Willi Münzenberg artiste en révolution

Willi Münzenberg artiste en révolution

Enfin! Fayard publie le premier livre
en français sur Willi Münzenberg, personnage pourtant
incontournable du mouvement ouvrier au 20e siècle.
Véritable génie de l’organisation et de la
propagande, il dirigea les jeunesses socialistes internationales, fut
nommé par Lénine pour développer la propagande du
Komintern, publia des dizaines et des dizaines de revues, avant
d’être assassiné par des agents staliniens.

Pour les lecteurs-trices avides de l’histoire du mouvement
communiste, le nom de Münzenberg n’est pas inconnu. Il est
celui qui revient chapitre après chapitre, discret et pourtant
important; celui dont on n’arrive pas toujours à saisir le
rôle tout en en sentant le caractère déterminant.
Après le moment de joie ressentie par ce vide enfin
comblé, il reste à savoir si les deux auteurs du livre,
qui ne sont pas historiens, ont réussi à présenter
ce personnage de manière précise et politique.

Un engagement continu

Tout le long du livre, c’est ébahi qu’on
découvre l’incessante activité d’un Willi
Münzenberg s’adaptant aux pays, aux différentes
lignes politiques, aux artistes comme aux ouvriers-ères. Alain
Dugrand et Frédéric Laurent nous font le récit des
différents journaux et comités à mettre à
son actif, en précisant toujours le contexte historique et
politique de l’époque. C’est d’ailleurs une
des qualités de ce livre que d’accepter de prendre le
temps de cette présentation contextuelle qui est
évidemment nécessaire à la compréhension de
la biographie de Willi Münzenberg tant sa vie est liée
à l’histoire.

Ainsi au début du siècle, il est militant de premier rang
des jeunesses du SPD (parti socialiste allemand), puis du parti
socialiste suisse avant de prendre la direction de
l’internationale de ses jeunesses. Dans ces premières
années de militance, Willi s’oppose aux bonzes socialistes
sur deux terrains: en condamnant la guerre et en prônant
l’indépendance des jeunesses. Ce dernier combat, il devra
le continuer une fois rejoint le KPD (Parti communiste allemand) et le
Komintern. En vain. Le congrès de 1921 refusera toute autonomie
aux jeunesses et Willi est écarté de la direction. Mais
en contrepartie, Lénine lui demande de créer une
structure favorable à la révolution socialiste, une sorte
de second appareil de propagande, en plus de celui du Komintern.

Grâce au financement soviétique, Münzenberg va ainsi
mettre sur pied un véritable empire médiatique, qui sera
successivement appelé le «Konzern Münzenberg»,
en Allemagne, puis la «centrale Münzenberg», durant
l’exil de Willi à Paris suite à la prise de pouvoir
des nazis. Il édite de très nombreuses et très
différentes revues, des livres (dont le Livre Brun,
réquisitoire contre la terreur nazie) et produit des films. Dans
ces différents médias, il suit deux principaux buts: la
propagande idéologique et la recherche de soutiens, notamment
financiers, pour la Russie qui subit de graves famines au début
des années 20.

Münzenberg jouit d’une forte autonomie dans ses
différents projets. Ceci s’explique par le fait que sa
propagande a souvent comme mission de toucher les non-convertis,
c’est-à-dire les petits-bourgeois humanistes, les
sympathisants, les artistes. Pour étoffer le nombre de
compagnons de route, qui permettent de donner une bonne image de
l’Union soviétique, Münzenberg va fonder et animer
autour de l’anti-impérialisme et de l’anti-fascisme
de très nombreux comités, proche du parti communiste sans
y être affilié.

Déjà critique par rapport aux dérives autoritaires
du bolchevisme et conscient de la dégradation des conditions de
vie en Russie, Willi rompra avec le parti suite au pacte
germano-soviétique. Il se lancera alors dans une critique en
règle de Staline. Ce dernier le fera exécuter en 1940.

Un homme insoumis?

Tout au long de sa vie, Willi Münzenberg fera preuve d’un
talent indubitable pour le recrutement, l’édition de la
presse, où il utilisera l’ensemble des techniques
modernes, comme l’usage d’illustration ou les reportages de
terrain. Voilà pour les faits. Mais qui est vraiment Willi
Münzenberg? Où se situe-t-il politiquement?

A ces questions, ce livre ne répond malheureusement que
très peu. Les auteurs s’enferment dans le simple
récit factuel individuel qui fait penser aux films sortis
récemment (Mesrine, Baader). Du positionnement politique de
Willi Münzenberg, tout ce que le livre nous dit de façon
claire est qu’il était un pacifiste inconditionnel et un
opposant farouche au nazisme. Sinon les auteurs utilisent le terme
ambigu de «gauchiste» sans le développer. En
commençant leur livre par le récit de l’incendie du
Reichstag et par la réaction absurde du KPD qui considère
alors toujours la social-démocratie comme l’ennemi n°
1, Dugrand et Laurent veulent présenter Willi comme
l’homme opposé à ces deux repoussoirs que sont le
nazisme et le stalinisme. Or Willi brille plutôt par sa
capacité à rester en retrait des conflits de directions.
Grâce à cela, il survit aux changements incessants de
lignes et de têtes au sein du parti. Mais cette position de
retrait et d’adaptation aux différentes lignes politiques
fait de la centrale Münzenberg un simple appareil formel pouvant
obéir à n’importe qui. La seule façon de
percer la ligne politique de Münzenberg aurait été
de citer fréquemment des articles issus de ses journaux. Or il
n’est quasiment pas fait usage de ces sources tout au long du
livre. De même, on ne trouve aucun renseignement précis et
chiffré du financement dont Münzenberg dispose. Les auteurs
précisent que souvent son nom n’apparaît nulle part,
que ce sont des prête-noms qui sont supposés
posséder les entreprises. Mais combien reçoit
Münzenberg du Komintern et quel profit tire-t-il de ses
différentes activités comme sa participation au capital
d’une usine de tabac? Cela, nous ne l’apprendrons pas dans
le présent livre.

A la fin de la lecture, on reste donc sur sa faim et on peut souhaiter
un second ouvrage, plus proche des sources, où une plus grande
place serait attribuée à l’examen des lignes
politiques présentes dans les différents organes de
presse dépendant de Münzenberg. Ce livre n’en reste
pas moins agréable à lire et offre enfin une vision
globale sur la vie d’une figure très intéressante
de la première moitié du 20e siècle.

Pierre Raboud