DOslo à Genève, le retour des imposteurs
DOslo à Genève, le retour des imposteurs
Les illusionnistes de la paix sont de retour, sous les feux des projecteurs, précédés des joueurs de flûtiau, ravis davoir servi déclaireurs1. Du gouvernement suisse à Kofi Annan, en passant par le groupe de la Gauche Unie Européenne (GUE/ NGL) au Parlement européen, chacun se pousse pour prendre place sur le nouveau Titanic de la Paix. Les uns à coup de millions de dollars pour promouvoir linitiative, dautres par des déclarations émouvantes, qui saluent les sacrifices douloureux mais nécessaires de ceux «à qui on demande de faire encore des compromis»2, dautres encore nous annonçant avec un enthousiasme juvénile la découverte de la pierre philosophale de «la solution définitive du conflit». Dix ans et 3500 morts après la très émouvante cérémonie de Washington qui ouvrait la voie à «la paix dOslo», au «nouveau Moyen-Orient», et la route du Nobel aux nouvelles stars de la paix, quelques «personnalités attachées à la paix» se rencontrent dans un confortable hôtel des bords de la Mer morte, et un nouveau miracle saccomplit: «un accord démontre spectaculairement que la paix est possible et que les Israéliens ont un partenaire pour la négocier»3.
On se gardera de suivre Beilin et Abed Rabbo quand ceux-ci qualifient leur pacte de «tournant historique» et de «début dune nouvelle ère». Les deux compères savent que cette initiative na de sens quen tant quélément dun dispositif politique et diplomatique international qui repose entièrement sur les précédents accords dOslo, sur «la vision de Bush des deux Etats» (juin 2002), sur linitiative du Quartet et sa «feuille de route», et sur la dernière résolution de la Ligue arabe consécutive au «plan Abdallâh».
Le texte de Genève fait explicitement référence à tous ces éléments. On sétonnera de lenthousiasme manifesté à son égard par certains, qui navaient parfois pas de mots assez forts pour condamner telle ou telle contrainte unilatéralement imposée à la partie palestinienne lors de lun des épisodes précédents.
Le commentaire apporté par lun des participants israéliens aux négociations4 nous éclaire davantage sur la fonction principale du nouveau plan. Selon lui, aujourdhui le texte «nest rien de plus que 50 feuilles de papier». Mais, ajoute-t-il immédiatement, «si les peuples des deux côtés lacceptent, demain ou après-demain, ils se rendront compte que le travail de déblayage a déjà été fait. Presque jusquau moindre détail».
Le texte de Genève
Quel est donc ce «déblayage» complaisamment validé par «le partenaire palestinien?» Le texte publié est à ce jour incomplet. Sans prétention à lexhaustivité on se limitera ici à développer deux objetrs. Le premier, dont lénormité ne devrait échapper à personne, est celui du droit au retour des réfugiés.
La reconnaissance du principe du droit au retour était restée jusquà ce jour un élément intangible de la négociation pour les Palestiniens. Le document ignore lexpression de «droit au retour» et on cherchera même en vain le mot «retour». Non pas que le problème des réfugiés soit ignoré, bien au contraire il donne lieu à la seule véritable innovation de ce texte: le droit au retour est tout simplement supprimé et remplacé par «le choix à un lieu fixe de résidence». Les réfugiés auront individuellement plusieurs options possibles: résider dans lEtat indépendant de Palestine ou dans un pays tiers qui les accepte, ou rester dans le pays daccueil actuel ou dans létat dIsraël «à sa discrétion» et conformément à un nombre décidé par lui. Effectivement pas avare de détails sur le sujet le texte prévoit ensuite un «règlement définitif de la question des réfugiés»: le statut de réfugié disparaît avec le choix individuel du lieu fixe de résidence et la fin de lUNRWA est programmée.
Le deuxième problème majeur est celui des Palestiniens de 1948, le million de Palestiniens vivant en Israël. On cherchera en vain trace de leur existence dans «le spectaculaire accord de paix», pas un mot, pas une allusion. Nos pourfendeurs littéraires dApartheid semblent aveugle à ce détail concret du paysage intérieur de «lEtat le plus démocratique du Moyen-Orient.» Et comme, parallèlement, le partenaire palestinien reconnaît quIsraël est «lEtat du Peuple juif»5, la boucle sioniste de «lEtat juif» est refermée: «Ils vivront chez eux et nous vivrons chez nous», écrit Amos Oz.
De reculs en reculs
Mais où donc vivront les Palestiniens citoyens dIsraël? Avec quel statut et avec quels droits individuels et collectifs? Ces deux questions majeures népuisent malheureusement pas la liste des abdications consenties par les négociateurs palestiniens. Il faudra bien aussi expliquer la signification et la portée de lintégration à Israël des colonies qui assurent la continuité du grand Jérusalem (Maale Adoumim, Goush Etsion, Neve Yaakov, Guilo, Ramot etc.)»Le nud coulant qui enserre Jérusalem sera éliminé», écrit Mitzna. Certes, mais à quel prix pour les Palestiniens?
Sans oublier le corridor «sous souveraineté israélienne» entre Gaza et la Cisjordanie, la démilitarisation imposée de lEtat palestinien mais laffirmation de la nécessité dune «puissante force de sécurité intérieure» pour assurer la sécurité dIsraël bien sûr, la mise sous tutelle du contrôle des frontières, le maintien pendant pas moins de six ans de forces militaires israéliennes dans la vallée du Jourdain et la présence illimitée de deux bases militaires en Cisjordanie, la possibilité de maintenir en prison pendant des années des militants palestiniens emprisonnés répondant aux critères énumérés dans une annexe qui nest pas encore écrite, rien sur la maîtrise de leau et rien sur la subordination de léconomie palestinienne à celle dIsraël, etc.
Cette simple énumération infirme lassertion selon laquelle il sagirait dun «accord équilibré» témoignant des concessions et sacrifices des deux parties. Il sagit bien, en réalité, ainsi que lécrit justement Azmi Bishara6, d»une tentative pour imposer dautres réalités» et rabaisser ainsi sans cesse le niveau des exigences légitimes des Palestiniens pour de futures «vraies» négociations.
Vers de nouveaux progrès de la colonisation
Les renoncements consentis par la délégation palestinienne et le soutien de principe apporté par lAutorité et Arafat lui-même au texte publié dessinent très exactement les contours de la manuvre en cours: «La paix est possible mais à ces conditions. Cest donc le seul accord possible. Cest ça ou Sharon et demain lexpulsion. Soyez réalistes.»
Pour preuve que le camp de la paix israélien a fait lui aussi des concessions douloureuses, on monte en épingle les propos très critiques de Sharon et Barak contre le plan de Genève en feignant doublier les leçons pourtant évidentes des dix dernières années. Celles-ci nous ont démontré que par delà des divergences réelles, mais limitées, dans les modalités et les rythmes de mise en uvre, tous les partis sionistes appliquaient une politique de liquidation de la cause nationale palestinienne par léradication de ses bases matérielles et territoriales dexistence.
Sharon dénonce la paix dOslo mais na de cesse den maintenir le principal acquis du point de vue sioniste: à partir des colonies construites pendant «la paix» et de toute linfrastructure quelles ont générée, Israël a pu amplifier loccupation dune portion croissante des territoires palestiniens, vidés de leur population arabe, remplacée par des colons juifs. Loin de contredire Oslo la construction du mur en parachève les objectifs. Loin de sopposer à la mise en place des bantoustans qui seront le «vrai Etat palestinien», laccord de Genève veut donner du temps pour la mise en uvre concrète du plan sioniste, pratiquement inchangé depuis près de 40 ans.
Pourquoi maintenant?
Dans un moment critique pour la perspective de «la coexistence de deux Etats», compte tenu de la réalité de la politique sioniste et de ses conséquences sur la prise de conscience croissante du caractère illusoire et mystificateur de lEtat palestinien indépendant, surgit soudainement une hypothèse de «nouvelle chance pour la paix»: il suffirait de sopposer à «la coalition fanatique dextrémistes des deux bords».
Est-ce un effet du hasard si cet accord surgit au moment où des voix de plus en plus nombreuses sélèvent pour dire que la perspective de lEtat indépendant est désormais caduque,compte tenu des conséquences de la politique de guerre menée par lEtat dIsraël au Peuple palestinien? Est-ce une coïncidence si cet accord est porté, côté israélien, par des gens plus inquiets de lavenir du sionisme que de la situation faite aux Palestiniens?7
Car cette «gauche sioniste», subitement intronisée «partenaire de la paix», et quon nous convie à applaudir et à remercier, a été singulièrement absente de tous les combats contre loccupation, depuis la fin tragique dun prétendu processus de paix, dont ils ont profité sans se poser de questions sur les conséquences réelles de leur politique pour la population palestinienne. Peut-être jugent-ils que trois ans de répression et de punitions collectives sont suffisants et que, maintenant que le sale boulot a été fait par Sharon, on peut en revenir à des méthodes plus policées? Après la main de fer de la répression, le gant de velours pour tirer les dividendes de la guerre?
Oublier jusquaux raisons de lIntifada
On touche là à un aspect non négligeable de cette nouvelle initiative de Paix, qui doit parvenir à effacer lIntifada de la réflexion collective palestinienne pour imposer la négociation et donc de nouveaux compromis comme étant la seule issue possible. Le début de la deuxième Intifada a montré la rupture massive de la population palestinienne avec lillusion des bienfaits de «la paix», entretenue par la stratégie des négociations interminables menées par lAutorité pendant sept années. Cette révolte marquait la volonté du Peuple palestinien de reprendre linitiative et le chemin de la lutte pour obtenir ses droits légitimes.
On lui oppose aujourdhui un retour à la table des négociations à laquelle le peuple nest évidemment pas convié. En échange de sacrifices supplémentaires, on va lui octroyer quelques «généreux cadeaux», sous réserve quil se dissocie des «extrémistes» qui entendent continuer la lutte.
Pour ce faire il convient aussi de redonner du souffle et de la crédibilité à une Autorité palestinienne plus préoccupée de sa propre survie que de la satisfaction des droits historiques du Peuple palestinien. Désormais démunie de toute stratégie de lutte et totalement impuissante sur le terrain de la résistance à loccupation, incapable daider la population à affronter les difficultés de la vie quotidienne, elle nexiste plus que par la négociation et le soutien diplomatique et financier international quelle paye de ses concessions croissantes.
Là réside la seule justification de la valorisation dun «partenaire palestinien», qui ne représente plus guère que les intérêts dune minorité intéressée à reprendre les affaires interrompues par lIntifada. Faible, et peut-être même peu fiable, mais indispensable, tant que ne se sera pas affirmée une «alternative» totalement à la botte de limpérialisme et plus soumise encore aux intérêts sionistes. Dans lattente de ce qui pourrait émerger du chaos provoqué par la politique de Sharon, la diplomatie internationale et les sionistes de gauche prennent langue avec ceux quils jugent les plus fréquentables, prêts à les troquer contre dautres, si possible encore plus malléables.
La solidarité face à un défi
Le mouvement de solidarité est désormais confronté à un choix: poursuivre la maturation en cours, clarifier les bases et les modalités de son soutien à la lutte du Peuple palestinien ou revenir des années en arrière, à nouveau bercé par les sirènes dune paix qui ne sera que poursuite et aggravation de linjustice faîte aux Palestiniens.
Depuis sa réémergence sur le terrain de la solidarité de masse, au cours de lannée 2001, le mouvement a connu plusieurs phases. Dabord une phase de redécouverte pour certains, de découverte pour beaucoup, de la situation dans laquelle vivait le peuple palestinien et notamment les habitants des territoires occupés. Le déclenchement de la deuxième Intifada et la brutale répression mise en uvre par les gouvernements israéliens ont nourri un processus de prise de conscience dune réalité largement dissimulée par le masque de «la Paix» et de la prétendue «Autonomie palestinienne».
Dans un deuxième temps, la systématisation et lamplification de la répression, culminant dans la réoccupation par larmée israélienne des villes «sous autonomie palestinienne», les bombardements des camps, les arrestations massives, les assassinats toujours plus nombreux etc., ont suscité les mobilisations les plus importantes, avant lété 2002. Des campagnes nationales, des pétitions et des réunions publiques ont été organisées en grand nombre. Les comités, missions civiles et associations se sont développés et ont amplifié leur action dexplication au travers de compte rendus de voyages en Palestine, de popularisation des initiatives des pacifistes israéliens et de soutien concret à des projets locaux de développement, éducatifs ou culturels en Palestine.
Issue de la dernière chance ou traquenard?
La profonde dégradation de la situation sur le terrain, la démission politique de «la communauté internationale», complice de la stratégie de guerre totale imposée aux Palestiniens par les gouvernements israéliens successifs, et la perception croissante de la voie sans issue dans laquelle était engagée la direction palestinienne, ont ouvert une période dhésitation et de doute pour un mouvement peu préparé à faire face à ce qui est de plus en plus apparu comme une impasse politique.
La sempiternelle admonestation dune communauté internationale sommée de mettre en uvre ses propres résolutions inefficaces, depuis des dizaines dannées, le maintien à lidentique de la revendication dun Etat palestinien indépendant que la réalité de la politique sioniste de colonisation du territoire et denfermement de la population dans de véritables bantoustans a rendu en pratique non viable et le malaise provoqué par lincapacité de la direction palestinienne de proposer une stratégie de lutte alternative à la soumission aux exigences impérialistes et aux actions suicides désespérées, sont apparus de plus en plus incapables de fonder une action de soutien de longue durée favorisant réellement la lutte du peuple palestinien pour la conquête de ses droits.
La tentation est donc forte de vouloir se saisir dune initiative présentée comme une issue possible pour mettre un terme à laffrontement. Déjà les pressions sorganisent, portées par des forces quon na souvent pas beaucoup rencontrées dans les actions de solidarité concrètes avec le peuple palestinien ou avec les pacifistes israéliens, mais elles émanent aussi parfois du sein même du mouvement de solidarité.
Quelle alternative?
Lheure est venue de nous souvenir de nos échanges avec nos amis palestiniens, avec les paysans interdits daccès à leurs champs, avec les habitants chassés de leurs maisons détruites, avec les étudiants interdits daccès à leurs universités, avec les réfugiés des camps, maintenus dans une situation de perpétuelle précarité et de dépendance, etc. Ils nous ont expliqué ce quavaient été pour eux les «années de paix», la frustration après les espoirs, la colère croissante face à une négociation dont les seuls résultats confinaient toujours plus au renoncements.
Pour le mouvement de solidarité, «laccord de Genève» est un dérivatif et un leurre. Il sagit de détourner son attention de ce qui se passe concrètement sur le terrain et dagiter de vaines espérances pour lattirer dans une nouvelle impasse: alors, quand les faits auront de nouveau évolué en défaveur du peuple palestinien, on appellera à prendre la mesure des nouvelles réalités et à faire de nouvelles concessions. Se soumettre à cette offensive serait lacte de décès du mouvement de solidarité.
A lopposé de sa transformation en un auxiliaire de la liquidation des droits fondamentaux des Palestiniens, lheure est à lélaboration dun véritable programme de lutte et de solidarité:
- Pour le droit à lautodétermination du Peuple palestinien.
- Pour le droit au retour de tous les réfugiés.
- Contre lApartheid infligé aux Palestiniens de 48.
- Pour la fin du régime doccupation militaire.
- Pour la liberté de circulation de tous les Palestiniens en Israël et dans les territoires annexés de fait.
- Pour la libération inconditionnelle et immédiate de tous les prisonniers politiques.
«Pas de paix sans justice», avons nous souvent affirmé. Laccord de Genève tourne le dos à cette exigence: ne soyons pas complices dun nouvel abandon de celles et ceux dont nous avons soutenu les droits et dont nous connaissons les attentes à légard de la solidarité internationale.
Pierre-Yves SALINGUE*
* Membre du Comité Rennais de lAssociation France-Palestine Solidarité et militant de la LCR, Pierre-Yves Salingue est parti pour un an, avec son fils Julien, dans les Territoires palestiniens occupés par larmée israélienne pour en ramener dimportants témoignages et de nombreuses images.
- Uri Avnery, Avec qui, sur quoi? «je donne tout mon soutien à ce projet, dautant plus quil est la suite dun processus que nous avons nous-mêmes engagé il y a 2 ans».
- Alima Boumedienne-Thiery, «Paix et dignité au Proche-Orient», intervention en séance plénière au Parlement européen 22.10.03.
- Dominique Vidal, «Un espoir à Genève», site Web Le Monde Diplomatique.
- Amos Oz, «Nous avons déblayé le terrain pour la paix», The Guardian, 27.10.03.
- Amram Mitzna, «les Palestiniens ont reconnu officiellement et publiquement quIsraël était lEtat du Peuple juif pour léternité», Haaretz, 16.10.03
- Lire «Une lueur de rien du tout», Al-Ahram weekly n° 661.
- Lire les articles récents de A. Burg,qui sinquiète de «la fin de laventure sioniste».