Donbass

L'alliance d'un oligarque ukrainien avec la «Grande Russie»

Alexander Borodai, ancien «Premier ministre» de la République populaire auto-proclamée de Donetsk (RPD) a affirmé récemment, lors d’un meeting nationaliste russe, que Rinat Akhmetov, le principal oligarque du Donbass, dont la fortune est évaluée à 6–7 milliards de dollars, soutenait les séparatistes.

Cette réunion avait été organisée à Moscou, le 14 mars, par Igor Prosvririne, éditeur de Spoutnik et Pogrom, un site nationaliste branché, et postée sur YouTube le 26 mars. C’est la première fois que la collaboration entre cet oligarque et les séparatistes du Donbass est reconnue si ouvertement. Le compte-rendu ci-dessous est tiré de l’enregistrement vidéo de cet événement (en russe), disponible sur YouTube (youtube.com/watch?v=TmoU-MvSDQQ).

Séparatistes au service d’un oligarque

Interrogé sur les raisons pour lesquelles les biens de Rinat Akhmetov n’avaient pas encore été nationalisés par la « République populaire », comme cela avait été promis antérieurement, Borodai a répondu que cela n’était pas possible : «Imaginons que nous nationalisions effectivement M. Akhmetov, a-t-il poursuivi. Les affaires qui lui appartiennent, situées sur le territoire de la RPD, ont fonctionné pendant tout ce temps avec une étonnante stabilité. Et M. Akhmetov, qui a été un pilier et un fondateur de la politique ukrainienne pendant longtemps, un homme qui tenait même informellement l’Ukraine entre ses mains, trouve la situation actuelle avantageuse. Laissez-moi expliquer pourquoi. Il a beaucoup d’ennemis parmi les autorités actuelles de Kiev et au sein de l’establishment. Bien, Akhmetov trouve donc utile que les affaires situées sur le territoire de la RPD puissent tourner. Il est avantageux pour lui de pouvoir exporter ses produits. Ils doivent être chargés sur des bateaux. Vers quelle destination? L’Italie. Et comment? Par des ports de mer. Lesquels? Le seul port qu’il puisse utiliser est Marioupol.»

Borodai admet ainsi presque explicitement que Marioupol n’a pas été prise par les forces séparatistes pour la seule raison que celles-ci ont passé un accord avec Akhmetov. Les séparatistes laissent ce port ukrainien à l’oligarque pour lui permettre d’exporter les produits de ses compagnies fabriqués dans les territoires occupés, ajoute-t-il, et Akhmetov s’engage à soutenir les séparatistes de la RPD avec ses produits.

Petits arrangements entre amis

«Ainsi, savez-vous pourquoi nous n’avons pas pris Marioupol en septembre, même si nous en avions la possibilité, a repris Borodai? Parce que sinon, comment aurait-il exporté ses produits des territoires terroristes (selon l’Ouest) de la RPD vers l’Italie? De toute évidence, cela lui aurait été impossible. Il ne pouvait les faire sortir que du territoire ukrainien, et le seul port qui lui restait ouvert, c’était Marioupol. Odessa est contrôlé par Kolomoisky [un autre oligarque], et il n’en n’aurait jamais autorisé l’accès à Akhmetov. C’est pourquoi, Marioupol était la seule voie possible pour que les affaires d’Akhmetov continuent à fonctionner. Ce port devait donc rester sous le drapeau ukrainien bleu et jaune.»

De plus, «Akhmetov exporte ses produits en Italie et reçoit de l’argent», a ajouté Borodai. «A qui profite cet argent? Bien, sûr à M. Akhmetov avant tout, c’est clair. Et savez-vous quel est le montant de l’aide humanitaire fournie par Akhmetov à la RPD? La ‹République de Donetsk› vit en partie de cette assistance humanitaire. Et c’est par les sociétés de M. Akhmetov que des employés, qui sont aussi des citoyens de la RPD, sont payés. Imaginons juste que nous nationalisions les affaires de M. Akhmetov et que tout cela devienne notre propriété. Qu’en ferions-nous? Transporterions-nous ces produits en Italie pour les vendre? A qui? Imaginez des représentants de la RPD frappant à la porte d’une officine milanaise pour lui dire ‹Nous vous apportons vos lingots, 100000 tonnes de lingots».

Une guerre en vain ?

Le monologue de Borodai et sa reconnaissance des accords entre les séparatistes de la RPD et Rinat Akhmetov ont alors suscité la colère des nationalistes russes. Prosvirine l’a interrompu plusieurs fois pour dire que des oligarques russes auraient aussi pu se charger d’exporter les produits de la RPD. Mais Borodai a affirmé que ceux-ci n’auraient pas été capables de le faire.

«Pas un seul oligarque russe ne s’intéresserait à un tel projet, a-t-il expliqué. D’abord, la Russie dispose de produits similaires en quantité et ne saurait quoi en faire. Nos industries, y compris nos aciéries, tournent actuellement à 40% de leurs capacités. Les contrats internationaux sont conclus pour des quantités bien définies et ensuite renégociés. Et des experts peuvent aisément déterminer la provenance de produits volés. En d’autres termes, les Russes ne pourraient pas vendre des produits d’Akhmetov; ce n’est pas réaliste. Et qu’arriverait-il s’ils n’étaient pas vendus? Il n’y aurait plus d’aide humanitaire, et les travailleurs, ingénieurs et autres, ne seraient plus payés. Qu’est-ce que cela signifierait pour la ‹République de Donestk? La famine. Simplement la famine. Pas ce que nous connaissons aujourd’hui, mais une famine réelle, vraiment sérieuse».

Choqué par les commentaires plutôt cyniques de Borodai, Prosvirine lui a rétorqué que la guerre dans le Donbass avait donc été menée en vain. «Tout va donc rester exactement comme avant; seuls les signes vont changer, et la moitié de la ville aura été détruite par les bombes. On peut être contre le fascisme, pour le fascisme, être anti­fasciste ou fasciste, tout ce qu’on veut… Pourtant, ce qui compte, c’est que les résultats des privatisations des années 1990 sont sacrés», s’est-il exclamé de façon sarcastique.

Pour toute réponse, Borodai lui a répondu que personne n’avait promis une révolution sociale au Donbass. L’objectif principal de cette guerre, c’était une révolution, pas même nationale, mais plutôt impériale, au nom de la « Grande Russie ». 

Adelaïde Pougatchiova