Philippines

Red-tagging contre les militant·es écologistes

Lia Mai Alonzo Torres est la directrice du Center for Environmental Concerns aux Philippines. Elle était à Genève, début mars, à l’occasion de la 55e session du Conseil des droits de l’Homme et nous a raconté comment les organisations des pays du Sud notamment parviennent à utiliser les institutions de l’ONU pour défendre localement leurs droits. 

Manifestation écologiste à Manille, Philippines
Rassemblement de protestation contre un projet destructeur de la baie de Manille et pour la libération des activistes Jhed Tamano et Jonila Castro, Manille, 19 janvier 2024

Dans la région Asie-Pacifique, il y a eu 441 assassinats de défenseur·euses de l’environnement entre 2012 et 2021, soit 25% du nombre total mondial selon le Global Witness report. Il y a également de nombreuses arrestations arbitraires, poursuites-bâillons, agressions physiques et disparitions forcées. Notamment de personnes qui s’opposent à des projets d’infrastructure ou d’exploitation minière à grande échelle car, paradoxalement, avec l’appel mondial à l’abandon des énergies fossiles, la demande de minerais de transition est en hausse…

Les Philippines prennent la première place de ce classement. Beaucoup pensent que la situation des droits humains s’est améliorée juste parce que le président a changé mais ce n’est pas vrai: au cours des 20 premiers mois du mandat du nouveau président, Ferdinand Marcos Jr, il y a déjà eu 15 assassinats extrajudiciaires, 18 arrestations et détentions arbitraires et 6 disparitions forcées de défenseur·euses de l’environnement. 

Le gouvernement mène une politique basée sur la loi antiterroriste (ATA), qui a été approuvée au plus fort de la pandémie de covid. Celle-ci contient une définition vague et trop large du terrorisme qui est massivement utilisée comme arme contre les défenseur·euses de l’environnement. La National Task Force to End Local Communist Armed Conflict (NTF ELCAC) a pris la tête du red-­tagging, c’est-à-dire la pratique du gouvernement consistant à désigner abusivement des individus et des organisations comme communistes ou terroristes. 

Du fait de la guerre civile en cours, connecter les défenseur·euses des droits humains au mouvement communiste sert de justification aux actions violentes du gouvernement supposément dirigées contre des «rebelles armés». Le red tagging d’individus et d’organisations les expose à des attaques plus violentes du gouvernement tel que des arrestations, des disparitions forcées et des assassinats extrajudiciaires.

Les luttes contre l’exploitation minière à grande échelle, les grands barrages et la poldérisation (déversement de matériaux de remplissage sur les côtes pour étendre les terres au détriment de la mer), dont les promoteurs sont de grandes entreprises locales et étrangères, soutenues par le gouvernement. 

Pour donner quelques exemples de projets qui entraînent à la fois des dégradations de l’environnement et des violations des droits humains: les opérations minières d’OceanaGold, une société canado-australienne dont le permis a été renouvelé malgré l’opposition des populations locales ; le barrage de Kaliwa, financé par l’aide publique au développement chinoise, et le nouvel aéroport international de Manille, dont le maître d’œuvre est la société néerlandaise Boskalis. 

Nous venons à Genève pour faire pression sur nos gouvernements afin qu’ils prennent des mesures, pour que l’ONU (à travers ses «procédures spéciales» notamment) enquête sur la situation sur le terrain, et pour rassembler un soutien international. 

Deux rapporteurs spéciaux des Nations unies se sont rendus récemment aux Philippines et ont tous deux recommandé la dissolution du NTF ELCAC et la révocation de l’ATA. Ils ont dû faire face à des réactions hostiles de la part du gouvernement qui essaie de cacher la détérioration des droits humains dans le pays. Leurs rapports, qui ont été présentés devant le Conseil des droits de l’Homme ou l’Assemblée générale des Nations unies, sont très importants pour notre action locale. À Genève, nous participons notamment aux «dialogues interactifs» avec les rapporteurs spéciaux et à des réunions avec d’autres organes des Nations unies, afin de les inciter à agir pour améliorer la protection des défenseur·euses de l’environnement.

Nous rencontrons aussi d’autres organisations de la société civile avec lesquelles nous menons des actions: par exemple, nous avons coordonné des campagnes avec des organisations des pays d’origine des entreprises qui agissent dans nos pays, afin de faire pression pour qu’elles respectent les droits humains et qu’elles rendent des comptes. Nous avons également lancé des appels pour libérer des défenseur·euses de l’environnement arrêté·es ou enlevé·es, comme récemment les jeunes activistes Jhed Tamano et Jonila Castro. Une déclaration internationale a recueilli un large soutien et elles ont été libérées deux semaines plus tard. 

La solidarité internationale est essentielle car nous sommes plus fort·es lorsque nous travaillons ensemble.

Propos recueillis par Jeanne Planche