Colombie

Une caravane pour la vie!

En Colombie, plus de 1000 défenseurs·es des droits humains ont été tué·es depuis 2016 par les paramilitaires. Sonia López, leader de mouvements sociaux dans ce pays et membre de la Fondation Joel Sierra pour les droits de l’homme, a reçu le Prix national colombien des droits humains 2023, prix décerné par l’ONG suédoise Diakonia et l’Église suédoise en reconnaissance de ses efforts pour protéger les leaders sociaux. Entretien.

Marche pour la vie en Colombie
Rassemblement pour dénoncer les attaques paramilitaires incessantes, Tadó, nord-ouest de la Colombie, 5 juin 2024

Entre autres, pour appeler la communauté internationale à accompagner la caravane humanitaire, pour la vie, la paix et la permanence sur le territoire, qui se déroulera du 28 juillet au 19 août de cette année. La caravane se rendra dans trois régions affectées par la violence structurelle des paramilitaires, des multinationales et de l’oligarchie colombienne et sera composée de membres du mouvement social colombien, de défenseurs·euses colombien·nes des droits humains et d’étranger·es solidaires. 

L’objectif de cette caravane est triple: d’une part, rendre visible et dénoncer les violations permanentes des droits humains sur notre territoire, d’autre part, dénoncer les entreprises transnationales extractivistes et leurs liens avec les violations des droits humains et, enfin, rendre visibles nos propres propositions de développement communautaire et nos expériences de pouvoir populaire.

En 2022, pour la première fois dans l’histoire de la Colombie, il y a un président progressiste, ce qui suscite de grandes attentes quant à l’amélioration des conditions de vie dans le pays et à la paix. Cependant, après presque deux ans de mandat, le conflit politique, social et armé en Colombie a repris, affectant avec une intensité particulière certaines régions du pays, comme celle dans laquelle je vis, Arauca dans le nord-est. 

Nous pensons qu’il ne s’agit pas d’un gouvernement de gauche, comme nous pensons qu’il devrait l’être, mais d’un gouvernement libéral et réformiste capitaliste qui n’est qu’une partie du pouvoir établi, et que, par conséquent, les changements structurels dont cette société a besoin ne seront pas possibles. Cependant, nous avons soutenu des réformes ou des politiques qui bénéficient aux intérêts de la majorité des Colombien·nes, et nous continuerons à défendre, dans le feu de la mobilisation, les droits fondamentaux et les garanties pour une vie digne et permanente dans nos territoires.

Oui, «malheureusement», notre région est riche en minerais et en pétrole. La région (Arauca, Casanare et Meta) produit 75% du pétrole colombien. Il existe des structures armées connues sous le nom de FARC dissidentes liées au trafic de drogue, qui sont de nouvelles expressions paramilitaires. L’une des bases étasuniennes les plus importantes pour contrôler le Venezuela et le Cône Sud y est établie. La milice ELN y a également une présence significative. 

Il existe une violence structurelle à l’encontre de la population araucanienne et du mouvement social. Certains dirigeant·es de nos villages ont été menacé·es, stigmatisé·es, kidnappé·es et assassiné·es.

Depuis notre fondation il y a presque 30 ans, nous dénonçons les violations des droits humains dans notre région, nous aidons les victimes, nous accompagnons les communautés, plus de 100 familles dont les proches ont été exécuté·es ou nous conseillons des camarades qui ont fait l’objet de montages judiciaires et qui ont été privé·es de leur liberté.

Pour les classes dominantes, nous sommes l’ennemi, car nous nous opposons à leurs plans de dépossession et d’appropriation des ressources naturelles, des terres et des territoires, dans le cadre de la doctrine de sécurité nationale basée sur l’«ennemi intérieur». 

Nous avons une proposition politique, économique et environnementale que nous avons appelée Plan de Vida (Plan de Vie), avec laquelle nous avons géré les transformations sociales sur le territoire. L’un des points forts de ce plan est que nous avons guidé les communautés paysannes de notre région pour éradiquer les cultures de coca, dans un processus qui s’est déroulé de 2007 à 2010, ce qui a permis d’ôter à l’État, aux paramilitaires et au gouvernement étasunien l’excuse de militariser notre région et d’emprisonner nos dirigeant·es.

Pour remplacer la coca, nous plantons du cacao, des bananes, défendons l’agriculture locale, projetons l’agro-industrialisation. Nous avons également mis en œuvre des projets communautaires, tels que le droit à l’eau, à la santé et à l’éducation, en tant que droits fondamentaux et publics, qui doivent sortir de la logique capitaliste du profit de quelques-un·es. 

Bien sûr, nous avons parfois peur et craignons pour nos vies et celles de nos familles, mais iels se trompent s’iels pensent pouvoir nous briser, nous sommes tombé·es de nombreuses fois, mais nous sommes toujours relevé·es et avons continué notre travail. Nous portons dans nos communautés et nos programmes un autre monde, un monde de paix, de justice et d’égalité, et nous continuerons à nous battre pour lui.

Propos recueillis par Juan Tortosa