La police tue, la justice acquitte

Lundi 8 juillet, la Cour pénale d’appel du Canton de Vaud a acquitté les six policiers impliqués dans la mort de Mike Ben Peter. Un nouveau verdict qui confirme l’impunité policière et le racisme de l’institution judiciaire. Entretien avec le collectif Kiboko.

Manifestation contre les crimes policiers et le racisme d'Etat en Suisse
Plus de 500 personnes ont défilé dans les rues de Lausanne samedi 13 juillet pour dénoncer les crimes policiers et le racisme d’État en Suisse

Le premier enjeu juridique de ce procès a été celui des nouvelles expertises médicales apportées par Me Ntah, l’avocat de la famille de Mike. Pour rappel, le verdict en premier instance se basait sur deux expertises officielles qui concluaient que la mort était d’origine multifactorielle. Pour ce procès,  Me Ntah a sollicité deux experts étasuniens renommés, impliqués dans des cas comme celui de George Floyd, qui ont conclu que c’était bel et bien la violence policière et le plaquage ventral qui avaient causé la mort de Mike Ben Peter.

L’avocat de la famille a demandé qu’ils soient entendus avec les experts suisses pour clarifier leurs conclusions divergentes, et un report de l’audience pour permettre aux experts étasuniens de se prononcer sur les rapports suisses. Cette réquisition d’entrée de cause n’a pas été acceptée par les juges.. Ils ont également refusé de considérer l’aggravation de l’acte d’accusation d’homicide par négligence à meurtre par dol éventuel. Néanmoins cette fois-ci, ils ont accepté d’instruire sur l’abus de pouvoir et de réauditionner un témoin. 

Lors de ce procès, les questions de la cour semblaient enfin mettre en difficulté les versions des policiers. Cela nous a fait croire qu’il y aurait peut-être une condamnation pour abus d’autorité. Mais nous avons aujourd’hui compris que les juges se sont en fait montrés plus malins que leur collègue de première instance: leur jugement prend en considération plusieurs éléments qui avaient été totalement écartés l’année passée, afin qu’il ne soit pas remis en question à la Cour du Tribunal Fédéral en cas de recours.

La défense des policiers repose sur une version minutée, concertée et répétée des événements, visant à légitimer leurs actions, tout en présentant Mike comme un individu dangereux, oppositionnel et doté d’une force surhumaine. Tout ceci à travers un lexique raciste et déshumanisant.

L’asymétrie de la force est pourtant évidente et à aucun moment Mike n’a agressé les policiers. Leurs récits étaient sans cesse traversés de paradoxes et d’incohérences: les policiers décrivaient la détresse et l’urgence dans laquelle leurs collègues opéraient et en même temps, ils soulignaient leur professionnalisme quand ils ont asséné leurs coups, les qualifiant de «frappes contrôlées». Ils se souvenaient exactement où ils avaient mis leur genou en écrasant Mike, cependant, ils ne se rappelaient pas qui étaient les policiers autour, ni ce qu’ils faisaient.

Pourtant, nous ne pouvons que penser que ces évènements se sont passés de manière chaotique et brutale.

Selon les avocats des policiers, les cris de Mike n’étaient pas des cris de douleur mais des manifestations d’une violente opposition et les actions des policiers visaient carrément à le «protéger de lui-même».

Plusieurs avocats ont aussi invoqué le «syndrome du délire excité» pour expliquer la mort de Mike. Les policiers et leurs avocats ont finalement insisté sur le fait qu’ils avaient agi conformément à leur formation et que, si une situation similaire se présentait, ils agiraient de la même manière.

Me Favre, l’avocat d’un policier a même insinué que c’est du fait de son activité que Mike s’exposait à la mort et que sans l’intervention des policiers (et la mort de Mike), les habitant·es du quartier se plaindraient encore des dealers. Nous étions abasourdis par la cruauté d’un tel raisonnement. Ce sont pourtant ces éléments qui ont fondé ensuite le verdict de la cour.

Parmi d’autres éléments, Me Ntah a souligné que les arguments de la défense policière, tels que la crainte de blessures et l’opposition de Mike, sont les mêmes que ceux utilisés dans des cas célèbres comme celui de Rodney King en 1991.

Il a aussi critiqué l’utilisation de stéréotypes racistes pour déshumaniser les victimes de violences policières et minimiser la responsabilité des policiers. 

Il a également rappelé que le «syndrome du délire excité» est scientifiquement infondé et même banni dans certains États étasuniens. Ce syndrome sert ici uniquement à dédouaner les policiers de leur responsabilité dans la mort de Mike. 

Il a expliqué l’origine raciste du terme excited delirium, inventé par le médecin-légiste Charles Wetli en 1985 pour décrire la mort de femmes noires qui avaient en réalité été assassinées par un tueur en série (terme ensuite diffusé par la compagnie Taser, qui a investi des millions dans des études soutenant la validité de ce syndrome pour couvrir des crimes policiers, études reprises maintes fois dans le même but).

Dessins du procès des policiers qui ont tué Mike Ben Peter
Dessins réalisés par Nora Olivares au cours du procès des policiers qui ont tué Mike Ben Peter

Le résultat de ce procès n’est malheureusement pas surprenant. Ce verdict repose sur une inversion totale des rôles, où les bourreaux deviennent les victimes, et la victime la source du danger. Il montre à nouveau que la justice protège les policiers, malgré des preuves accablantes. Le racisme, mais aussi l’interdépendance de la police, du ministère public, et des juges, rend tout simplement impossible une condamnation. Pourtant, malgré leur stratégie de confusion, nous sentons un changement dans l’opinion publique et dans le traitement médiatique.

Nous avons organisé des restitutions collectives pour attirer l’attention sur le procès, sensibiliser le public au racisme, vulgariser les enjeux juridiques. Des actions devant le tribunal ont eu lieu chaque jour pour maintenir la pression médiatique. Finalement, la mobilisation de ce samedi a été une manière puissante de clore cet épisode, en promettant que ce combat n’allait pas s’arrêter là. Ces étapes juridiques rythment la lutte, car il n’y a pas d’autre choix que de briser le récit qui nous est imposé aujourd’hui et d’exposer l’impunité.

Pour le collectif, il s’agira de continuer à soutenir la famille de Mike dans ces processus, tant sur le plan financier qu’émotionnel. Un recours est évidemment envisagé par la famille, bien que ce ne soit pas encore confirmé. De manière plus générale, la lutte implique de continuer à dénoncer les violences policières et le racisme, en collaboration avec d’autres collectifs, notamment pour les cas de Lamin Faty et Nzoy qui vont être traités par la justice prochainement.

Propos recueillis par Guillaume Matthey

Soutenez la famille de Mike Ben Peter dans son combat! ↗︎