France

Face au nouvel «arc républicain», plus que jamais unir notre classe

Depuis le 7 octobre, les déclarations et les actions en solidarité avec la lutte du peuple palestinien ont été réprimées en France et les accusations d’apologie du terrorisme se sont multipliées, notamment à l’encontre du NPA.

Des manifestants en soutien à la Palestine sur la statue de la République à Paris
Manifestation en solidarité avec le peuple palestinien, Paris, 22 octobre 2023

Ce n’est nullement anodin, Mediapart a nommé l’une de ses rubriques «Proche-Orient: les répercussions en France», dans laquelle on trouve tout dernièrement un article sur « La chape de plomb qui s’est abattu dans les universités » après le 7 octobre, un autre sur les divisions au sein des rédactions de presse. À eux seuls, au vu de l’ambiance délétère depuis le 7 octobre et la surprise qu’ont constitué les attaques du Hamas, ces articles en disent long sur le climat politique en France.

Une ambiance de chasse aux sorcières

Leur récente publication laisse cependant entrevoir une (très légère) amélioration du débat public. C’est dire si le moment est à la chasse aux sorcières et à l’usage de toutes les calomnies et raccourcis intellectuels pour faire admettre le discours du gouvernement selon lequel « face au terrorisme, Israël avait le droit de se défendre ».

Après le 7 octobre, il a fallu batailler pour que le contexte d’une lutte de plus de 75 ans contre les colonies de peuplement soit remis au premier plan. Quiconque s’y risquait sur un plateau télé était soupçonné non pas seulement d’expliquer mais de justifier les tueries de civil·e·s. Pour le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et ses préfets, toute personne soutenant la résistance palestinienne était un terroriste en puissance.

Il faut dire que le meurtre du professeur Dominique Bernard à Arras le 13 octobre par un jeune fanatisé a achevé d’électriser l’action gouvernementale et le climat médiatique.

La BBC, en Angleterre, a dû se justifier de ne pas faire usage du terme de «terrorisme» dès le 12 octobre. L’AFP (Agence France-Presse) a dû rendre des comptes sur ce point elle aussi fin octobre. Et tout dernièrement, on a appris que la rédaction de l’AFP était très divisée.

Apologie du terrorisme?

Pendant un mois, dénoncer ou pas comme terroriste le Hamas faisait de vous un·e «bon·ne» ou un·e «mauvais·e» citoyen·ne. Le NPA n’a d’ailleurs pas été épargné par la tempête médiatique… et même juridique. Le directeur de publication du site du NPA a été convoqué à une audition libre le 2 novembre en raison d’un signalement pour «apologie du terrorisme» par des associations. S’il ne fait aucun doute que les crimes de guerre du Hamas sont choquants et même terrorisants, le terme de terroriste pour qualifier le Hamas n’est pas une caractérisation politique précise et nous ne la reprenons pas à notre compte.

Le 21 novembre, Guillaume Meurice, l’humoriste de France Inter, était convoqué également pour une audition libre pour avoir ri de Benjamin Nétanyahou. Avant lui, des militant·e·s de la cause palestinienne ont été convoqué·e·s pour les mêmes raisons pour leurs prises de parole lors de rassemblements.

Un tel climat est inédit par son ampleur à la fois médiatique et juridico-­politique. L’ancien Premier ministre de Chirac, Dominique de Villepin, est lui-même passé pour un iconoclaste sur certains plateaux en évoquant le non-respect du droit international et des solutions diplomatiques.

Criminalisation de la solidarité

À ce climat, s’est ajoutée une répression intense de la solidarité avec le peuple palestinien.

Dans de nombreuses villes, les rassemblements des associations de soutien ont été interdits au moins jusqu’au 20 octobre en raison des risques de «troubles à l’ordre public». Et lorsque le NPA appelait et faisait partie des déclarants de la manifestation, les préfets n’ont pas hésité à citer notre premier communiqué comme preuve de dangerosité.

À Paris, le premier rassemblement autorisé à l’appel des associations de soutien à la Palestine, des organisations syndicales, comme la CGT et Solidaires, et politiques n’a eu lieu que le 22 octobre, rassemblant près de 20 000 personnes dans le plus grand calme.

Pourtant, la semaine suivante, les rassemblements étaient de nouveau interdits entraînant des amendes pour des centaines de personnes. La préfecture parle de plus de 1000 personnes.

Enfin symptôme ultime de la répression injuste, l’expulsion de Mariam Abu Daqqa, militante du FPLP – une organisation que l’Union européenne et la France classent parmi les organisations terroristes – le 10 novembre, alors qu’elle devait rejoindre Le Caire le lendemain, n’a pu être interprétée que comme une humiliation supplémentaire vis-à-vis des soutiens de la cause palestinienne.

Arrivée en France fin septembre pour une série de conférences, Mariam Abu Daqqa avait reçu un arrêté d’expulsion le 9 octobre, remis en cause par la juge des référés du tribunal administratif qui avait estimé le 20 octobre que «le ministre de l’Intérieur a[vait] porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression et à la liberté d’aller et venir». Pourtant, le 8 novembre, le Conseil d’État a annulé cette ordonnance et confirmé l’expulsion de Mariam Abu Daqqa, qui a été interpellée dans les heures suivantes.

Alors que l’État français usait de tous les moyens administratifs à sa disposition, le débat politique poursuivait sa course infernale qui allait trouver son apogée le 12 novembre lors de la manifestation contre l’antisémitisme appelée par Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, et Gérard Larcher, président du Sénat.

Terrorisme et antisémitisme: un nouvel «arc républicain»

Après avoir associé tous les soutiens à la cause palestinien aux crimes du 7 octobre et donc au terrorisme, les partisans de l’État d’Israël ont pu discréditer leurs adversaires en leur prêtant des intentions antisémites, en amalgamant antisionisme et antisémitisme, et ce, dès le 8 octobre. 

Le double standard sur toutes les chaînes de télé et la surenchère émotionnelle ont permis à ce discours de trouver une audience dont l’une des premières victimes a été La France insoumise et, en particulier Jean-Luc Mélenchon qui n’a jamais voulu parler de terrorisme.

La LFI, qui a des députés à l’Assemblée nationale, est devenu infréquentable pour tous les autres partis à sa droite. Même Europe Écologie les Verts, le Parti socialiste et le Parti communiste français, avec qui pourtant une alliance avait été scellée en juin 2022 pour les élections législatives, ont cherché à se démarquer à tout prix du positionnement du mouvement de Mélechon.

La macronie sous pression a déclaré son soutien inconditionnel à Israël, parce que la France est sur cette ligne depuis la présidence Sarkozy. L’islamophobie d’État a probablement aussi contribué à ces prises de position pour des raisons franco-françaises.

C’est ainsi que du «front républicain», qui autrefois excluait le Front national (FN), on est passé au concept d’ «arc républicain» qui a mis au ban LFI d’abord à l’Assemblée, puis dans la rue le 12 novembre. 

Le nouvel «arc républicain» contre l’antisémitisme inclut donc l’extrême droite, qui n’a de cesse d’instrumentaliser le conflit à des fins islamophobes, en alliance avec l’extrême droite sioniste. Si le 12 novembre ne fut pas un grand succès pour la macronie et la droite avec 105 000 personnes à Paris, ce fut un triomphe pour l’extrême droite, désormais légitimée. 

Le matin même, et pour exprimer leur combat contre l’antisémitisme, les jeunes des organisations syndicales étudiantes, de LFI, des Jeunesses anticapitalistes avaient appelé à un dépôt de gerbe place des Martyrs Juifs du Vélodrome d’Hiver. Nous étions un peu plus de 200. L’extrême droite sioniste avait prévu son coup: nous empêcher d’honorer la mémoire en criant des slogans comme «Première, deuxième, troisième génération, nous sommes tous des enfants de déportés» ou encore «Vous n’aurez pas nos morts!». Le dépôt a bien eu lieu sous les cris des autres… Il est vrai que quand l’extrême droite française, héritière d’une tradition politique qui va de Vichy aux ratonnades orchestrées par Papon, défile contre l’antisémitisme on ne s’étonne plus de voir la gauche discréditée dans tous ses combats… dans la plus grande confusion.

Cette journée du 12 novembre, grise et pluvieuse, aura donc été morne jusqu’au bout et devrait donner à tous les militants l’envie de reconstruire le rapport de forces… 

La gauche, l’organisation concrète de la solidarité avec la Palestine

S’il est un enseignement concernant le rapport de forces, c’est que la non-dissolution des Soulèvements de la Terre le 9 novembre par le Conseil d’État doit tout à la mobilisation de leurs militants et au soutien des organisations écologistes, syndicales et politiques. Contrairement au Gale (Groupe antifasciste Lyon et environs), plus petit.

Le mouvement continue de se structurer dans les villes et à Paris notamment autour du Collectif national pour une paix juste et durable, crée en 2000, et également autour d’Urgence Palestine. 

De nombreux débats ont lieu sur les actions concrètes de solidarité au peuple palestinien, sur l’antisémitisme, sur l’islamophobie et le racisme en général. Une nouvelle génération est en train de se politiser tandis que les plus anciennes font de nouvelles expériences. Le débat politique de ces dernières semaines rebat des cartes… pour qui veut construire une nouvelle société.

Plus que jamais, et nous le disons au NPA, c’est le moment d’être unitaire et révolutionnaire, de construire sans sectarisme les outils pour l’émancipation de notre classe, un avenir de paix, sans colonies. Un avenir écosocialiste !

Fabienne Dolet