Crédit Suisse dans les pas de Nestlé

Douze ans après Nestlé, Credit Suisse perpétue la tradition helvétique du flicage politique en infiltrant Greenpeace et en faisant surveiller ses propres cadres.

Action de Greenpeace lors de l’AG de Credit Suisse pour protester sur son financement du Dakota Access Pipeline, avril 2017.

Dans les couloirs feutrés de la banque internationale, du côté de la Paradeplatz zurichoise, il est tout à fait admis, voire recommandé, de se comporter comme un flibustier des Caraïbes. À condition que cela ne se voie pas. Surtout lorsque l’on a recentré sa banque sur la gestion de fortune, où la discrétion est un maître mot. C’est pour avoir oublié cette règle fondamentale que le directeur général du Credit Suisse, Tidjane Thiam, vient de se faire virer, malgré des résultats présentables en matière de restructuration.

Depuis quelques mois, la banque faisait régulièrement la une pour ses pratiques de surveillance de ses cadres. Après l’utilisation de détectives privés filant l’ancien responsable de la gestion de fortune internationale, Iqbal Khan, on a appris que le même sort avait été réservé à l’ex-directeur des ressources humaines, Peter Goerke. Du coup, le chef des opérations de Credit Suisse, bras droit de Thiam, est lui aussi viré. Mais le cave se rebiffe : son licenciement lui fait perdre plusieurs millions d’actions bloquées. Olivier-Pierre Bouée envisage donc de porter l’affaire devant la justice, ce qui assurerait une longue et mauvaise publicité à la banque.

La partie helvétique du Conseil d’administration, son président Urs Rohner et son soutien, Severin Schwan de la multinationale Roche, sifflent la fin de la récréation. Ces deux sont, avec le fonds Blackrock et le Fonds souverain norvégien, plus sensibles à l’effet d’image que les gros actionnaires moyen-orientaux (Fonds souverain du Qatar, Olayan de l’Arabie saoudite). Le coup de pouce à l’éjection de Thiam fut la dernière (?) révélation concernant l’infiltration politique de Greenpeace par Credit Suisse.

Le silence est d’or
L’ONG avait perturbé l’assemblée générale des actionnaires de la banque en 2017, protestant contre l’appui financier qu’elle apportait à un projet de pipe-line dans le Dakota du Nord. Grand seigneur, Thiam avait alors déclaré qu’il soutenait la liberté d’expression. La suite fut nettement moins glorieuse. Credit Suisse a infiltré le groupe de Greenpeace chargé de l’organisation de ce type d’actions. Sachant à l’avance quelle filiale était visée, il en barrait l’accès par de faux chantiers où se regroupaient les membres de son service de sécurité.

Cette pratique rappelle étrangement l’infiltration d’Attac Vaud par des agentes de Securitas, pour le compte de Nestlé, il y a une douzaine d’années de cela. La connivence des autorités avec la multinationale avait permis d’enterrer l’affaire à coup de non-lieux. Le juge qui les avait prononcés est aujourd’hui commandant de la police cantonale vaudoise. Il n’y a pas que dans la banque zurichoise que le silence est d’or.


Daniel Süri