Après la crise sanitaire, la société du soin ?

L’assemblée générale de SolidaritéS Genève a élaboré un texte collectif intitulé « Pour une sortie solidaire, anti-autoritaire et durable de la crise sanitaire actuelle : luttons pour une société du soin ! ». En voici une version légèrement retravaillée comme contribution au débat sur une autre sortie de crise que celle se concentrant uniquement sur la vaccination.

Grande banderole "Who Care(s)" lors de la manifesation du personnel de la santé à Berne, octobre 2021
Manifestation du personnel de la santé, Berne, 30 octobre 2021

Le vaccin sauve des vies mais ne sauvera pas notre société du précipice !

Depuis des mois, en Suisse comme ailleurs, on entend le même discours de la part des autorités politiques ainsi que des principales associations économiques, qui peut se résumer ainsi : « Vaccinez-vous pour que le monde puisse repartir au plus vite comme avant.»

Si solidaritéS soutient la vaccination comme un des moyens indispensables pour une sortie de la crise sanitaire que nous subissons depuis maintenant une année et demie, nous ne pouvons que dénoncer ce discours problématique à de nombreux titres.

Le vaccin, un bien commun

La vaccination doit être un droit universel, et non une injonction en vue d’un redémarrage rapide de l’activité économique. Actuellement, une grande partie des personnes dans le monde sont privées d’accès à la vaccination car leurs pays n’ont pas les moyens de rivaliser sur le marché avec les pays riches du Nord, tels que la Suisse, qui s’octroient déjà des doses pour les années à venir.

Il est urgent de prendre ce problème à sa source: les innovations majeures ne peuvent être réservées à la part la plus riche de l’humanité, qui profite déjà de l’exploitation impérialiste des ressources naturelles et humaines des régions les plus pauvres. Les brevets sont un frein majeur à un accès universel à la vaccination et permettent aux entreprises pharmaceutiques des bénéfices importants alors même qu’elles ont bénéficié de larges aides publiques au cours de ces derniers mois. La Suisse, siège de plusieurs grandes firmes pharmaceutiques, porte à cet égard une responsabilité énorme. Les vaccins sont un bien commun qui ne saurait profiter à une poignée d’actionnaires sur le dos des populations: c’est pourquoi nous revendiquons un contrôle démocratique sur la recherche, la production et l’injection des vaccins en Suisse, et une coordination internationale pour la distribution des doses dans le monde en fonction des besoins de toutes les populations sans discrimination. Les brevets sur les médicaments doivent également être immédiatement levés.

Alors que les discours confusionnistes sur la vaccination et sur la crise sanitaire en général se nourrissent notamment de la critique à l’égard de la voracité capitaliste des entreprises pharmaceutiques pour nier la dangerosité du Covid-19 et refuser les solutions disponibles, une gestion publique et démocratique du secteur permettrait inévitablement un renforcement de la confiance de la population dans le système.

La justification apportée au maintien des brevets est que ces derniers sont indispensables à la rémunération du risque pris par les entreprises pharmaceutiques qui investissent des sommes considérables pour la recherche et le développement de vaccins en compétition avec leurs concurrentes. À la place de rémunérer le risque, nous souhaitons à l’inverse rémunérer le travail et la coopération des différent·e·x·s acteur·ice·x·s du domaine afin de favoriser le partage des résultats expérimentés et des savoirs acquis plutôt que la rétention d’informations et d’innovations cruciales pour l’humanité, ce qui serait possible dans le cadre d’un pilotage public du secteur. La rapidité du développement des vaccins contre le Covid-19 est d’ailleurs en partie due à cette coopération exceptionnelle, qu’il s’agit de valoriser, encourager et dont il faut collectiviser le bénéfice.

Le renforcement du service public, indispensable à une sortie de crise sanitaire

L’injonction à la vaccination est aussi une arme rhétorique qu’utilisent les gouvernements pour se déresponsabiliser. Alors que la Suisse a connu un nombre très important de décès dûs au Covid par habitant·e·x·s pour un pays très riche, on peut critiquer la politique du gouvernement qui s’est contenté de s’assurer que les services de soins intensifs ne soient pas saturés, ligne rouge qui n’a pas été dépassée. Le nombre important de mort·e·x·s a pu paraître ainsi “acceptable”, car les personnes décédées du Covid ont généralement pu être prises en charge à l’hôpital au préalable. Cela donnant le sentiment de morts “normales” (dans la manière dont elles sont survenues), en dépit de leur nombre anormalement élevé. La politique sanitaire menée par le gouvernement peut donc interroger, et ne saurait en aucun cas être une preuve de gestion parfaite des autorités, qui essaient à présent de mettre la focalisation uniquement sur le taux de vaccination, pour rendre la population seule responsable de la poursuite de la crise sanitaire.

Il faut le réaffirmer, la santé publique est un enjeu de société et dépend des politiques publiques mises en œuvre et des moyens qui leur sont alloués. D’un côté, la confiance dans les institutions dépend de la capacité de celles-ci à répondre aux besoins des différents pans de la population ce qui nécessite un service public fort. De l’autre, si notre mode de vie conditionne en grande partie notre santé, il n’est pas le produit de choix individuel comme l’a popularisé l’idéologie néolibérale, mais de privilèges tels que l’accès à l’information, de niveau d’éducation ou de faible pénibilité. du travail. Une véritable lutte contre les inégalités demande donc une action forte en amont sur les déterminants sociaux de la santé, qui passe par la prévention et la garantie d’une qualité de vie augmentant les chances d’un maintien en bonne santé.

Mais cela n’est encore pas suffisant pour faire face aux crises sanitaires majeures comme celle qu’on connaît. Une amélioration du système de soins est indispensable. Cela inclut le renforcement des moyens alloués au secteur, l’augmentation des lits disponibles et du matériel nécessaire ainsi que le maintien d’infrastructures médicales à proximité dans les différentes régions, à l’encontre de la logique néolibérale des économies d’échelle (par la centralisation) et de la réduction des capacités (qui renforce les inégalités, les plus pauvres finissant toujours par les subir). Le facteur humain ne peut plus être négligé, au niveau des patient·e·x·s comme du personnel soignant: beaucoup d’infirmier·ière·x·s notamment souffrent de la pression permanente et tombent en burn out ou quittent la profession, leurs conditions de travail et salariales ne reconnaissent pas à leur juste valeur l’immense travail effectué et insuffisamment de nouveaux·lles infirmier·ière·x·s sont formé·e·x·s, avec à la clé un système de santé de moins en moins humain, la qualité du contact interpersonnel et de la prise en charge diminuant pour les patient·e·x·s.

La crise sanitaire aurait pu être l’occasion pour les autorités de repenser les critères qui ont prévalu jusqu’ici pour définir la politique de santé et le dispositif de soin qui doit en découler. Elle aurait dû permettre de revaloriser les professions soignantes et renforcer le système public, c’est à l’inverse la doctrine néolibérale de réduction des budgets publics qui a pris une fois encore le dessus, la santé n’étant envisagée que par le prisme de son “coût”, contrairement à d’autres secteurs – comme l’armée – pour lesquels cet angle n’est jamais souligné. Pour battre en brèche cette continuité dans la gestion des déficits, solidaritéS appelle donc à l’acceptation de l’initiative populaire “Oui à des soins infirmiers forts, aujourd’hui et demain”, indispensable à un système de santé à la hauteur de nos aspirations face aux défis croissants du vieillissement et de la santé mentale de la population ainsi que des probables futures crises sanitaires, pour ne citer que quelques uns des enjeux sanitaires qui nous attendent probablement. Les autorités libérales de notre pays qui aiment se contenter de soutiens de façade espèrent que l’élan solidaire des applaudissements au balcon du premier semi-confinement ne se concrétisera d’aucune manière: à nous de concrétiser cette juste reconnaissance dans les urnes et dans la rue!

L’accès à la vaccination en Suisse comme exemple à prendre pour notre système de santé

La gratuité et l’accès généralisé au vaccin en Suisse contraste avec le système de santé suisse, extrêmement inégalitaire dans son financement et dans sa prise en charge des patient·e·x·s. Cette stratégie publique centrée sur la vaccination est liée aux impératifs économiques de certains secteurs de l’économie suisse, qui ont besoin de leur main-d’œuvre et de leurs client·e·x·s pour pouvoir tourner. Quel curieux écart avec le fonctionnement habituel à deux vitesses du système de santé suisse!

En effet, pour tous les soins considérés comme secondaires, pourtant souvent très importants, l’accès est difficile pour les personnes à bas revenus qui ne disposent pas d’assurance complémentaire. Même les soins de base ne sont pas également accessibles, les plus pauvres rechignant par exemple à se rendre chez le médecin à cause du coût de chaque visite (les franchises proposées étant souvent élevées), ou chez le·a·x dentiste (les frais n’étant pas pris en charge par l’assurance de base). Et les traitements ne sont pas équivalents, les plus favorisé·e·x·s pouvant se faire soigner dans des cliniques privées avec souvent moins d’attente et des prestations plus sophistiquées.

Le financement du système de santé est aberrant, avec des primes maladies exorbitantes pour les petits revenus, les conduisant paradoxalement à empirer leur santé pour financer leur contribution disproportionnée au système. Les assurances complémentaires, souvent tout simplement trop élevées pour une bonne partie de la population, disposent en plus du loisir de rejeter des personnes à cause du “risque” (quant à leur situation de santé évaluée) qu’elles représentent d’un point de vue économique. La campagne de vaccination publique et gratuite révèle ainsi d’autant plus les travers du système de santé helvétique privé et inégalitaire, et la solidarité comme solution indispensable aux problématiques de santé publique. L’injonction à la vaccination pour continuer comme avant, à vivre avec un système de santé qui défavorise les plus pauvres mais sans causer d’arrêt majeur de l’économie, c’est ce que les autorités nous proposent. solidaritéS se bat donc sans relâche pour un droit universel à la vaccination, qui doit être englobé plus largement dans un droit universel à une santé gratuite et de qualité.

Contre l’exclusion qui engendre la méfiance et entrave la solidarité concrète et l’inclusion

Sur le plan politique, économique et social, la crise sanitaire ne se résoudra pas par le biais responsabilité individuelle, mais par  celui de la responsabilité collective: de nombreuses personnes ne se sentent pas incluses dans cette gestion de la crise sanitaire. Leur défiance est due aux politiques mises en œuvre qui ne misent pas sur la solidarité mais sur la mise à contribution de certains secteurs.

L’hôtellerie-restauration ou la culture sont par exemple certains des secteurs les plus affectés par les restrictions étatiques. On leur a demandé de jouer le jeu de la solidarité par la fermeture de leurs établissements, mais les aides n’ont jamais été à la hauteur des efforts fournis et leur situation difficile perdurent aujourd’hui, les conduisant à un logique sentiment d’avoir payé pour les autres. À côté de cette situation injuste, certains secteurs boostés par la crise (tels que le numérique), peu touchés (comme l’immobilier) ou des secteurs qui ont pu bénéficié d’aides sans contreparties sociales ou écologiques (comme l’aviation) n’ont à aucun moment participé à l’effort collectif, de même que les plus riches! Il est temps de les payer et d’utiliser intelligemment cet argent: c’est ce que propose l’initiative genevoise “pour une contribution temporaire de solidarité sur les grandes fortunes”, qui vise à augmenter l’imposition des plus riches pendant 10 ans en augmentant les déductions pour les petits commerces et artisans touchés par la crise, et pour des investissements pour la transition écologique et sociale. Tout en luttant pour un dépassement du système capitaliste qui nous montre encore une fois qu’il n’est pas en mesure de garantir des revenus et des conditions de vie et de travail équitable à l’ensemble de la population, malgré les quantités gigantesques de bien et services produits chaque jour aux dépens de la planète.

Contre une société de surveillance généralisée

La vaccination ne doit pas non plus servir de prétexte au renforcement des logiques autoritaires à l’œuvre dans nos sociétés hyper-technologiques: solidaritéS est déterminé à contester son utilisation à des fins de surveillance de la population par l’Etat ou des entreprises. La protection des données de chacun·e·x·s notamment en matière sanitaire doit être garantie face à l’appétit des géants du numérique ou de l’appareil répressif étatique. Elle ne doit pas non plus être utilisée pour exclure encore plus les personnes peu à l’aise avec l’usage des nouvelles technologies, par le biais de procédures exclusivement numériques pour accéder à certains services ou certaines activités. L’injonction à la vaccination ne doit pas être un moyen de pousser un peu plus la population au flicage permanent des autres. À cet égard, la responsabilité incombant aux travailleur·euse·x·s de la restauration ou de la culture de contrôler et d’appliquer la restriction d’accès à leurs lieux (dépendant d’un certificat Covid) est problématique. De plus, l’obligation d’avoir avec soi papiers d’identité et de les décliner à de multiples reprises au quotidien, et à une foule de personnes différentes, risque de devenir une norme et de renforcer l’état d’esprit de méfiance et de surveillance des autres. Une société solidaire ne pourra voir le jour qu’en combattant les logiques néolibérales quasi hégémoniques à l’oeuvre, que ce soit dans sa version productiviste et sécuritaire (la vaccination pour éviter des pertes de profits et repartir “comme avant”, et comme prétexte au contrôle des autres) ou libertarienne (“chacun·e·x·s est responsable de sa santé”, “on ne tombe pas malade quand on a le mode de vie”,…). Ces deux visions s’opposent quant à l’attitude à adopter face au vaccin et aux mesures sanitaires mais convergent en mettant l’individu au centre et non la société, le chacun·e·x·s pour soi plutôt que l’interdépendance des êtres. C’est de paradigme qu’il s’agit de changer.

Sortir de la crise sanitaire actuelle en préparant la suivante ?

L’injonction à la vaccination pour “retourner à la normalité” est un profond leurre. Sortir de la crise sanitaire actuelle de manière durable, c’est s’attaquer aux causes de la pandémie à laquelle nous faisons face, et plus généralement aux conditions d’émergence et de diffusion de celles-ci.

Le capitalisme productiviste globalisé favorise le développement de futurs pandémies d’une ampleur et d’une échelle incroyables comme celle du Covid-19 principalement de trois manières:

  • par la fonte progressive du permafrost (couche de terre gelée plusieurs années de suite présente dans les régions les plus au Nord) à cause du réchauffement climatique, qui libère des virus et bactéries qui étaient piégées dans la glace, certaines depuis très longtemps (ces virus et bactéries étant particulièrement menaçantes pour nos systèmes immunitaires plus habitués à les combattre) ;
  • par la transmission facilitée de maladies animales à l’espèce humaine avec la destruction des habitats et écosystèmes naturels de nombreuses espèces animales et le développement incessant de l’urbanisation conduisant à un contact plus important entre espèces animales et humaines ;
  • par la diffusion massive et rapide des épidémies locales qui deviennent des pandémies par les mouvements de population multiples dûs à la globalisation (la transmission rapide du Covid-19 lié aux flux touristiques par exemple).

La transition écosocialiste est plus que jamais nécessaire

Le vaccin peut donner l’illusion d’une sortie de crise sanitaire durable, ce que rabâchent en continu les autorités politiques. En réalité, si le vaccin est une pièce maîtresse pour une sortie de la crise sanitaire que nous subissons, il faut mettre au centre l’amélioration du système de santé dans son ensemble et les conditions de démocratisation et de participation du plus grand nombre aux choix politiques majeurs pour envisager la confiance et l’adhésion à ces choix, surtout sur des questions scientifiques et techniques. Et la sortie de crise ne sera durable que si les autorités décident d’un tournant écologique et social. L’injonction à la vaccination est donc très trompeuse par rapport aux objectifs mis en avant, mais elle remplit son rôle comme arme rhétorique au service des autorités qui veulent un rapide retour à la situation pré-pandémie, au nom des impératifs économiques qui pourtant vont en générer d’autres si le même modèle est poursuivi, en plus des catastrophes environnementales et climatiques qui vont s’intensifier, et des conséquences sociales désastreuses pour les plus défavorisé·e·x·s qu’elles engendreront.

Les mesures drastiques de semi-confinement ont démontré que face à l’urgence, nous sommes capables de réagir de manière forte et rapide. Cela est nécessaire pour résoudre la crise écologique de manière socialement juste, la transition devant intervenir dans un avenir proche et transformer les différents secteurs en profondeur, en intégrant les travailleur·euse·x·s dans la reconfiguration économique. De manière démocratique, mais en sortant du capitalisme antidémocratique qui marchandise tout au point que les citoyen·ne·x·s sont devenu·e·x·s de plus en plus des consommateur·ice·x·s et des producteur·ice·x·s sans vision politique. Dans la même logique, la crise sanitaire a démontré, par l’impréparation et la non-coordination des réponses des gouvernements, l’importance d’une planification démocratique, qui s’inscrive dans le moyen et long terme, préserve l’autonomie locale et permette d’articuler au mieux la production et la distribution en fonction des besoins réels et des moyens à disposition, ce qui est fondamentalement nécessaire pour répondre à la crise écologique et à de potentielles futures crises sanitaires.

La vaccination ne peut donc être pensée comme solution unique en termes de santé publique comme de stabilité économique et sociale. Son accès doit constituer un droit universel pour chacun·e·x·s sans discrimination dans le monde, mais elle ne peut pas tout. C’est pourquoi solidaritéS s’engage résolument contre le système capitaliste, dont l’essence est de maximiser les profits à court terme et qui, en voulant repartir de plus belle, va créer de nouvelles crises encore bien pires, potentiellement sanitaires et assurément environnementales et climatiques, et donc politiques, économiques et sociales. L’avenir n’est pas écrit, il se construit! La solution vers laquelle se tourner est une société écosocialiste, féministe et antiraciste basée sur le soin au vivant, soin vers les autres ainsi que vers les autres espèces et l’environnement.

Nous sommes interdépendant·e·x·s: le rappel de la crise sanitaire contre l’illusion individualiste néolibérale

Si la crise sanitaire que nous subissons peut avoir du positif au-delà de tous les aspects dramatiques qu’elle a engendrés, c’est de visibiliser la centralité du soin dans nos sociétés. Soin en termes de système de santé évidemment, mais aussi d’écologie avec la conscience de notre vulnérabilité et de notre présence au sein d’un écosystème bien plus grand, et de soin envers les autres avec l’importance du lien social qui n’est jamais apparu autant indispensable qu’aujourd’hui.

L’injonction à la vaccination permet justement de masquer la nécessité d’un service public fort au nom de la prétendue responsabilité individuelle. L’injonction à la vaccination permet aussi de masquer la vulnérabilité de notre société face à notre environnement et aux défis qui devraient tou·te·x·s nous occuper tels que le réchauffement climatique, l’effondrement de la biodiversité et l’épuisement des ressources naturelles. L’injonction à la vaccination permet enfin de masquer le non-sens de nos sociétés qui valorisent le profit plus que les vies, la confrontation plutôt que la coopération, la vitesse plutôt que la prise de temps, l’isolement plutôt que le lien.

Face à ce discours néolibéral omniprésent faisant la promotion de l’individualisme forcené, la crise sanitaire est une occasion de renverser le modèle actuel en mettant l’interdépendance au centre et la redéfinition de nos rapports aux autres. D’où le concept de société du « soin » – du “care”, de l’attention – qui est intéressant dans une perspective écoféministe: il permet de lier les luttes contre les différents systèmes de domination – notamment les systèmes capitaliste, patriarcal, raciste, âgiste, validiste et spéciste – en prônant une société qui valorise le « soin » plutôt que la compétition, la surproduction, l’accaparement et l’accumulation au bénéfice des privilégiés. Avec le terme de « soin », on peut faire référence à la fois au soin vis-à-vis de soi-même et des autres (en terme de santé comme de bien-être, d’entraide ou de lien social), au soin à notre environnement et aux autres espèces vivantes, qu’à l’importance du travail de soin (“travail reproductif” effectué très majoritairement par les femme·x·s) qu’il s’agit de reconnaitre, valoriser, et partager en luttant contre la division genrée du travail. Le “soin” compris ainsi dans sa dimension radicalement émancipatrice et révolutionnaire s’inscrit donc dans la lutte contre les rapports d’exploitation et de domination par la reconnaissance de l’existence, des qualités et des besoins de chacun·e·x·s, et par le nécessaire travail collectif de tou·te·x·s pour les satisfaire.

Alors que la crise sanitaire a plus que jamais visibilisé les failles de notre société, le vaccin, innovation essentielle en termes de santé publique, est utilisé pour cacher ces failles comme promesse d’un avenir meilleur. À solidaritéS, nous sommes convaincu·e·x·s qu’un avenir meilleur est possible, mais nous savons qu’il faudra se battre pour le voir se réaliser: luttons ensemble pour une société du soin!

Teo Frei