Course contre la montre
Après des années fastes, l’industrie horlogère suisse constate des baisses de ventes en 2024. La pression s’accroît sur les employé·es déjà très mal loti·es.
L’ industrie du luxe en Europe a vu ses ventes chuter en 2024. En Suisse cela se traduit par une réduction des exportations de l’industrie horlogère, qui trouvent majoritairement leur commercialisation sur le marché étasunien (principal débouché mondial pour les produits de luxe en général) et sur le marché asiatique. La baisse de la demande chinoise est la principale cause du recul des exportations.
Les patrons ont rapidement réagi par des demandes de réduction des horaires de travail (RHT), voire des licenciements, principalement dans le secteur de l’horlogerie.
La question de l’emploi nous préoccupe, car ces travailleurs·euses de territoires à forte spécialisation n’ont pas vraiment le choix du type d’emploi, comme dans d’autres régions de l’arc jurassien. Leur avenir dépend d’une poignée de millionnaires, composée des patron·nes et des consommateur·ices de l’industrie du luxe.
Héritage d’un monde archaïque, les produits de luxe, réservés à l’élite dirigeante des cours royales et impériales, ont été repris comme marqueurs de la richesse des nouvelles bourgeoisies. La nouvelle classe dominante a industrialisé la production d’objets de luxe. Symbole des capitalismes émergents du début du 21e siècle, le marché du luxe a trouvé de nouveaux débouchés en suivant les processus d’accumulation du capital en Asie.
Mais cette croissance de l’industrie du luxe est une insulte aux populations pauvres, encore majoritaires sur la planète.
Salaires faramineux?
Sources de grands profits, ces industries du luxe ne sont pas synonymes de salaires faramineux pour leurs employé·es, ni de garanties pour les emplois.
Selon un sondage réalisé par UNIA fin 2019 dans la branche de l’horlogerie, représentatif selon ce syndicat (65% des réponses venaient d’ouvrier·es dans la production), les salaires n’étaient pas mirobolants. Le salaire médian était d’environ 5000 francs par mois, plus de la moitié se trouvant en dessous. Pire, 12% étaient inférieurs à 4000 francs par mois et concernaient dans l’écrasante majorité des salaires féminins (82%)! Nous sommes bien loin des revendications de l’USS, qui demande un salaire minimum de 4500 francs et de 5000 francs pour les employé·es qualifiés (ayant acquis un CFC).
Discriminations salariales
Dans ce secteur industriel, les femmes sont surreprésentées dans les catégories salariales inférieures (3500 – 4000 et 4000 – 4500 francs mensuels). L’inégalité des salaires moyens entre hommes et femmes (respectivement 5824 contre 4631 francs) est ainsi flagrante, avec une différence de 20%, dépassant largement l’écart observé selon le lieu d’habitation (Suisse ou France), qui est de 399 francs.
Il n’est pas surprenant que selon 72% des réponses du sondage, la ségrégation salariale est bien réelle.
Pour terminer ce tableau peu idyllique, 9% de femmes ont été licenciées à leur retour du congé maternité, 39% des sondé·es considèrent insuffisantes les mesures de santé et sécurité au travail, 45% ressentent beaucoup de stress et 17% sont proches du burn-out.
La complainte du patronat
Les exportations s’étaient envolées en 2022 et 2023, augmentant de 7,6%, et atteindre 26,7 milliards de francs, avec une forte pression pour effectuer des heures supplémentaires. Durant cette période faste, les entreprises ont largement distribué des centaines de millions à leurs actionnaires, elles demandent aujourd’hui un soutien via les RHT.
Visiblement, le goût du risque de ces capitalistes s’est évanoui: désormais, ils se présentent comme des victimes de la mondialisation et du franc fort. Et puis, en Suisse il est tellement facile pour les patron·nes de solliciter l’assurance-chômage afin d’obtenir des indemnités.
Pour les employé·es de l’horlogerie, la situation se pose dans des termes différents, il ne s’agit pas de vivre des dividendes mais de disposer d’un salaire pour vivre.
Dès lors, dans une perspective durable et écosocialiste, nous devons nous interroger sur cette préoccupation du monde du travail: comment maintenir des emplois dans l’avenir, qui deviennent socialement utiles et acceptables, comment entamer une reconversion industrielle pour se détacher d’une industrie au fonctionnement cyclique et dépendante d’une accumulation capitaliste? Quelles seraient les activités de reconversion, comment les financer, quelles formes de transition? Ce serait aussi l’occasion aussi de donner davantage de sens au travail et à ses produits finaux (qu’ils soient matériels, services ou intellectuels) et à son dépérissement dans une société qui produit trop de marchandises pour des usages futiles.
Le stress des cadences, des horaires et de l’exploitation dans le travail est-il une fatalité? Non, il faut plutôt y voir une conséquence d’un modèle économique et social que nous voulons voir disparaître, pour construire un avenir sans exploitation ni aliénation. L’industrie du luxe est incompatible avec la justice sociale.
José Sanchez