Le centre mou pour horizon de l’écologie politique ?

vertlibsLors des fédérales, les Verts ont essuyé un revers, perdant 5 sièges au National. Les Vert’Libéraux, eux, ont emporté un succès d’une ampleur inattendue en en gagnant 9. Dès lors, des Vert·e·s ont appelé à un rapprochement entre les deux partis, certain·e·s parlant même de fusion à terme. Quelle vision de l’écologie politique révèlent ces velléités «centristes»?

Si la déconfiture verte est en fait relative (-1.2 % des suffrages au total, la perte de sièges étant surtout due au système proportionnel et aux apparentements) elle a surpris dans la mesure où l’on attendait une progression du parti écologiste, six mois après Fukushima. L’aile gauche du parti a payé un lourd tribut à ces résultats: Jo Lang, par exemple, n’a pas été réélu. Ueli Leuenberger, président du parti et souvent raillé à l’interne par la nouvelle garde «pragmatique» pour son prétendu gauchisme, n’a quant à lui sauvé son siège qu’avec un score modeste.

Dans la cacophonie médiatique post-électorale, se cachant derrière la rengaine des trois «piliers du développement durable»: économie, social et écologie (l’avantage des concepts flasques étant qu’on peut leur faire dire à peu près n’importe quoi), plusieurs élu·e·s Verts ont réclamé une sortie de la « culture d’opposition » et une plus grande ouverture vers les Vert’Libéraux. « L’écologie n’est ni de gauche ni de droite » proclamait Adèle Thorens (Le Temps, 25 10.2011)!

Un vieux débat
Ce débat est vieux comme l’écologie politique, celle-ci ayant toujours été tiraillée entre deux écoles. L’une, bien ancrée à gauche, historiquement incarnée par des penseurs comme André Gorz ou Murray Bookchin, ou de nos jours Paul Ariès ou Hervé Kempf. L’autre tendance, prétend « dépasser le clivage gauche-droite », au prétexte que le productivisme et le culte de la croissance a contaminé autant la gauche que la droite. Or, c’est oublier que si le socialisme « réellement existant » et la social-démocratie partagent en effet un bilan effroyable en matière de destruction frénétique des ressources, il a toujours existé un anti-productivisme… bien à gauche ! Celui-ci a beau avoir toujours été minoritaire, il n’en est pas moins bien réel: c’est le « Droit à la paresse » de Paul Lafargue, ou le mouvement historique pour la réduction du temps de travail…

Que de nombreux Verts aient renoncé à un horizon de transformation sociale n’est pas une grande nouvelle. Qu’ils aient souvent, du moins en Suisse romande, opté pour des choix politiques très discutables non plus : on connaît la politique fiscale prônée par le ministre vert genevois David Hiler pour attirer les « Hedge Funds »… et on se rappelle la présence de certain·e·s Verts en pointe du combat contre les transports publics gratuits à Genève (qui auraient coûté 150 millions par an) et leur soutien, un an plus tard, à une baisse d’impôts de 400 millions (dont un bouclier fiscal largement favorable aux plus riches) !

Contradictions insolubles
Au-delà de ces positionnements ponctuels, le débat soulève une question de fond : l’écologie peut-elle se résumer à des revendications strictement environnementales, aussi importantes soient-elles, comme tentent de le faire croire les Vert’Libéraux ? Peut-on vraiment prendre au sérieux la gravité de la crise écologique et sociale et déconnecter la résolution de celle-ci d’un horizon politique qui implique si ce n’est un dépassement du système actuel (indispensable à nos yeux), tout au moins une importante réduction des inégalités sociales (le strict minimum) ?

Or, Antonio Hodgers, après avoir combattu publiquement l’idée de décroissance qu’il qualifiait de « suicide social » (Le Temps, 13.04.2011) revendique désormais le slogan antiproductiviste « vivre mieux avec moins » (Tribune de Genève, 28.10.2011), l’un des mots d’ordre centraux du mouvement de la décroissance ! Le nouvel élu vert zurichois Balthasar Glättli soulignait quant à lui que « ce qui nous distingue des sociaux-démocrates (sic), c’est que nous n’avons jamais mené la lutte des classes… » (Tages Anzeiger, 25.10.2011).

En effet, mais tout de même : qui doit « vivre avec moins » ? Daniel Vasella, patron de Novartis, dont les revenus seront préservés grâce notamment aux Vert’Libéraux qui ont refusé la (pourtant très modérée) initiative Minder « contre les rémunérations abusives » ? Ou les 1000 salariés bientôt mis à la porte du géant pharmaceutique, qui subiront de plein fouet la nouvelle loi fédérale sur le chômage soutenue par les mêmes Vert’Libéraux ?

Ce n’est qu’un exemple mais on le voit: à moins de souhaiter une réduction linéaire du niveau de vie de tous (ce qui, pour le coup, serait un véritable « suicide social »), la salutaire proposition de « vivre mieux avec moins » doit, si on la prend au sérieux, plus que jamais réveiller les antagonismes de classe, et pousser les écologistes à épouser vigoureusement des revendications sociales conséquentes, en particulier sur la réduction des inégalités.

Pour un pragmatisme utopique
Plus généralement, peut-on sérieusement dénoncer d’un côté les méfaits de la croissance économique, indispensable au capitalisme, et de l’autre, se rapprocher de forces politiques dont l’objectif avoué est de pérenniser et déréguler encore ce système ?

Bref, une analyse « pragmatique » et « réaliste » de la situation écologique et sociale devrait mener à une conclusion parfaitement inverse à celle qui prône un glissement à droite. On peut certes se réjouir que les Vert’Libéraux cannibalisent le PLR et contribuent à concrétiser des revendications environnementales, mais l’avenir de la véritable écologie politique est forcément à gauche ! Difficile donc de voir dans cette dérive droitière autre chose qu’une forme d’opportunisme politique qui risque de mener dans une impasse.

Thibault Schneeberger