Élargissement des BRICS
Un bouleversement post-occidental?
Le dernier sommet des BRICS à Johannesbourg a annoncé son élargissement de 5 à 11 membres, en le présentant comme la volonté d’être une alternative au G7, pour construire un autre monde «multipolaire» sur le plan économique et politique. Est-ce un projet plausible ? Quelles sont leurs réelles motivations et leurs contradictions internes?
Un premier constat. Derrière la dénonciation, indiscutable sur beaucoup d’aspects, du monde «occidental» et «unipolaire», dominé par la puissance économique, financière et militaire des États-Unis, il y a une première contradiction évidente. L’ensemble «multipolaire» proposé se situe complètement dans le cadre des échanges marchands et des rapports capitalistes mondialisés. Nulle trace d’une critique fondamentale de la propriété privée, des conditions d’exploitation et d’appropriation de la nature et de la force de travail.
En quoi copier le capitalisme chinois ou indien serait plus émancipateur que de suivre les modèles états-uniens ou européens?
Nouveaux concurrents
Le groupe actuel des BRICS (acronyme de Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) n’est pas exactement un modèle de développement social et écologique. L’Inde et la Chine sont les plus gros consommateurs mondiaux de charbon et le Brésil de Lula n’a pas pris la tête de la réduction de l’exploitation de nouveaux gisements d’énergies fossiles, de la préservation de la forêt amazonienne et de la lutte contre l’agriculture industrielle.
Les BRICS sont candidats à un nouveau plan de distribution des richesses de la planète. Deux d’entre eux (la Chine et l’Inde) visent la première place sur le podium mondial. C’est le reflet de la compétition acharnée entre des sociétés multinationales de nouveaux pays émergents avec celles des puissances traditionnelles. Des concurrences féroces, déjà vues ces dernières décennies entre les capitalismes étasunien, britannique, japonais, coréen ou européen.
Affaiblir l’adversaire?
À défaut d’être une alternative anticapitaliste, est-ce que l’affaiblissement des économies du G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) créerait des conditions de luttes plus favorables dans nombre de ces pays ? Encore faudrait-il que ce BRICS élargi puisse constituer une concurrence et une menace réelles pour les pays capitalistes dominants.
Les pays candidats forment un ensemble assez disparate. L’Argentine est au bord de la faillite financière, avec une dette gigantesque auprès du FMI (45 milliards de dollars) et une inflation galopante (115%). Même instabilité pour l’Iran, avec une industrie vieillissante, une contestation interne et une pauvreté croissante de la majorité de la population. Ces deux pays, auxquels on peut ajouter l’Éthiopie et l’Égypte, ne sont pas vraiment de nouveaux marchés solvables pour les grands États des BRICS.
L’Arabie saoudite, leader de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), et les Émirats arabes unis ont une solide stabilité financière, mais leur décision (en accord avec la Russie) de maintenir un prix du pétrole brut élevé aggrave la situation économique de leurs futurs partenaires. Parallèlement, l’Inde et la Chine profitent des sanctions contre Moscou pour importer du pétrole russe à prix cassé.
Nouvelles puissances
Le poids actuel de la Chine (70 % de l’économie des BRICS) en fera le pays dominant. Sera-t-elle pour autant le porte-parole des damné·e·s de la terre ? Sa montée en puissance l’a placée à la fois en tant que partenaire incontournable des États-Unis et premier acheteur des obligations publiques étasuniennes. Mais elle s’expose désormais à différentes mesures de rétorsion (taxes, limitations dans les importations, investissements et subventions publiques en faveur de certaines industries), destinées à redonner des avantages concurrentiels au «made in USA» sous couvert de défense de la démocratie et des droits humains. Résultat, les entreprises chinoises investissent dix fois moins qu’en 2016. Ces limitations ont aussi réduit les possibilités d’exportations.
Mais la croissance créée par 20 ans de mondialisation ont rendu toutes ces économies interdépendantes. Les relocalisations prendront du temps, si tant est qu’elles se réalisent. Pour beaucoup d’industries, produire en Chine reste la meilleure option. Et la Chine vise désormais le marché européen de la voiture électrique.
Alliances conflictuelles
La bureaucratie chinoise ne cherche pas exporter le «socialisme aux couleurs de la Chine» mais à élargir sa sphère d’influence et commerciale.
L’hétérogénéité des intérêts du groupe élargi, leurs faiblesses internes, voire leurs conflits (entre l’Inde et la Chine, entre l’Iran et l’Arabie saoudite) diminue la capacité des BRICS à agir en bloc. Outil politico-diplomatique pour Pékin, recherche d’équilibre pour New-Dehli, ces pays tissent des liens de circonstances plutôt que des alliances, le tout pour le profit exclusif des classes dominantes.
Pour les forces anticapitalistes, la perspective d’une coordination élargie et plus étroite doit se baser sur un programme de rupture et sur une indépendance institutionnelle avec tous les gouvernements de ce monde.
José Sanchez