Constituante genevoise:  parité bafouée, que faire ?

Constituante genevoise:  parité bafouée, que faire ?

La Constituante du canton de
Genève, qui a été élue le 19 octobre
dernier, ne compte que 14 femmes pour 80 sièges, marquant un
recul choquant de la représentation des femmes par rapport aux
élections les plus récentes aux législatifs et aux
exécutifs. Déjà au Conseil National, avec 2 femmes
pour 9 hommes, les élues n’étaient plus que 18% en
2007, contre 27% lors des deux législatures
précédentes. Au Grand Conseil genevois, la proportion des
femmes piétine aussi depuis une dizaine d’années:
36% d’élues en 1997, 21% en 2001, puis 31% en 2005, mais
avec un Conseil d’Etat cette fois-ci uniquement masculin. Dans
les communes, la situation est certes moins catastrophique: les femmes
étaient en effet 30,4% dans les législatifs et 22,6% dans
les exécutifs en 1999, contre 33,5% et 24,8% en 2003, et enfin
35% et 24% en 2007… Mais ce n’est pas la parité non
plus, loin s’en faut.

De tels résultats n’expriment pas seulement
l’insuffisant engagement des partis politiques et des
institutions concernées pour promouvoir l’élection
des femmes, même s’il reste bien des choses à
imaginer en la matière. Ils traduisent aussi les effets
cumulés de nombreuses inégalités vécues et
intériorisées depuis l’enfance, en matière
d’image de soi, d’éducation, de prise en charge des
tâches domestiques et des soins dans la famille,
d’implication et de responsabilisation dans la vie
professionnelle et publique, de conditions de travail, de salaires,
etc. Ces discriminations sexistes se combinent avec des handicaps
sociaux, et pèsent donc d’autant plus lourd que l’on
appartient aux classes les plus défavorisées de la
société. En croisant les critères de genre et de
classe, la possibilité d’être élue, pour une
femme de milieu modeste, est ainsi pratiquement nulle…

Des dispositifs pour favoriser la parité

Faut-il pour autant baisser les bras et considérer que la
parité dans les mandats électifs ne pourra
résulter que de changements sociaux plus fondamentaux, qui
lèveront une à une les barrières qui se dressent
devant l’élection des salarié-e-s modestes, plus
généralement des femmes, et de façon plus
radicale, des étrangers parmi eux-elles? Nous ne le croyons pas.
C’est pourquoi solidaritéS présente des listes
strictement paritaires, s’efforce de donner à ses
candidates une «visibilité» particulière dans
les campagnes électorales (par ex. la tête de liste), et
appelle ses électeurs-trices à respecter cette
volonté. Mais cela est insuffisant, puisque l’ordre de nos
élu-e-s n’est pas déterminé par leur place
sur nos listes, ni même par les suffrages qu’ils-elles
reçoivent de nos électeurs-trices. En fin de compte, on
sait qu’il est avant tout modifié par les suffrages
personnels que leur donnent les électeurs-trices des autres
partis qui les rajoutent sur leurs bulletins.

Pour ces raisons, notre mouvement a initié une réflexion
en vue de développer des dispositifs institutionnels qui
favorisent la parité, non seulement sur les listes de
candidat-e-s, mais aussi parmi les élu-e-s. En amont, cela
suppose évidemment une modification des procédures
électorales elles-mêmes: pourquoi ne pas concevoir, par
ex., des listes sur deux colonnes, femmes et hommes, qui garantiraient
l’élection d’un nombre égal de candidat-e-s
des deux sexes sur chaque bulletin? Mais en aval, cela nécessite
aussi le développement de mesures spécifiques
ciblées qui visent à compenser les difficultés
particulières rencontrées pour siéger par les
élu-e-s des milieux les plus modestes et, de façon plus
générale, par les femmes (mise à disposition de
moyens de secrétariat plus importants, formations
spécifiques à la demande, aide à la prise en
charge des enfants, etc.)

Que faire avec cette Constituante?

Bien sûr, les résultats particulièrement
caricaturaux de l’élection à la Constituante
résultent du caractère artificiel de toute cette
démarche, que nous avions critiquée dès le
début: révision à froid d’un texte
fondamental sans débat ni mobilisation préalables,
insistance sur des enjeux juridiques et techniques au détriment
de véritables choix de société, appel à des
candidat-e-s disposant de compétences particulières et
d’une vaste expérience, etc. D’où un choix
fortement biaisé en faveur des hommes d’abord – des
hommes âgés en particulier – disposant de positions
de «responsabilités» bien établies dans la
société. C’est donc pour l’essentiel un
conclave de notables et d’experts, discriminant largement les
femmes, les jeunes et les candidat-e-s des couches
défavorisées, qui a été
désigné pour fixer les nouvelles règles
fondamentales de notre «vivre ensemble» cantonal. Ce
paradoxe laisse mal augurer de sa sensibilité aux
problèmes essentiels vécus par la majorité de la
population, en particulier par les couches défavorisées,
mais aussi par les femmes…

Pour cette raison, la Coordination de solidaritéS-Genève,
les candidat-e-s à la Constituante, mais aussi le groupe de
travail qui a porté notre campagne au quotidien, ont mené
plusieurs discussions et présenteront des propositions à
notre assemblée générale du lundi 17 novembre
prochain. Nous n’entendons en effet pas baisser la tête
devant un résultat aussi choquant, en particulier en ce qui
concerne nos élu-e-s. Comment pourrions-nous admettre sans autre
qu’une liste strictement paritaire comme la nôtre, qui a
été conduite par des femmes et des hommes, mais qui a
fait aussi de l’égalité entre les sexes un cheval
de bataille et un argument central de campagne, débouche sur
l’élection de quatre hommes pour quatre sièges, en
particulier en raison d’un nombre inégal de voix
recueillies par nos candidat-e-s sur d’autres listes… A
situation exceptionnelle, ne faut-il pas donner des réponses
exceptionnelles? Nous y reviendrons dans ces colonnes.

Jean Batou