Cuba: les responsables du futur

Cuba: les responsables du futur

L’article ci-dessous,
rédigé par l’écrivain cubain Arturo Arango,
est paru dans « El Pais », le 13.5.2010. Ce
journal accorde une place importante à la
« dissidence » cubaine, notamment aux
grèves de la faim du détenu Orlando Zapata
(décédé en février 2010) et de Guillermo
Farinas. Arturo Arango, qui n’est pas un
« dissident », veut préserver les
acquis de la révolution, après la disparition de la
génération de 1959. Un point de vue qui n’a pas
toujours les honneurs des médias, mais à connaître.
(hpr)

Les « dames en blanc », les ministres
destitués, la grève de la faim de Guillermo Farinas, le
million de travailleurs sous-employés dans le secteur
étatique… Toute nouvelle sur Cuba dans la presse
internationale – qu’importe le pays ou la tendance –
semble interroger un futur imprévisible.

Dans cette période complexe,
s’affrontent des forces que l’on peut classer
sommairement : les partisans d’une restauration du
capitalisme, ceux d’un réaménagement ou d’une
réforme du système actuel.

On commet deux grandes erreurs dans
l’interprétation de la réalité
cubaine :

a. considérer le gouvernement comme un
monolithe pesant sur une masse de citoyens pour qui
l’obéissance reste la seule option;

b. croire que tout reste immuable, comme le font penser certaines images.

A supposer que tout responsable politique d’un
certain rang préfère la voie socialiste, les visions de
ce modèle varient entre les adeptes (conscients ou par pure
inertie) d’un Etat bureaucratique et centralisé et ceux
d’un socialisme viable seulement s’il parvient à
être démocratique. Un autre secteur – des mesures
gouvernementales le confirment – prône un économisme
pragmatique, version cubanisée de l’ex-modèle
soviétique ou du modèle asiatique.

A la base, le citoyen ordinaire – que
finalement nous sommes tous – pense, agit, ressent des
aspirations, des besoins, des peurs.

L’avenir ne plaira pas à tous, mais il
vaudrait mieux qu’il satisfasse la majorité. Certaines
forces finiront par l’emporter provisoirement. Il pourrait
même s’agir de celles à qui importe peu la perte,
par Cuba d’une indépendance acquise au prix de multiples
sacrifices.

Si l’avenir repose sur un groupe social,
c’est nécessairement les jeunes. Même s’ils
n’en ont pas toujours conscience, les années à
venir leur appartiennent. Comme ailleurs, une partie des jeunes Cubains
montrent scepticisme et indifférence pour les thèmes
politiques. Beaucoup souhaitent émigrer sous d’autres
latitudes, principalement dans les pays développés. Une
aspiration qui reflète désenchantement,
désintérêt pour le destin de la nation cubaine.
C’est vrai, mais pas complètement.

Le choix de ceux qui ne veulent pas une société d’exclusion

Par déformation professionnelle, j’aime voir ce que les
jeunes écrivent, peignent ou filment, car dans leurs
œuvres – parfois par pure négation, ou même
par absence – ils peuvent répondre aux questions sur ce
futur qui nous inquiète tant. Un élément suscite
mon attention : la présence de sujets marginaux dans de
nombreux documentaires réalisés par des jeunes, qui
peuvent être identifiés aux protagonistes d’autres
pièces théâtrales, de toiles,
d’installations, de performances.

Ces œuvres témoignent d’un état de choses,
lié à la crise économique, aux stratégies
de survie et à l’impossibilité, dans certains cas,
d’y parvenir avec dignité. Il y a aussi dans ces regards,
si divers, le choix de ceux qui ne désirent pas une
société d’exclusion, de marginalisation,
d’intolérance ou dominée par de profondes
inégalités.

Le 1er mai 2010, parmi la foule sur la Place de la Révolution,
sont apparues des pancartes qui n’avaient rien à voir avec
la propagande officielle : « Le socialisme,
c’est la démocratie », « A bas
la bureaucratie ».

Elles étaient brandies par les jeunes membres du
« Réseau d’observatoire
critique ». Ils revendiquent des alternatives culturelles
libératrices contre les aliénations capitalistes,
autoritaires et coloniales, et reconnaissent la nécessité
d’un engagement critique dans la défense de la
révolution cubaine, processus qu’ils veulent
dépouiller de tout poids conformiste.

En lisant leurs objectifs, je me souviens d’une anecdote :
au début des années 1990, Armando Hart (ministre de la
Culture) rencontra des jeunes intellectuels cubains, qui
réclamaient une rénovation radicale de la
révolution. Le vieux combattant répondit :
« Nous avons déjà fait notre
révolution ; faites celle qui vous
correspond ».

Pour satisfaire la majorité des Cubains, le
futur requiert un consensus le plus inclusif possible, avec quelques
conditions de base :

1. la disparition des pressions extérieures
qui entravent et paralysent les transformations nécessaires
à Cuba. Ce sont des ingérences inacceptables qui
méconnaissent les vrais intérêts des Cubains.

2. L’ouverture par l’Etat cubain
d’un dialogue réel, non paternaliste, avec la
majorité des Cubains, où les jeunes puissent
s’engager, un engagement dont eux et nous avons besoin.


Arturo Arango
écrivain et scénariste cubain
(traduction et adapation : H.P. Renk)