Art Basel

Art Basel : Répression et cynisme à la foire

Dans le cadre de l’édition 2013 d’Art Basel, une des plus importantes foires annuelles d’art contemporain, une installation a retenu l’attention : « Favela Café ».

Ce projet de l’artiste Kawata et de l’architecte Christoph Scheideger consistait à dresser, sur la grande place située devant l’entrée de la foire, plusieurs baraquements avec des matières de fortunes. Dans ceux-ci, les visiteurs.euses avaient la possibilité de se reposer et de se désaltérer. Ce café, d’un genre tout à fait particulier, avait été commandé par les orgnisateurs.trices de la foire. 

De nombreux aspects de cette installation dérangent. D’abord, ce projet n’a rien de participatif ou d’alternatif, les prix étant élevés, même s’ils le sont moins que ceux pratiqués à l’intérieur. De plus, la référence aux favelas se révèle problématique. Il suffit de regarder la vidéo de présentation de l’installation (youtube.com/watch?v=ibpzmbVIAQs), pour ressentir ce qu’il y a d’obscène socialement à donner le nom de bidonvilles d’une extrême pauvreté à un café où des gens plutôt chics, du jeune amateur au riche galeriste, vont venir siroter du champagne et déguster des petits canapés, tout cela dans le cadre d’une foire où énormément d’argent circule. Même si l’intention de l’artiste pouvait être de dénoncer ce cynisme, la pertinence d’une telle démarche dans le cadre d’Art Basel semble difficilement tenable. 

 

Occupy art

Des militant·e·s de Basel wird besetz (Occupy Bâle) ont ainsi décidé de dénoncer ce non-­respect des favelas et de la pauvreté en général, tout en profitant du cadre offert par l’installation, pour s’approprier ces baraquements, les compléter par d’autres et les autogérer. Via un site internet (countdown-basel.tk), ils-elles ont présenté un programme d’activités ainsi qu’une critique rapide de la place que joue l’argent dans l’art contemporain. La partie festive a réuni environ 150 personnes. Force est de relever, la part de naïvité de cette action, qui entendait défendre, au-delà de la critique, la dimension culturelle tolérante de la foire. En effet, après avoir accepté cette occupation pour un court laps de temps, Art Basel a fait évacuer la place. Cette répression, fort peu relatée dans la presse, a surtout impressionné par sa débauche de violence gratuite. Après les sommations de rigueur, la police a chargé les jeunes et détruit l’installation ne cachant pas un certain plaisir à endommager les platines des DJ. Que la direction d’Art Basel n’ait, du moins, pas cherché à s’assurer d’une intervention policière plus « douce » ne souligne que l’évidence : Art Basel reste un lieu où les plus riches viennent investir dans l’art contemporain, un lieu qui ne laisse que peu de place aux revendications et à l’imprévu.

 

Pierre Raboud


Cent espaces d’art éclairent mieux qu’un phare

 

Nous reprenons ici une version synthétisée par nos soins de la pétition en faveur des espaces d’art indépendants également lancée en marge de Art Basel.

 

 

Suite à l’entrée en vigueur de la loi pour l’encouragement de la culture (LEC) en 2012 et à la nouvelle répartition des tâches entre l’OFC et Pro Helvetia, le soutien financier aux espaces d’art, sous forme du Prix fédéral pour les espaces d’art (anciennement subvention annuelle), a disparu. Depuis, il n’existe plus de soutien financier dans le cadre fédéral pour de petits et moyens espaces d’art, ni pour des projets d’art sans espace fixe. Les espaces d’art autogérés, à but non-lucratif, dont il existe plus de 100 exemples actifs en Suisse, sont particulièrement affectés. Les fondations privées, qui pourraient compenser cette perte, devront renouveler le système de répartissement de leur budget limité entre un plus grand nombre de demandeurs. 

    L’air est devenu plus rare pour les espaces autogérés. Parallèlement à la politique de promotion des institutions-phares, qui favorise les expositions « blockbuster» très coûteuses, le développement architectural des musées et la conservation se font souvent au détriment de la production; les contenus, les expérimentations et les espaces indépendants doivent contrebalancer cette vision « mainstream » qui se base sur les succès publics à court terme et une commercialisation de l’art. Dans ce contexte problématique, ces espaces – qui ont pourtant fait preuve d’un succès reconnu – sont mis en danger.

    Les espaces d’arts indépendants sollicitent un débat sur la politique culturelle, thématisant les conditions cadres de la production culturelle, et tout particulièrement les conditions de travail précaires des artistes, curatrices et curateurs, et responsables de ces espaces d’art. Ce débat se révèle urgent et nécessaire car, du point de vue de la politique actuelle, la culture est considérée de plus en plus sous un aspect économique et articulée en termes de stratégies de profit, de mécanismes d’optimisation et d’instrumentalisations contextuelles. 

    On ne peut plus se permettre de jouer ce jeu. La Confédération, les cantons et les communes devraient repenser leurs concepts de soutiens désuets et les adapter à l’actualité. Une culture stimulante naît là où il y a du courage pour l’ouverture et où des points de vue radicalement différents se confrontent.

 

La pétition « Cent espaces d’art éclairent mieux qu’un phare » a été initiée par OFFOFF – regroupement des espaces d’art indépendants, les représentantes et représentants des espaces d’art indépendants à but non-lucratif, les artistes, les curatrices et curateurs indépendant·e·s ainsi que les personnes impliquées.

Informations complémentaires et contacts :

charta2016.blogspot.com