Coups de feu contre l’État
Le film documentaire Autour du feu réunit dans un «nuit-clos» trois jeunes militant·es anticapitalistes et deux révoltés qui, dans les années 1970, avaient fait le choix de la violence.
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1er octobre 1985. Le procès de trois membres de la «Bande à Fasel» s’ouvre à Fribourg. Brigandage, vol par métier, recel, dommages à la propriété, abus de confiance, escroquerie, violation de domicile, séquestration, falsification de marques officielles, faux… 76 crimes, délits et contraventions leur sont attribués entre juin 1977 et décembre 1979.
Jacques Fasel écopera finalement de 12 ans de prison et l’«intellectuel» de la bande, Daniel Bloch, en prendra 10 pour cette partie de sa carrière.
Au début du film d’Amanda Cortés et Laura Cazador, les deux anarchistes rappellent rapidement le contexte de l’époque – réseaux violents d’extrême droite contre groupes armés révolutionnaires – et le déclic qui les a fait «entrer en rébellion active». Concrètement, et symboliquement, tout commence pour eux lors d’un séjour en prison à la suite d’un refus de servir pour l’un, de grader pour l’autre. L’armée suisse était implacable avec ceux qui refusaient de devenir les bons petits soldats du capitalisme. La «haine monte». Ce seront braquages de banques et d’offices de poste, pour contester le monopole de l’usage de la violence par l’État. Et entraîner, l’espéraient-ils, «toujours plus de population avec nous»…
Leur démarche était simple. Il fallait prendre l’argent du système pour financer des lieux autogérés et soutenir des militant·es clandestin·es. La lutte antinucléaire aussi. L’occupation de Kaiseraugst de 1975 était exemplaire: «une lutte de terrain, radicale, avec beaucoup de sabotages» selon eux. C’était avant tout un mouvement large organisé en comités nationaux.
Mais la thune récoltée (deux millions de francs de l’époque en tout) semble surtout avoir financé l’infrastructure nécessaire pour les méfaits de leurs longues cavales.
Clandestinité impossible
Dans la partie principale de ce «nuit-clos», la discussion s’engage entre trois jeunes militantes, dont on devine qu’elles ont été actives dans l’occupation de la ZAD de la Colline, dans le mouvement climat du côté d’Extinction Rebellion ou dans les luttes antiracistes. À propos de monopole de l’usage de la violence par l’État, une militante rappelle que Black Lives Matter a permis de rendre visible le fait qu’en Suisse, celle-ci s’exerce de façon disproportionnée sur les jeunes hommes noirs.
Autour du feu, la conversation, très féconde et très respectueuse, s’articule autour des formes de l’engagement politique et des différences entre les deux époques. En comparaison, l’un des traits constitutifs des luttes actuelles est leur organisation horizontale et collective – ce qui est salué par les anciens – l’introspection poussée sur les interactions au sein des groupes, même si c’est, comme le regrette une militante, parfois «compliqué d’avoir un consensus».
En parcourant les différentes luttes des dernières années, le film nous rappelle cruellement le niveau incroyablement bas de tolérance à la désobéissance civique de la part de l’État et de ses relais médiatiques. Au-delà de l’assaut policier brutal contre la ZAD de la Colline, le harcèlement judiciaire des militant·es et l’adoption de la loi sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT, récente au moment du tournage) sont évoquées.
Depuis, on se souvient qu’on a essayé de nous faire accroire que qui plante des pommes de terre dans un golf assassinerait Aldo Moro (ou Hans Martin Schleyer, selon votre réf terroriste favorite).
Un constat: agir aujourd’hui en marge de la légalité est rendu impossible à cause de la surveillance électronique généralisée. Une militante rappelle que la population du pays avait été scandalisée d’apprendre que la police détenait des fiches de surveillance des 15% de la population, mais qu’aujourd’hui personne n’est dupe que toutes nos conversations numériques sont «surveillables». Il y une année, le média Republik révélait que les Services secrets suisses récoltaient et stockaient l’intégralité de nos échanges numériques, sans que cette information ne déclenche un scandale d’État.
Droit à la révolte
Le recours à la «légitime violence», particulièrement aux armes, est longuement débattu autour de ce feu sans que personne ne soit vraiment d’accord. Ce que le film ne dit pas, c’est que tant la Bande à Fasel que les mouvements comme celui de la ZAD ont reçu un fort élan de sympathie de la part de la population. Robin des bois à l’époque, sauveur·ses des orchidées en 2020.
La limite du film est peut-être que l’orientation idéologique des participant·es soit un peu trop proche pour qu’un débat ait lieu, par exemple sur la question de l’organisation plus large de la société, à travers des partis ou des syndicats par exemple, ou au moins du rapport à ces organisations.
Le film, qui a reçu le prix Visioni aux Journées de Soleure, est à voir ces jours au cinéma.
Niels Wehrspann
Une projection suivie d’un débat avec des jeunes militant·es, en présence de la coréalisatrice Laura Cazador et modéré par Philippe Bach, corédacteur en chef du Courrier aura lieu le 21 janvier à 20h au Bio Carouge