Cinéma

Cinéma : Le droit à la ville contre le sport-business

A deux ans des JO de 2016, la mairie de Rio tente d’évacuer Vila Autódromo, une favela proche du futur village olympique. Mais plusieurs familles résistent. Samuel Chalard retrace leurs deux années de lutte dans Favela Olímpica, bientôt à l’affiche. Rencontre.

solidaritéS Comment un réalisateur romand en vient-il à s’intéresser au sort d’une favela à Rio?

Samuel Chalard Au départ, j’ai été marqué par des images de ce qui restait des JO dans les villes. Je me suis rendu compte que les JO, dans un laps de temps très court, servaient en quelque sorte de passe-droit, donnaient la possibilité de réaliser des changements urbains qui n’auraient jamais eu lieu autrement. Ça illustre comment les autorités rêvent leur ville, loin de comment les habitant·e·s la rêvent.

Puis en juin 2013, tout le Brésil est descendu dans la rue à un an de la Coupe du monde de football, avec des slogans comme «On veut des hôpitaux aux standards de la FIFA». C’étaient un peu les questions que je me posais, mais mieux formulées. Dès les premiers repérages, j’ai découvert l’histoire de Vila Autódromo. Ce qui était particulier, c’est que la communauté existait à côté du parc olympique, il n’était pas nécessaire de l’expulser pour construire. Si on voulait chasser les gens, c’est qu’il y avait autre chose.

Penses-tu avoir un rôle à jouer en tant que cinéaste?

Oui, et je pense que le film est très révélateur de ça. On a un monde difficile à déchiffrer, et l’actualité nous aide moyennement, car elle noie la complexité sous la succession d’événements. Je trouve important d’avoir cette liberté de décider quel laps de temps je prends pour mon film, qui je vais intégrer, etc. J’ai l’ambition d’aider à comprendre ce qui se passe aujourd’hui. C’est complexe, et la magie du cinéma permet de construire une réflexion sur un temps long.

Mon film laisse le public réfléchir par lui-même. Pour ça, je ne voulais pas de voix off, je n’avais pas envie qu’on dicte au public ce qu’il doit ressentir. Mais j’espère que les gens vont être un peu bousculés dans leurs attentes, leurs croyances.

Le tournage a-t-il servi d’outil pour l’émancipation des personnes filmées? A la fois parce que le film leur donne la parole, et parce que la présence d’une équipe pouvait participer à une forme de prise de conscience de leur propre force?

Je précise le processus. Quand on arrive là-bas, on se présente, on explique le projet, et les gens nous disent: très bien, ça va nous servir. Mais on leur répond très vite que pas vraiment, parce que le film sortira quand tout sera terminé. Du coup, la démarche leur paraissait abstraite, ils·elles comprenaient mal l’intérêt. Surtout que beaucoup de médias étaient déjà sur place.

Et puis ils·elles ont commencé à nous repérer parmi les journalistes – le chocolat suisse a bien aidé. Ils·elles ont commencé à nous demander des images, et à réaliser qu’on participait à la mémoire de la communauté, la mémoire de leur lutte. Eux·elles aussi se filmaient, mais ils·elles perdaient les rushs, n’archivaient rien. Alors, à l’arrivée, le film a une valeur particulière pour eux·elles. Et on m’a dit une phrase importante: «C’est le film d’un étranger, mais pas un film de gringo».

Ce que je retiens aussi, c’est la manière dont les habitant·e·s se sont surpassés. Des gens les aidaient, des universitaires, des juristes, mais les gens de la communauté ont été le vrai moteur. Ce ne sont peut-être pas des favelados·as typiques: beaucoup ont une formation, ou en tout cas une forme d’éveil aux enjeux politiques. Mais ces gens ont quand même peu, et si on compare aux armes de leurs adversaires, ils·elles n’ont rien. Et ils·elles avaient une capacité à se réinventer à chaque difficulté, à trouver la force de continuer. Ils·elles ont su donner une valeur au peu qu’ils·elles ont, à l’histoire du lieu et de la communauté. J’étais très admiratif, j’étais bluffé.

Est-ce que ce combat a une dimension universelle?

On était à l’endroit qui fait le plus mal. Rio, c’est la fin de ces JO concentrés sur un site, avec l’impact le plus négatif. Le CIO en est conscient, et dans son agenda 2020 ils tentent de promouvoir des Jeux «durables», avec un héritage qui soit gérable.

Mais je crois à la portée universelle de ce qu’on a filmé. C’est mon ambition de dire: voilà, cette petite histoire là-bas peut nous éclairer sur la manière dont marchent les choses aujourd’hui.

Retour en Suisse pour finir. Le film a bénéficié de financements publics. En tant que cinéaste, comment réagis-tu à l’initiative No Billag (qui demande la suppression des redevances radio et télé)?

Pour moi c’est une folie. Ce serait renoncer à ce qui est là, qui est bien sûr critiquable, mais qui est là. Ce qui existe est énorme, on ne se rend pas compte. Laisser l’information au privé, c’est fou. On sait bien comment fonctionne le privé. On voit très concrètement, par exemple avec les gratuits, le type d’information qui se fait. On a besoin d’autre chose pour comprendre le monde tellement complexe d’aujourd’hui, comme je disais avant. Comprendre demande du temps.

No Billag serait catastrophique pour l’information et les médias en général. Et j’ai l’impression que, comme c’est là, comme ça fonctionne, les gens ne se rendent pas compte, et ne pensent pas à ce qu’il y aura à la place. Du coup, j’ai peur d’un effet Brexit: tout le monde croit que ça ne peut pas passer tellement c’est loin, et finalement ça passe.

Propos recueillis par Guy Rouge

Quelques dates

24 novembre avant-première au Bio (Genève)

29 novembre avant-première au Capitole (Lausanne)

3 décembre avant-première à l’ABC (La Chaux-de-Fonds)

5 décembre avant-première à l’Apollo (Neuchâtel)

6 décembre sortie en Suisse romande.