France

France : Ni prophétisme ni résignation

Ça n’a pas trainé. A peine les banderoles de la manifestation syndicale du jeudi 16 novembre repliées, le faire-part de décès du mouvement d’opposition aux ordonnances de Macron a été envoyé par l’éditorialiste du journal Le Monde. Macron a gagné, les manifestant·e·s sont priés de rentrer à la maison et la CGT, qui fut à l’initiative des manifestations, ferait bien de prendre exemple sur sa grande sœur, bien plus raisonnable, la CFDT. Du reste, continue le quotidien «de référence», même Mélenchon admet maintenant la défaite.

On pourrait ne voir dans ce constat qu’une manière de lâche soulagement d’un organe de presse désormais aux mains d’un banquier d’affaires et d’un prince de la télécommunication, compagnon de la fille du magnat Bernard Arnault (groupe du luxe LVMH, première fortune de France). Mais ce qui distingue Le Monde des diatribes du Figaro, c’est que le premier a encore la ressource d’appuyer sa démonstration en évoquant de vrais problèmes, alors que la vindicte suffit au deuxième.

Indubitablement, après les quatorze manifestations contre la Loi Travail (dite aussi Loi El Khomri, ouvrant la voie aux ordonnances de Macron), la question de l’efficacité de ces manifestations à répétition est posée. Si un effort de cette ampleur n’a pas fait céder le social-­libéral Hollande, que faudra-t-il de plus pour faire reculer le président des riches? C’est une question qui traverse les rangs du mouvement ouvrier français.

Nos camarades du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) soulignent les effets négatifs de ces manifestations dont le seul objectif est l’ouverture de négociations: «La valse des négociations et des manifestations est supposée rendre compréhensible la stratégie syndicale: les syndicats prétendent prouver qu’ils sont prêts à discuter, mais que c’est le gouvernement qui ne les écoute pas. Le problème est que cette tactique est contre-productive: les salarié·e·s qui veulent en découdre voient bien qu’il n’y a pas de plan d’action, et celles et ceux qui ne sont pas convaincus de lutter ne bougent pas davantage. Et l’effet boule de neige est terrible: des sections syndicales n’appellent plus à la grève sous prétexte que ce n’est qu’une journée sans lendemain de plus avec le risque de réduire fortement la mobilisation. Alors qu’il faudrait également articuler le refus des ordonnances avec le rejet de nouvelles attaques contre les salarié·e·s pour construire une opposition unifiée contre la politique du gouvernement, les réponses se font au coup par coup.» Pour accumuler les forces permettant de faire reculer Macron, il faut donc une stratégie, peu présente dans le mouvement actuel, et une unité d’action, qui ne s’est réalisée qu’à la marge ou à contrecœur dans le cas de la direction de Force ouvrière, troisième centrale syndicale.

Et ce ne sont pas les velléités hégémonistes de la France insoumise et de son chef, Jean-Luc Mélenchon, qui clarifient la situation. L’autocritique implicite de ce dernier reconnaissant que le «déferlement» espéré à la suite des élections à l’Assemblée nationale n’avait pas eu lieu – comme si la constitution d’un groupe parlementaire de la France insoumise (FI) était le signal attendu par tou·te·s les prolétaires de France… – débouchera-t-elle sur une conception un peu plus saine du rapport des forces et de l’unité d’action? Il faut le souhaiter.

Un regroupement des forces de la gauche combative et anticapitaliste s’est bien formé, sous l’appellation Front social. Rassemblant les sections syndicales combatives de la CGT, les syndicats de SUD, la CNT anarcho-syndicaliste et de nombreuses autres associations, comme Droit au logement, le Front social a manifesté le 18 novembre en marchant sur l’Elysée. Le NPA soutenait cette initiative, espérant qu’elle allait «créer la surprise». Il faut saluer cette action, qui peut en effet, sous son mot d’ordre «S’unir pour ne plus subir. Déterminé·e·s à gagner ensemble» former le ferment d’une approche mettant l’unité des salarié·e·s au cœur d’une stratégie ayant la grève générale comme levier pour rétablir un rapport de forces favorable aux travailleurs et aux travailleuses. Le résultat numérique de la marche du 18 novembre sur l’Elysée, 3000 manifestant·e·s selon les organisateurs, montre que le chemin sera long, même si la braise du feu social couve encore.

Daniel Süri