Crises institutionnelles en série

Incapacité à former une coalition centriste face aux succès électoraux de l’extrême-droite en Autriche; rupture de la coalition gouvernementale et organisation d’élections fédérales anticipées en Allemagne; dissolution de l’Assemblée nationale suivie d’une instabilité gouvernementale en France… En 2024, les crises institutionnelles se sont enchaînées à un rythme inédit dans plusieurs pays européens. 

Discours de Politique générale de François Bayrou à l'Assemblée nationale française, 14 janvier 2025
Discours de Politique générale de François Bayrou à l’Assemblée nationale française, 14 janvier 2025

Pour beaucoup de commentateur·ices libéraux·ales, les «démocraties» seraient en danger, faisant face à plusieurs menaces extérieures: la poussée de forces « illégitimes » et « populistes » (États-Unis, Argentine, Inde) d’une part, et la pression de régimes « dictatoriaux » (Russie, Chine, Iran) d’autre part. 

Si les composantes de ces crises sont multiples et complexes, elles ne peuvent se réduire à des ambitions individuelles et politiciennes (Trump, Macron, Modi, Johnson). L’essoufflement des démocraties libérales représentatives s’explique en dernière analyse par un épuisement d’un modèle économique.

Les partisan·nes du libéralisme et de la mondialisation du 21e siècle avaient laissé croire que les puissances dominantes le resteraient, en exploitant à leur avantage les nouveaux marchés et la nouvelle force de travail.

En même temps, les capacités de production à l’échelle mondiale se sont envolées, exacerbant la concurrence planétaire au fil des ans et renforçant sur le marché mondial les nouveaux arrivants, la Chine en premier lieu. Inévitablement, le surplus de production marchande (automobiles, charbon, pétrole, acier, produits agricoles, etc) va devoir être absorbée ailleurs. À cela se sont ajoutées différentes crises financières (subprimes, la dette européenne, covid).

Les conséquences sociales (montée des inégalités et de la précarité, austérité affaiblissant les services publics) ont accentué la dislocation des équilibres politiques traditionnels des blocs bourgeois, assimilés à des «démocrates». Les fissures dans le libéralisme économique se sont étendues au monde politique, les forces conservatrices aux commandes ont été concurrencées par de nouveaux arrivants, qui se sont construit une nouvelle légitimité et une base électorale à l’extrême-droite. 

La peur sociale a été instrumentalisée par la question de l’immigration, dont toutes les nouvelles forces politiques en Europe, de la Finlande au Portugal, se sont emparées. Question clé de la crise du Brexit, elle est restée omniprésente en Europe et représente un moulin électoral, aussi bien à droite qu’à gauche (par exemple en Allemagne avec BSW), et bien sûr aussi aux Etats-Unis.

L’agitation des « menaces étrangères » permet de masquer des problèmes plus fondamentaux. La surproduction de marchandises, la compétition féroce entre les grandes compagnies dans l’automobile, l’acier, l’énergie et la numérisation annoncent des licenciements en masse, et provoquent de l’insécurité sociale. La croissance annoncée n’est pas au rendez-vous. Au déclassement social des classes populaires s’ajoute le déclassement de la petite bourgeoisie industrielle et commerçante.

Aux barrières des frontières viennent s’ajouter des politiques «protectionnistes» avec des taxes sur les importations. La stagnation dure depuis plus de deux ans sur l’UE, sans véritable signe de reprise. Nulle entrave par contre pour les mouvements de capitaux qui sautent les continents selon les taux d’intérêt des banques centrales et des emprunts d’obligations. Mais les hausses boursières ne sont qu’un mirage spéculatif, ne profitant qu’à une poignée de super-riches. La production industrielle ne profite pas de la baisse de l’inflation. La récession s’installe, les doutes sur l’avenir aussi.

Dans ce contexte les crises institutionnelles dans différents pays vont se cristalliser sur de nouvelles mesures d’austérité sociale, partout le système des retraites est la première cible.

Jose Sanchez