Révision de l’aide sociale enfin ! Mais pour quelle alternative ?

Initiée en 2019 avec la nomination de la commission « Rossini » chargée de son évaluation, la révision de la loi sur l’insertion et l’aide sociale individuelle (LIASI) a marqué une avancée significative mi-novembre 2021 avec le lancement d’une consultation sur l’avant-projet de loi sur « l’aide sociale et la lutte contre la précarité » (LAS).

Une baigneuse et une vague sombre

Selon l’agenda du Département de la cohésion sociale, un projet de loi devrait être prochainement déposé. Cet avant-projet répond positivement à de nombreuses critiques formulées à l’égard de la loi actuelle et de sa pratique. 

Il réaffirme la primauté de l’accompagnement là où son appauvrissement avait pris une dimension dommageable. Il comprend des augmentations de prestations comme la réintégration du Contrat d’aide sociale individuelle (CASI) dans l’entretien de base et l’augmentation des maximas de loyers pris en compte ainsi que des franchises sur les revenus. 

Il propose aussi de développer la formation, de prendre en charge des réorientations et des reclassements professionnels et de rémunérer les stages en entreprise. En cela il constitue un véritable défi. Espérons que le projet de loi que présentera le Conseil d’État persistera dans ces positions et qu’il ne sera pas péjoré en commission.

Des défauts qui perdurent

La précédente révision de la loi sur l’aide sociale avait abouti à la LIASI au terme d’un processus, qui outre se caractériser par un cinglant manque de transparence, s’était sinistrement distingué par sa volonté de dissocier les personnes proches de l’emploi de celles dites éloignées de l’emploi et de leur appliquer des traitements différenciés. 

Dès son application, en février 2012, un large front de professionnel·le·s et d’acteurs·trices du terrain avaient relevé les inconséquences et les erreurs conceptuelles contenues dans cette loi. Ielles lancèrent un référendum, qui échoua de peu. Par deux fois l’entité chargée de l’évaluation de la loi n’a pas manqué de relever ses défauts. Quelques corrections de la loi ont été opérées pour parer au plus urgent, mais 10 ans plus tard une vraie révision s’impose. 

L’entrée en vigueur de la LIASI a aussi sonné le glas du Revenu minimum cantonal d’aide sociale pour les chômeurs·euses en fin de droit (RMCAS). Certes, ce dernier méritait d’être amélioré, mais il avait surtout le mérite de poser la question de la garantie d’un revenu pour les personnes durablement exclues du marché du travail et des assurances sociales, notamment du chômage et de l’AI. Un questionnement qui demeure singulièrement absent des actuelles réflexions qui entourent la révision de la loi sur l’aide sociale alors que le nombre de personnes à l’aide sociale a doublé en plus de dix ans et que la crise du Covid est venue drastiquement accroitre la demande sociale. 

Si l’avant-projet de la LAS insiste sur la nécessité de modifier le fonctionnement de l’aide sociale pour favoriser un retour durable à l’autonomie et un meilleur accompagnement, il n’évoque pas l’incontournable réflexion à entamer sur de véritables alternatives à l’aide sociale. Il ne répond pas à l’adage cher aux travailleurs·euses sociaux·ales : « Mieux vaut être assuré·e, qu’assisté·e ».

Peu d’alternatives à l’aide sociale

Par essence l’aide sociale n’est pas conçue pour des interventions à long terme. Les montants de l’aide sociale, s’ils permettent de couvrir les besoins vitaux, ne sont pas prévus pour couvrir ces charges sur de longues périodes. Or, la dégradation de la situation économique et sociale et les transformations du marché de l’emploi ont induit une précarisation et une marginalisation d’une part croissante de la population. Les alternatives à l’aide sociale sont difficilement accessibles. Pour preuve : la durée d’aide sociale est passée de 20 mois en 2010 à 54 mois en 2020 !

Une mutation qui oblige à considérer autrement la place de l’aide sociale dans le dispositif de sécurité sociale et impose de prioriser des mesures en amont de l’aide sociale : préserver et développer l’emploi, mieux partager le temps de travail, renforcer l’accès à la formation, améliorer les assurances sociales en élargissant le spectre de leurs protections. 

Il s’agit aussi de définir des mesures propres à garantir des revenus aux personnes qui en sont durablement dépourvues. De nombreux dispositifs ont été mis en place à cette fin : en novembre 2012 les prestations complémentaires pour les familles de travailleurs·euses pauvres, et, plus récemment en juillet 2021, les prestations transitoires pour les chômeurs·euses âgé·e·s. 

Aujourd’hui, aucune révision de l’aide sociale ne peut faire l’économie d’une réflexion prospective sur le développement de la sécurité et de la cohésion sociale. Nous en appelons à l’ouverture d’une telle réflexion et y convions tous les partenaires intéressé·e·s.

Jocelyne Haller