre qui doit être le moins chère possible, d’où l’appel à de la main d’œuvre non déclarée, venant principalement des pays de l’est.



Jean-Pierre Alaux relève quant à lui que face aux courants d’extrême-droite qui prennent comme cible les migrants, supposés fauteurs de chômage et d’insécurité, d’une part, et aux besoins de l’économie qui ne peut se passer d’une main d’œuvre taillable et corvéable à merci, d’autre part, la présence «d’une immigration légale ou illégale invisible constitue un atout particulièrement précieux. Or, en Occident, l’invisibilité, c’est la blancheur de la peau et, accessoirement, l’appartenance à une culture aussi chrétienne que possible». Ce processus de «blanchiment» de l’immigration a pu se constater après les émeutes racistes de février 2000 à El Ejido en Espagne, où on a assisté à l’embauche d’ex-Soviétiques en remplacement partiel des Marocains.



Comme on le voit, ces analyses contribuent, entre autres, à fournir des éléments de compréhension du phénomène de la montée des mouvements d’extrême-droite racistes et xénophobes, qu’il sera difficile de combattre sans une remise en cause fondamentale du mode de production et de consommation dominant.



Pour commander la brochure «Le goût amer de nos fruits et légumes» (Fr. 15.-), s’adresser à: Forum Civique Européen, Case postale, 4004 Bâle; fax: 061/262 02 46; e-mail: forumcivique.europe@wanadoo.fr



Anne-Marie Barone