L’innovation selon Novartis 

Prix des médicaments: qui veut payer des millions ?

Novartis met en vente son dernier traitement à 2 millions de dollars. Elle propose une loterie pour l’offrir à 100 bébés. Face à la polémique, l’entreprise se ravise. Cette « maladresse » trahit une situation de prix exorbitants fixés dans la plus grande opacité.

C’est grâce à la mobilisation populaire du Téléthon que le Zolgensma® a pu être développé.

Depuis quelques mois, Novartis défraie la chronique. L’été dernier la polémique commence autours du prix de vente de son nouveau traitement, le Zolgensma®. Il permet de traiter l’amyotrophie spinale, maladie génétique rare incurable. La dose de cette nouvelle préparation coûte 2 millions.

Pour rajouter une couche à ce scandale, l’entreprise a annoncé dernièrement qu’elle offrirait ce nouveau médicament à 100 enfants tirés au sort. Vasant Narasimhan, directeur général de Novartis, défendait le procédé comme « le seul moyen que nous avons trouvé pour procéder à une distribution juste et équitable du produit disponible », la capacité de production étant très limitée (Le Temps, 4.2.2020). Le tirage au sort permettrait également de fournir le médicament dans les pays où celui-ci n’est pas encore autorisé, et ainsi de faire pression sur les autorités sanitaires des différents pays pour qu’elles approuvent la commercialisation du Zolgensma®.
L’association AFM-Téléthon s’indigne : « Comment peut-on envisager un instant que la vie d’un enfant puisse être le gros lot d’une loterie ? ». Elle dénonce une véritable « roulette russe », éthiquement très critiquable. Les enfants atteints d’une amyotrophie spinale sévère sont condamné·e·s à mourir à court terme. Face à la polémique, Novartis renonce finalement au tirage au sort. Des doses seront malgré tout distribuées gratuitement, « mais selon des critères définis par Novartis et plus sur la base d’un tirage au sort » (RTS, 9.2.2020).

Des prix exorbitants et opaques

Les réactions sont d’autant plus fortes que la recherche fondamentale ayant permis le développement de la thérapie a été financée par de l’argent public via l’AMF-Téléthon. La prime à l’innovation, argument souvent avancé pour défendre le prix exorbitant des médicaments, ne tient pas. L’identification de l’anomalie génétique et sa correction a été faite au sein des laboratoires Généthon. Puis, ceux-ci ont signé un contrat de licence avec une start-up aux États-Unis, AveXis, pour la mise en place des essais cliniques et la commercialisation du produit. Novartis flaire le bon filon et rachète l’entreprise en mai 2018, pour 8,7 milliards de dollars (Golias Hebdo, 9.1.2020). Monsieur Narasimhan avance : « Il ne faut pas perdre de vue qu’il s’agit là d’un traitement unique et ponctuel, alors que d’autres options nécessitent d’être administrées sur des périodes pouvant représenter plusieurs décennies. Le prédécesseur du Zolgensma, par exemple, coûte plus de 5 millions de dollars sur dix ans […]. Sous cet angle, le Zolgensma peut être considéré comme efficient en matière de coûts […] et je suis persuadé que les systèmes de santé trouveront un moyen pour en couvrir le prix ».

Le prix du Zolgensma a donc été fixé en le comparant au prix du traitement concurrent actuel, le Spinraza®, produit par Biogen. Comme le soulignent des parents d’enfants souffrant d’amyotrophie spinale, les coûts de production réels de ces traitements sont impossibles à connaître. Selon Christian Cottet, directeur général de l’AFM-Téléthon, l’absence totale de transparence entretenue par les pharmas est l’une des causes majeures de l’envolée des prix (Slate, 1.09.2019).

Au-delà du scandale éthique, un problème politique

Nous n’allons pas résoudre le problème des prix des médicaments par la moralisation des chefs d’entreprise de la pharmaceutique suisse et internationale. Nous ne pouvons pas non plus compter sur nos parlementaires et nos institutions pour défendre les intérêts des patient·e·s et de leurs familles par la contrainte des profits des entreprises pharmaceutiques. Le lobbying et les conflits d’intérêts sont légions sous la coupole du Palais fédéral. L’ONG Public Eye dénonce notamment le rôle opaque d’IG Biomed (Groupe d’intérêt Recherche biomédicale et innovation) défendant directement les intérêts d’Interpharma (Association des entreprises pharmaceutiques suisses pratiquant la recherche) (Public Eye, 26.09.2019).

Nous devons faire pression sur l’Office fédéral de la santé publique afin qu’il tienne tête au lobby des pharmas et effectue des contrôles beaucoup plus stricts des prix des nouveaux médicaments. Par exemple, les entreprises pharmaceutiques devraient avoir l’obligation de dévoiler les coûts réels de recherches et de production de leurs produits afin que les prix, les autorisations de vente et de remboursements puissent être fixés en toutes connaissances de cause. De plus, Swissmedic, l’autorité d’admission et de surveillance des médicaments, est financée en grande partie par les émoluments des entreprises pharmaceutiques (Le Courrier, 13.01.2020). Son indépendance vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique doit être garantie. Par ailleurs, nous soutenons le développement massif des génériques et de la recherche publique en limitants les brevets et les abus de « primes à l’innovation ».


Julien Nagel