Liban-Palestine, Guerre immorale, illégale, impériale...
Liban-Palestine, Guerre immorale, illégale, impériale…
Dans cet entretien, dont nous publions
lessentiel, paru dans Al-Ahram Weekly, Noam Chomsky revient sur
la guerre dagression israélo-américaine contre le Liban et les Palestinien-ne-s.
Des pays arabes ont déclaré quils ne
couperaient pas les liens avec Israël, considérant que
cétait la guerre du Hezbollah, les conséquences de
la faute du Hezbollah. Pensez-vous quil y a eu et
quil subsiste des pressions américaines
derrière ça?
A une réunion durgence de la Ligue arabe la plupart des
Etats arabes sauf lAlgérie, le Liban, la Syrie et
le Yémen ont condamné le Hezbollah. Ce faisant,
ils voulaient «défier ouvertement lopinion
publique», selon le New York Times. Ils ont dû ensuite
faire marche arrière, même le plus important et ancien
allié des Etats unis, lArabie saoudite. [
]
La plupart des analystes considèrent à juste
titre, je pense que leur préoccupation première
est linfluence grandissante de lIran et lembarras
causé par le fait que, seul dans le monde arabe, le Hezbollah a
soutenu les Palestiniens soumis à une attaque brutale dans les
Territoires occupés.
Est ce quil y avait une quelconque justification
légale ou morale à cette guerre comme Bush, Rice et les
médias occidentaux le répétaient?
Laissons de côté Bush et Rice, qui sont des acteurs de
linvasion israélo-américaine du Liban. Nous savons
bien que selon les critères mêmes de lOccident il
ny a pas de justification légale ou morale à cette
guerre. Une preuve évidente en est le fait que pendant de
nombreuses années Israël a régulièrement
kidnappé des Libanais, les envoyant dans des prisons en
Israël, y compris des prisons secrètes comme le
célèbre Camp 1391, qui a été
révélé par accident et vite oublié (et aux
USA na même jamais été mentionné par
les grands médias). Personne na suggéré que
le Liban, ou qui que ce soit, avait le doit denvahir et
détruire la plus grande partie dIsraël en
représailles.
Comme le montrent ces nombreux et sinistres précédents,
le kidnapping de civils un crime bien plus grave que la capture
de soldats est jugé sans importance par les USA, le
Royaume uni et dautres Etats occidentaux et de
façon générale par leur opinion publique qui
nest pourtant pas obtuse quand cest fait par
«notre côté».
Ce fait a été confirmé de façon
spectaculaire au début de la flambée actuelle de violence
après que le Hamas ait capturé un soldat
israélien, le Caporal Gilad Shalit, le 25 juin. Cette action a
déclenché dénormes élans de
colère en Occident, et le soutien à la violente escalade
des attaques israéliennes contre Gaza. La veille, le 24 juin,
les forces israéliennes avaient kidnappé deux civils
à Gaza, un médecin et son frère, et les avaient
envoyés quelque part dans le système pénitentiaire
israélien. Lévénement navait
guère été rapporté et na
entraîné que peu ou pas de réaction de la
majorité de lopinion. [
]
Alors, pour Israël, nimporte quel prétexte peut justifier les massacres quotidiens au Liban et à Gaza?
Avec beaucoup dimagination, on peut inventer toutes sortes de
prétextes. Dans le monde réel il ny en a aucun. Et
on peut ajouter la Cisjordanie, oubliée, où les
Etats-unis et Israël poursuivent leur projet de planter les
derniers clous dans le cercueil des droits nationaux des
Palestinien-ne-s avec leur programme dannexion, de
«cantonalisation» et demprisonnement (par la
mainmise sur la vallée du Jourdain). Ces plans sont mis en
pratique dans le cadre dune autre imposture cynique: «la
convergence» (en hébreu, hitkansut),
présentée aux Etats-unis comme un «retrait»,
dans un exercice remarquablement réussi de relations publiques.
Sont aussi oubliées depuis longtemps les Hauteurs du Golan,
virtuellement annexées par Israël en violation des ordres
du Conseil de Sécurité (mais avec le soutien tacite des
USA).
Je viens dIrak, aussi je vois bien que la guerre
menée actuellement contre le Liban et Gaza est un
élément essentiel du projet de Bush de modifier la
région, de redessiner les frontières tracées par
Sykes- Picot…
Je ne crois pas que la plupart dentre eux aient jamais entendu
parler de Sykes-Picot. Ils ont leur propre plan pour la région.
Vient en premier lieu la détermination traditionnelle à
contrôler la plupart des ressources énergétiques du
monde. Ceux qui ne lacceptent pas peuvent sattendre
à devenir la cible de subversion ou dagression. Rien de
surprenant, en tout cas pour les personnes qui connaissent
lhistoire…
Comment peut-on expliquer le rôle du Conseil de
Sécurité dans la destruction du Liban et de Gaza
aujourdhui, et celle de lIrak avant?
Le Conseil de Sécurité agit dans les limites qui lui sont
fixées par les grandes puissances, particulièrement les
USA. A leur tour, les Etats-Unis peuvent en général
compter sur la Grande Bretagne, surtout celle de Blair, décrite
de façon ironique dans le plus important journal britannique sur
les questions internationales comme «porte-lance de la Pax
Americana.»
Dans les premières années daprès-guerre,
pour des raisons évidentes, les Nations Unies étaient
sous domination globale des Etats-Unis et étaient très
populaires auprès des élites américaines. Vers le
milieu des années 60 cela devint moins vrai, à cause de
la décolonisation et du rétablissement des
sociétés industrielles après les
dévastations de la guerre.
Depuis lors, les Etats-Unis tiennent la tête pour ce qui est de
mettre leur veto aux résolutions du Conseil de
Sécurité, sur toute une série de questions, devant
la Grande Bretagne, avec tous les autres loin derrière. En
parallèle, le soutien des élites aux Nations Unies a
beaucoup diminué aux Etats-Unis, bien que et cest
intéressant le soutien populaire aux Nations Unies reste
très fort, ce qui est une illustration de lénorme
fossé entre lopinion publique et la politique publique
aux Etats-Unis.
Plus important encore que cette contrainte cruciale, la puissance
états-unienne autorise à élaborer les
résolutions et actions quelle est prête à
accepter. [
] Les forces populaires pourraient faire une
différence substantielle et le font parfois, mais tant que le
«déficit démocratique» qui prévaut ne
sera pas réduit, cet effet restera limité
paru dans All-Ahram Weekly
du 17-23 août 06
Trad: Claude Léostic (AFPS)