Néocolonialisme et pillage des matières premières en Afrique

Dimanche 7 avril s’est tenu à Lausanne le contre-sommet «Stop pillage» en opposition au Financial Times Commodities Global Summit qui a lieu chaque année au Beau-Rivage Palace. La conférence de clôture portait sur le néocolonialisme en Afrique. Compte-rendu.

Manifestation contre le Financial Times Commodities Global Summit
Manifestation du 6 avril contre le sommet des pilleurs et pollueurs à Lausanne.

Cette conférence avait pour objectif de rappeler à la gauche et aux militant·exs anti-­impérialistes que les questions de race sont intrinsèquement liées aux questions impérialistes et écologiques. Mais également d’introduire le cas d’école de la RDC qui compile les dimensions impérialistes, écologistes, coloniales et raciales. 

Les intervenant·exs étaient des membres du collectif Afro-Swiss – qui lutte contre le racisme anti-noir·exs avec une approche intersectionnelle – et Amzat Boukari-­Yabara, historien qui travaille sur l’histoire moderne de l’Afrique, actif au sein de la Ligue Panafricaine et qui a co-dirigé l’ouvrage L’Empire qui ne veut pas mourir, Une histoire de la Françafrique publié en 2021. 

Cet ouvrage collectif cherche entre autres à dépoussiérer le concept de Françafrique. En effet, celui-ci n’a pas été réactualisé depuis une vingtaine d’années, sans intégrer le tournant néolibéral de cette période et son extension actuelle. Pour ce faire, il faut remonter aux racines de ce système, dans le contexte colonial, à partir de deux éléments: le racisme et le capitalisme. 

Colonialisme et néocolonialisme

L’indépendance de Haïti de 1804 à la suite d’une révolution, à la fois en continuité et en dissidence avec la révolution française de 1789, a une influence considérable sur la colonisation du continent africain. En effet, il en résulte  une volonté d’organiser les colonies de telle sorte que lorsque les colons devront partir, les colonisé·exs elleux-mêmes leur demanderont de rester. Le but des colons était donc de produire du lien, de l’assimilation et surtout de la dépendance. Cela se faisait notamment à travers la mise en place d’infrastructures de pillage et d’exploitation qui avaient pour vocation de survivre aux indépendances et aux décolonisations. 

Le colonialisme n’a pas disparu, mais le concept de néocolonialisme permet de mettre en évidence les formes de domination notamment économiques et monétaires qui permettent de contrôler les États depuis l’extérieur. Ce sont, par exemple, les logiques de monopole appliquées en Martinique et en Guadeloupe qui ont interdiction d’échanger avec d’autres États caraïbéens et le font ainsi exclusivement avec la France ou l’UE. Ce contrôle peut aussi se faire par des versements assurant les frais de fonctionnement de l’État anciennement colonisé. Dans la plupart des cas, l’ancienne puissance coloniale exerce le contrôle, mais celui-ci peut aussi prendre la forme d’un impérialisme collectif par le biais d’un groupement d’intérêts financiers qui ne s’identifient pas comme appartenant à un État. 

Extractivisme et instrumentalisation du racisme 

Afin de comprendre le (néo)colonialisme, il est nécessaire de tenir compte des dynamiques racistes et capitalistes qui le font vivre. L’une des fonctions de l’idéologie raciste est de déshumaniser les populations locales exploitées afin de justifier le traitement horrifique qui leur est imposé. Les populations de la RDC, par exemple, ont historiquement subi une forte déshumanisation étant donné qu’elles constituent la majorité des africain·exs déporté·exs lors de la traite. 

Dans le contexte colonial, le racisme et l’anthropologie permettent de construire des identités depuis l’extérieur. Par exemple, la fabrication de tribus et de communautés sans signification pour les populations locales. Cette invention des identités est nécessaire pour administrer, car elle permet de catégoriser des populations et de leur attribuer des intérêts et des fonctions. Telle tribu sera considérée comme martiale, une autre artisanale, gestionnaire, etc. C’est le schéma qui a été mis en œuvre en RDC sous la domination belge (1908 – 1960) afin de maximiser le pillage des ressources grâce à une collaboration entre l’État et certaines multinationales, en lien avec les milieux bancaires. 

Cependant, à la suite de la dislocation de l’URSS et de l’extension du néolibéralisme, on assiste dans les années 1990 à un changement de régime et une perte de l’influence directe des États sur l’ex-Zaïre. De petites entreprises sous la domination de multinationales renégocient les contrats miniers. Se produit ainsi ce que le conférencier nomme une «bollorisation» (du nom du milliardaire français Vincent Bolloré), c’est-à-dire l’achat par de grands capitalistes mondiaux des secteurs anciennement contrôlés par l’État. Dans ce cadre, on fait de cet espace géographique peuplé de diverses populations, se revendiquant d’identités différentes, un territoire qui sert l’exploitation et le pillage en contradiction avec les besoins des populations. La RDC n’est donc plus une colonie, mais plus une création impérialiste qui est gérée par la communauté internationale pour le pillage et l’exploitation.  

Jordan Gaignat