Le loup a bon dos
Le canton du Valais veut éradiquer quatre meutes entières de loups. D’autres cantons veulent aussi tirer à tout va – une meute complète pour Vaud. Entretien avec Mathilde Marendaz, députée au Grand Conseil vaudois.
Tu as fait plusieurs interventions au Grand Conseil à propos du Loup. Peux-tu résumer?
Différentes lois fédérales ont été passées suite à une pression importante des milieux qui défendent le tir du loup. Cela oblige dans une certaine mesure le Canton de Vaud à tirer. Toutefois, il a une certaine marge de manœuvre. L’an dernier, je suis intervenue plusieurs fois pour demander au Conseil d’État vaudois d’utiliser cette marge de manœuvre. Avec d’autres député·es, je me suis rendue sur l’alpage des Begnignes pour visiter un berger qui lutte contre le tir du loup, en proposant des mesures alternatives de protection des troupeaux, par exemple par des meilleurs enclos la nuit.
François Duruz et Anouk Strahm, berger·es vaudois·es, qui travaillent pour la fondation Jean-Marc Landry, ont fait un travail de sensibilisation et d’information auprès des autres berger·es de la région et en distribuant des kits «anti-loup» sans recours au tir. Iels sensibilisent au rôle important du loup dans la régulation de la faune et pour la biodiversité dans les forêts.
Ce qu’iels nous ont appris, c’est la détresse des petit·es éleveur·ses pour qui la problématique du loup opère comme un miroir grossissant. En réalité, celle-ci constitue pourtant un problème très mineur par rapport à la précarité économique auxquels iels font face.
La droite du Grand Conseil a été agressive sur ce thème, revenant tous les premiers mardis du mois avec des séries de questions pour accaparer le Conseil d’État. Ce sujet très émotionnel est aussi très électoraliste pour eux, une occasion parfaite pour éviter d’engager un débat économique sur l’agriculture, de parler de la répartition des richesses et des inégalités entre les exploitant·es.
Le réel problème des agriculteur·ices ce ne sont ni les loups ni les mesures biodiversité, mais la pression de la grande distribution qui fait disparaître les petites exploitations au profit d’une agro-industrie technophile et centralisée, loin de la paysannerie de subsistance.
C’est vrai que si on regarde les chiffres – en Suisse, moins de 0,1% des bovins et ovins sont tués par le loup, 0,3% meurent d’accident ou de maladie (en alpage) et 99,6% sont abattus par des humains. Comment dialoguer avec les petit·es exploitant·es sur ce sujet et plus généralement d’écologie?
Le travail de la fondation Oppal ou de Jean-Marc Landry consiste justement à aller dialoguer avec les éleveur·ses afin de partager – et c’est apparemment un besoin très important pour elleux de ressentir qu’iels sont entendu·es, mais également de faire connaître la réalité scientifique dont tu parles. Avec l’association Middle Way (la voie du milieu), les éleveur·ses dont je parlais ont mis en avant d’autres moyens de prévention pour apprendre aux éleveur·ses à cohabiter avec le loup, à commencer par la connaissance des meutes, meilleur moyen pour anticiper leurs comportements. L’association affirme que les tirs ont comme effet inverse de déstructurer les meutes et par conséquent, de rendre les loups beaucoup plus imprévisibles et donc… la cohabitation beaucoup plus difficile!
Dans le Canton de Vaud, l’État s’est trompé plusieurs fois de loup, tirant sur les «mauvais» individus avec justement cet effet déstabilisateur. Ainsi, tous les efforts entrepris par les associations qui œuvrent pour prendre en main cette problématique avec d’autres moyens sont réduits à néant! Je suis intervenue quelques fois pour dénoncer ces erreurs fatales.
Tu demandes que le Conseil d’État «rende publiques ses réflexions sur l’économie alpestre». Économie alpestre, ça veut surtout dire élevage et exploitation animale. Or, malgré les contre-vérités assénées par le lobby carnassier, cette exploitation contribue au réchauffement climatique. Supprimer les alpages permettrait de plus une reforestation des zones de moyenne montagne, ce qui capterait un peu de CO₂.
J’ai beaucoup discuté de ces questions, notamment avec des camarades antispécistes qui se sont impliqués dans la défense des alpages et du loup. Pour rendre audible une critique (nécessaire) de l’élevage dans la réalité et parvenir à sensibiliser à cette question, cibler frontalement l’élevage de montagnes, des petit·es éleveur·ses, me semble contre-productif.
Il faut créer un front large de lutte contre le modèle capitaliste d’agriculture, incarné par exemple par les gigaporcheries qu’on peut avoir même en Suisse, où il y a une souffrance animale qui est complète et sans limites, avec des émissions massives de méthane. Dans cette perspective, je défends une paysannerie de subsistance qui valoriserait mieux la production et permettrait la diversification des types d’agriculture en maintenant des petits domaines.
La question de la distribution est centrale. Il faut démanteler le monopole des géants oranges en Suisse, qui génère des marges immenses, que les paysan·nes peuvent difficilement boycotter, ou à leurs dépens.
Face aux lobbys de l’agroalimentaire, de l’agrochimie, etc, nous devons nous ranger aux côtés de la paysannerie de subsistance et révéler un clivage de classe dans le monde agricole, clivage que la droite essaie de dissimuler derrière des campagnes émotionnelles comme celle du loup.
Propos recueillis par Niels Wehrspann