Le négoce du désastre

Selon un rapport, les cinq principaux négociants de carburants fossiles ayant leur siège en Suisse sont responsable d’émissions cent fois supérieures à celles de l’ensemble de la Suisse.

Rassemblement contre Glencore
Comme si contribuer massivement au dérèglement climatique ne suffisait pas… Rassemblement contre le soutien de Glencore au génocide perpetré par Israël en Palestine, Le Cap, 22 août 2024.

L’ association Public Eye (PE) a passé au peigne fin les rapports sur le ‘développement durable’ produits en 2023 par les cinq principaux négociants de carburants fossiles ayant leur siège en Suisse. Les conclusions sont effarantes: ces grandes sociétés manient magistralement la mise en scène et la désinformation.

Nous n’allons pas laisser le suspense s’établir plus longtemps. Les conclusions de l’étude de PE sont sans appel: «Les résultats sont pour le moins choquants : les dommages climatiques causés par leurs matières premières étaient, en 2023, environ cent fois supérieurs à ceux de l’ensemble de la Suisse». Comment expliquer un tel effet?

Les déclarations sur les investissements «verts» ou sur la «transition écologique» relèvent plutôt du domaine de la communication. Car la majorité des investissements sont encore dans le domaine des énergies fossiles. Le cas du négociant de pétrole Vitol, dont le siège est à Genève, est significatif. En 2023, 83% de ses investissements concernaient les énergies fossiles, le reste allant aux énergies renouvelables. Les priorités sont évidentes. Or, comme tous les groupes pétroliers, Vitol avait récolté des profits exceptionnels ces dernières années, bénéficiant de la montée des prix du pétrole. Ces super-profits ont continué à alimenter les extractions dans le domaine fossile.

Émissions de CO₂ passées sous silence

Dans leurs rapports, ces compagnies ne mentionnent que les émissions directes de gaz à effet de serre résultant de leur activité propre (installations, navires, etc). Passent ainsi sous silence celles de la consommation effective des carburants fossiles extraits et commercialisés (pétrole, charbon, gaz). Ces émissions indirectes dépassent ainsi de quatre fois les valeurs publiées: 1176 millions de tonnes d’équivalent de CO₂ correspondent dans la réalité 4043 millions de tonnes. Par ce tour de magie, ces compagnies occultent complètement les effets dûs à la consommation des produits qu’elles ont extrait et mis sur le marché, conséquence directe sur le climat du négoce des matières fossiles. Car évidemment, le pétrole, le charbon ou le gaz extrait va être immanquablement consommé et consumé pour les transformer en énergie: «En excluant de leurs rapports l’essentiel des émissions indirectes générées lors de la phase d’utilisation, les négociants en matières premières occultent la plus grande partie de leur empreinte climatique».

Les émissions de CO₂ calculées par PE des seuls cinq plus grands négociants suisses aboutissent à un résultat effrayant. Elles correspondent à 100 fois le volume émis en une année en Suisse durant la même période. L’estimation pour la compagnie Vitol aboutit à un volume de CO₂ émis supérieur à celui du Brésil, classé au sixième rang des pays émetteurs.

Quel bilan climatique?

Les données contenues dans les rapports de ces cinq compagnies présentent ainsi une image trompeuse et lacunaire. Cette manipulation se retrouve aussi dans un autre domaine tout aussi crucial, celui de l’amélioration des bilans climatiques de ces entreprises.

Celles-ci s’appuient, comme leur pays hôte, sur des mesures dites «de compensation» des émissions de CO₂ dont les statistiques sont aussi transparentes et claires que le pétrole brut. Ces mesures sont aussi injustes que controversées. C’est le cas par exemple de la captation et l’enfouissement du CO₂, planifié par Glencore en Australie. 

Ces compagnies disposent pour le transport de leurs matières premières de grandes flottes de bateaux, grands émetteurs de CO₂. Leur assainissement est donc présenté comme une contribution climatique… Trafigura prévoit de changer les moteurs de six bateaux d’ici 2030, sur une flotte de 400 navires.

Des certificats trompeurs

Un autre mécanisme de compensation carbone utilisé est l’achat de certificats de CO₂: «Plutôt que de réduire ses propres émissions, le négociant achète ainsi systématiquement les effets de projets climatiques réalisés ailleurs, affirmant que cette démarche lui permet déjà d’être neutre en termes d’émissions directes».

Il est pourtant prouvé que le marché de certificats de CO₂ ne permet pas de réduire les émissions. Il permet surtout de continuer à justifier l’extraction des matières fossiles. «Nous estimons que la plupart des objectifs et des mesures qu’ils présentent sont faibles ou très faibles, car ils manquent de transparence et sont peu adéquats.».

Selon une étude de l’Université d’Amsterdam, sur les 26 plus grands projets de mesures compensatoires «les projets forestiers ne peuvent garantir que 7% des effets compensatoires qui leur sont imputés.» Pour PE la conclusion est claire: «Le fait que les entreprises misent sur une telle approche, tout en dépensant des milliards dans le développement continu des énergies fossiles, révèle le véritable message de leurs beaux rapports: après nous, le déluge

José Sanchez
Citations et chiffres extraits de Public Eye – Le magazine, nº 50, novembre 2024