Un effroi qui masque la violence patriarcale ordinaire

Depuis le 2 septembre dernier, se déroule à la cour criminelle de Vaucluse à Avignon le dit «procès de Mazan», ou procès Pélicot. L’effroi suscité par cette affaire traduit pourtant un certain aveuglement face au caractère systématique des violences de genre.

Manifestation nationale contre la violence et l'oppression, Berne, 23 novembre 2024

Ce procès, c’est celui de Dominique Pélicot, septuagénaire père et grand-père de famille, qui a soumis chimiquement son épouse pendant dix ans, l’a violée et a activement recruté sur un forum internet plusieurs dizaines d’hommes qui ont à leur tour, et pour certains d’entre eux à plusieurs reprises, violé Gisèle Pélicot inconsciente. 51 hommes, âgés de 26 à 74 ans, toutes origines sociales confondues, comparaissent ainsi pour viol aggravé. Le verdict final est attendu au plus tard pour le 20 décembre prochain.

Ces faits ont suscité de nombreuses réactions d’effroi en France et dans le monde. Celui-ci peut paraître compréhensible devant l’ampleur, numérique et temporelle, des viols subis par Gisèle Pélicot. Il traduit pourtant d’une forme de surdité qui demeure dans les sphères médiatiques, politiques, juridiques, et plus généralement dans l’opinion publique, vis-à-vis de la problématique des violences de genre en général, des violences sexuelles en particulier, et de leur caractère systémique. 

Comme le rappelait la philosophe Camille Froideveaux-Metterie dans une tribune sur Mediapart le 9 septembre dernier, rien dans cette affaire n’est exceptionnel, ni inédit. 

En termes statistiques, rappelons que selon une enquête conduite en 2022, en France, chaque jour, 217000 femmes âgées de 18 à 74 ans subissent un viol, une tentative de viol ou une agression sexuelle. 

En Suisse, en 2024, 18 femmes ont été tuées en raison de leur genre

Selon des chiffres de l’ONU publiés ce lundi 25 novembre, 85000 femmes et jeunes filles ont été tuées de manière intentionnelle dans le monde ces 12 derniers mois, soit un meurtre toutes les 10 minutes. 

Les théoriciennes et militantes féministes qui, depuis les années 1970, se mobilisent pour lutter contre ces violences répètent inlassablement que ces dernières sont le fait d’hommes de tous âges et de toutes origines sociales. Elles démontrent notamment que la cellule familiale nucléaire hétérosexuelle est un lieu privilégié d’appropriation et d’exploitation des corps des personnes subalternes – les compagnes et les enfants – par les dominants – les compagnons et bons pères de famille. 

Face à cet aveuglement persistant, les militantes féministes n’ont de cesse de se mobiliser et de travailler à la construction de fronts larges. Le samedi 23 novembre dernier, plusieurs centaines de milliers de personnes se sont ainsi rassemblées dans différentes villes de France à l’appel des collectifs #NousToutes. En Suisse, une première manifestation nationale a été organisée le même jour à Berne. Elle a rassemblé plusieurs milliers de personnes et marque le début d’une campagne nationale de «16 jours d’activisme contre les violences basées sur le genre». Lundi 25 novembre, des rassemblements se sont tenus dans différentes villes du pays. 

Mais la mobilisation contre les violences de genre ne peut pas être le seul fait des mouvements féministes. Notre camp social et politique dans son ensemble a une place à prendre dans cette lutte. Pour cela, il est plus que jamais nécessaire d’accorder aux analyses et pratiques féministes une place centrale au sein même de nos organisations. 

Noémie Rentsch