L’AVS n’a pas besoin d’être sauvée

L’AVS va-t-elle faire faillite? Peut-on financer la 13e rente? La droite nous sauvera-t-elle de cette catastrophe? Entretien avec Danielle Axelroud, experte-fiscale engagée au collectif EconomieFéministe et à la Grève féministe (Suisse).

Une manifestante porte une pancarte "Au boulot jusqu'au tombeau? Non merci!”
Manifestation contre AVS 21, Berne, 18 septembre 2021

La campagne pour une 13e rente bat son plein et la droite ne cesse de répéter que l’AVS est au bord de l’asphyxie. En ce début 2024, quel diagnostic fais-tu de l’état de santé de l’AVS?

C’est un refrain qu’on entend depuis des années. Or, l’AVS est une institution solide qui se porte bien. La fortune de l’AVS augmente régulièrement. Depuis l’année 2000, elle a plus que doublé, passant de 23 à 47 milliards de francs à fin 2022. 

Selon les calculs de l’Office fédéral des assurances sociales, la fortune de l’AVS continuera d’augmenter jusqu’à fin 2030, où elle dépassera les 67 milliards de francs. 

La situation est bien différente en ce qui concerne le 2e pilier: les rentes moyennes ont diminué de 300 francs par mois depuis 15 ans! Mais la presse reste muette sur la fragilité des caisses de pension, qui sont tributaires des marchés financiers et qui font surtout vivre les assurances.

Graphique représentant le compte d'exploitation de l'AVS entre 1992 et 2022 qui montre une évolution positive

Mais alors, comment les chiffres catastrophistes avancés sont-ils calculés?

Il faut faire très attention quand on regarde les chiffres annoncés. Le plus souvent, il s’agit du résultat de répartition, qui est la différence entre les cotisations, les versements de la Confédération, la contribution de la TVA et d’autres impôts d’une part, et les dépenses – les rentes versées – d’autre part. Mais la fortune de l’AVS – un montant loin d’être négligeable – génère des revenus, intérêts et dividendes, qui représentent année après année environ un demi-milliard de francs. Ces recettes supplémentaires de l’AVS ne sont souvent pas prises en compte, ce qui noircit le tableau. Cela dit, les calculs prévisionnels de l’OFAS montrent jusqu’en 2029 un résultat de répartition positif – ceci même sans prendre en compte les revenus de la fortune. De plus, les prévisions de l’OFAS sont partielles. Elles n’intègrent par exemple pas le solde migratoire.

De toute manière, il faut être lucide. Le financement de l’AVS et des prestations sociales n’est pas fondamentalement une question d’argent: en cas de besoin, l’argent se trouve – pour soutenir l’économie pendant le confinement, pour sauver Credit Suisse, pour augmenter le budget militaire… C’est une question de volonté politique.

Le coût d’une 13e rente s’élèverait à environ 4 milliards de francs. À partir de la situation que tu nous as présentée, est-ce beaucoup ou est-ce peu?

La manière dont cette rente supplémentaire sera financée fera l’objet de discussions aux Chambres fédérales. Mais imaginons que la solution soit une augmentation des cotisations AVS, que le Conseil fédéral a estimée à 0,8 point dès 2032 (supporté par moitié par les entreprises et par les salarié·es).

Rappelons d’abord que le taux de cotisations, fixé en 1975 à 8,4% du salaire brut, est resté inchangé jusqu’en 2020, où il a passé à 8,7%. Il représenterait donc dès 2032 9,1% – donc 4,5% pour les salarié·es.

Pour un salaire moyen, cette augmentation représenterait quel­que 25 francs par mois, pour une augmentation de rente moyenne de l’ordre de 150 francs par mois. Un rendement sans concurrence! Les primes d’assurance-­maladie, elles, augmentent inexorablement. En 2024, la prime moyenne a augmenté de presque 40 francs par mois – qu’on gagne peu, ou qu’on gagne un saladier! Les cotisations AVS sont, elles, proportionnelles au salaire.

Il est aussi intéressant de mettre le coût de la 13e rente AVS en relation, par exemple, avec le travail non rémunéré: rien qu’en gardant leurs petit-enfants, s’ils étaient payés, les grands-parents gagneraient presque deux fois cette rente supplémentaire. 

Rappelons-le: le débat autour de la 13e rente AVS est un débat politique, dans un contexte où la volonté de la majorité de droite est de démanteler les prestations sociales: 

  • La réforme des prestations complémentaires, entrée en force en 2021, a réduit les montants versés et bien des bénéficiaires ont perdu leur droit aux prestations. 
  • AVS 21 a relevé l’âge de la retraite des femmes d’une année.
  • Une procédure de consultation est en cours sur une réforme visant à diminuer les rentes de veuves.
  • La commission de la sécurité sociale du Conseil national vient d’annoncer son intention de supprimer les rentes d’enfants de retraité·es.

Dans ce contexte, gagner la bataille de la 13e rente AVS devient emblématique. Dire oui à cette initiative, c’est proclamer notre attachement à l’AVS et à un système de sécurité sociale qui tienne compte des plus démunis.

Les opposant·es à la 13e rente font beaucoup de promesses, qu’en penses-tu?

On lit qu’il faudra améliorer les prestations complémentaires, mais je l’ai dit: la dernière révision de la loi sur les prestations complémentaires a entraîné une baisse importante des montants alloués aux bénéficiaires. La majorité bourgeoise aux Chambres fédérales n’a qu’un but: économiser sur les prestations sociales. Prétendre qu’on va améliorer les prestations complémentaires, c’est une promesse en l’air. 

Et quid des promesses d’augmentation des rentes les plus modestes? Aucun contre-projet n’a pu trouver de majorité aux Chambres fédérales pour répondre à cette objection. En d’autres termes, la volonté d’améliorer les choses n’existe pas.

Propos recueillis par Marie Jolliet