Halte aux privilèges fiscaux des gros·ses actionnaires

L’Assemblée générale de solidaritéS Genève a décidé de lancer une initiative cantonale dans le cadre d’Ensemble à Gauche pour taxer les dividendes des gros·ses actionnaires sur le même pied que les salaires et les retraites. L’élimination de ce privilège fiscal indu devrait rapporter une centaine de millions au canton et aux communes. 

Magdalena Martullo-Blocher et Christoph Blocher
La famille Blocher a reçu 318 millions de dividendes de EMS Chemie en 2018

En 2018, au niveau mondial, les entreprises multinationales ont versé la fabuleuse somme de 1370 milliards de dollars de dividendes à leurs actionnaires (à peu près le même montant en francs suisses), soit 9,2 % de plus qu’en 2017. Les estimations pour 2019 devraient porter ce pactole à 1414 milliards de dollars. Alors que ce sont les salarié·e·s qui produisent en réalité toute la richesse, on ne cesse de glorifier la valeur créée par les entreprises. Mais on oublie souvent d’évoquer « l’argent que l’on gagne en dormant », pour reprendre la formule de François Mitterand : celui que touchent les actionnaires. 

La Suisse championne du monde 

En cette matière, les multinationales suisses sont les championnes du monde toutes catégories. Avec un montant de 40,1 milliards de dollars de dividendes versés en 2018, elles se placent au niveau des entreprises allemandes, très loin devant les entreprises italiennes. À noter que la totalité des dividendes versés par l’ensemble des entreprises basées en Suisse se situe probablement autour de 60 milliards de francs.

Les gros·ses actionnaires des sociétés helvétiques sont ainsi les plus heureux·euses du monde. Surtout que, depuis la fin des années 1990, le taux de distribution des dividendes de ces entreprises (rapport entre le bénéfice net et les dividendes distribués) a plus que doublé, passant d’une moyenne de 30 % à une moyenne de 70 % aujourd’hui (Nicolas Bürki, Mirabaud Asset Management, « Dividendes : des actionnaires suisses choyés jusqu’au plafond », Le Temps, 28 janvier 2018). 

Pour ne prendre qu’un exemple, en 2017, EMS Chemie a distribué 293 millions de francs de dividendes à la seule famille Blocher (Caroline Freigang, « 293 Millionen Franken für die Blocher-Töchter », Tages Anzeiger, 9 février 2018). Et ce montant a atteint 318 millions en 2018 !

Quelle part supplémentaire de la richesse créée, les gros·ses actionnaires des sociétés suisses vont-ils donc s’approprier après l’adoption de la troisième réforme de l’imposition des entreprises qui va contribuer à augmenter leurs bénéfices après impôts ? Une chose est certaine : elle sera encore plus considérable.

Gros·ses actionnaires ultra-privilégié·e·s 

Bien sûr, approximativement un quart des dividendes des grandes entreprises helvétiques sont versés en Suisse (réponse du Conseil fédéral à la question de la conseillère nationale Jacqueline Badran, 29 septembre 2016), et une partie de ce quart vient grossir les revenus de personnes physiques. 

L’Administration fiscale cantonale (AFC) nous a informé que le montant des dividendes déclarés par quelque 1600 contribuables genevois·es disposant de participations qualifiées (10 % au moins des actions) a progressé de 803 millions en 2015 à 859 millions en 2017 (on appréciera la hausse !), occasionnant des pertes fiscales de 117 millions en 2017 (dont 27 millions pour les communes, soit une dizaine de millions pour la Ville de Genève). Comment vont-elles évoluer à l’avenir ? 

Il y a quelques années, la deuxième réforme de l’imposition des entreprises (RIE II) avait introduit l’imposition partielle des dividendes des gros actionnaires (disposant de droits de participation d’au moins 10 % au capital-actions ou au capital social d’une société). Avec la version cantonale de RFFA, adoptée ce 19 mai 2019, à Genève, ils seront désormais taxés sur 70 % des dividendes perçus sur leur fortune privée (60 % sur leur fortune commerciale). 

Les pertes calculées par l’AFC devraient donc être légèrement réduites. En même temps, le montant des dividendes perçus par les gros·ses actionnaires va augmenter. Si bien que les recettes supplémentaires découlant de la pleine imposition des dividendes des gros·ses actionnaires devrait toujours rapporter une centaine de millions à l’État et aux communes, et plus encore à l’avenir. Ceci constitue donc toujours une grave injustice par rapport aux salaires, aux retraites, et même aux petits actionnaires, qui sont imposés à 100 %. 

Ce n’est qu’un début. solidaritéS entend bien construire un rassemblement plus large afin de supprimer d’autres privilèges fiscaux dont bénéficient les gros héritages, les grandes fortunes, les gros revenus, la spéculation immobilière, mais aussi les professionnel·le·s de l’évasion fiscale. Il n’y a pas d’autre voie pour financer les besoins sociaux de la population, ainsi que la défense du climat et de la biodiversité.

Jean Batou