Léopards en rafale?
Afin «d’assurer la sécurité de la population», les parlementaires bourgeois ont voté une augmentation massive du budget du programme d’armement. Pourquoi ce soudain zèle militariste?
Comment expliquer cette subite augmentation de 530 millions, qui justifie directement – par le mécanisme de frein à l’endettement – de sévères réductions dans d’autres postes (aide au développement, asile)? D’autant plus que cette nouvelle enveloppe n’est pas rattachée l’acquisition d’un armement précis (avion de combat ou char d’assaut), mais a uniquement pour objectif abstrait d’atteindre 1% du produit intérieur brut pour le secteur de la défense en 2030.
Quelques hypothèses
Il y a certainement dans cette volonté de la droite une marque de mauvaise humeur provoquée par les échecs des dernières votations populaires. L’acceptation de la 13e rente, le refus de la réforme LPP et des extensions d’autoroutes sont restées en travers de la gorge du camp bourgeois, pour qui la politique du consensus revient à toujours accepter ses propositions politiques.
Une autre motivation de ce surplus en faveur de l’armée tiendrait à l’intérêt financier d’une subvention indirecte pour des industries. Le secteur manufacturier militaire suisse est faible et ne pourrait pas absorber une grande partie de ces nouvelles ressources financières en termes de commandes. En revanche, les achats de matériel militaire à l’étranger, qui constituent la part primordiale des dépenses, font toujours jouer des mécanismes de compensation directs (sous-traitance par des compagnies helvétiques) ou indirects (commandes à d’autres secteurs industriels). En somme, cela revient à une aide déguisée pour l’économie. Pour nos parlementaires ultra-libéraux, les commandes publiques sont depuis toujours les bienvenues.
Enfin, la Suisse officielle veut certainement montrer au futur maître de la Maison Blanche son profil de bon élève du continent européen, en augmentant sensiblement ses dépenses militaires. Ainsi, les commandes pourraient entretenir les liens déjà existants avec des fabricants étasuniens, ce que le Pentagone apprécierait. Et la Suisse enverrait un signal bien visible pour éviter les filets protectionnistes et continuer d’accéder au marché intérieur américain sans pénalités.
Cet alignement sur la principale puissance militaire mondiale constituerait un gage supplémentaire, après ceux d’un bureau à Genève de l’OTAN et la suspension du budget pour l’UNWRA. Et s’intégrerait dans la militarisation des perspectives et des esprits qui se répandent aujourd’hui un peu partout.
Quelles menaces?
À l’évidence, les 2,7 milliards attribués au DDPS ne constituent pas une réponse à des menaces militaires immédiates ou à moyen terme. La Suisse est loin des théâtres de conflit, entourée de grandes pays puissamment armés (Allemagne, France, Italie) et sous le bouclier de l’OTAN. Le scénario d’Apocalypse, où la petite Suisse serait par exemple la cible de missiles lancés par des puissances orientales ou asiatiques n’est pas crédible. La Suisse n’est pas dans la situation de la Géorgie ou des pays baltes.
Par contre, des menaces bien réelles aux résultats terribles se dessinent déjà pour la population et à très court terme: les conséquences du dérèglement climatique global provoquent déjà des catastrophes (fonte des glaciers, précipitations hors normes et inondations). À cela s’ajoutent la destruction continue de la biodiversité et les pollutions du territoire (plastiques, agro-toxiques, etc.). La liste de ces menaces peut s’allonger.
Guerre sociale
Face à cette rhétorique guerrière de la droite et de l’extrême-droite, nous devons rappeler qu’une autre confrontation, sociale celle-ci, est menée en permanence contre les classes populaires. Cette guerre sociale se traduit par du chômage, les hausses des primes d’assurance-maladie, des loyers et de l’alimentation, par la pauvreté des rentier·ères, la précarité des jeunes. La santé, la formation, les assurances sociales de la majorité de la population ne font pas partie des préoccupations de nos vaillant·es guerrier·ères.
Ce ne sont pas des obus ou des bombes qui ont supprimé les emplois à Vetropack, à Stahl Gerlafingen et à TX Group. Les responsables de ces licenciements ne sont pas à chercher dans des états-majors du Kremlin ou d’ailleurs, mais dans des conseils d’administration présents sur le territoire helvétique. Illustration parfaite de cette guerre motivée par la cupidité capitaliste, TX Group annonce doubler ses dividendes pour cette année et les deux suivantes, après avoir décidé des licenciements au sein de ses rédactions.
Pour assurer réellement la sécurité de la population, la réduction massive du budget de la défense militaire et son attribution à la satisfaction des besoins sociaux et de l’écosystème se justifient pleinement. C’est une autre interprétation de «la protection de la population», dans une perspective écosocialiste.
José Sanchez