MILITANTISME QUEER ET ANTIRACISME

Réflexions d’une intersectionée

Une danse lors du festival Koovagam
Chaque année, les personnes travesties et trans* sont célébrées durant le festival Koovagam en Inde

Comme pour beaucoup de personnes non-blanches vivant dans le Nord global, ma queerness et ma racialisation ont de la peine à cohabiter intimement et politiquement. Cette tension m’interroge. Est-ce dû à une problématique individuelle, une sorte de défaut ? Ou est-ce le symptôme du système complexe des rapports de pouvoir qui, en structurant le monde, me structure également. Probablement un mélange des deux.
Cela a évidemment des conséquences sur mon bien-être mais aussi sur ma manière d’être au monde est donc de militer. Je vous propose donc quelques réflexions en vrac pour lesquelles il manque encore un fil rouge net et précis. Même si ce ne sont pour l’instant que quelques zones de lumières dans un espace sombre, il me semble intéressant de les partager avec vous pour qu’ensemble, collectivement, nous tentions de faire lumière.

Soyons #woke et luttons contre le racisme et les LGBTQIA+-phobies en même temps !
Une compréhension simpliste de l’intersectionalité pourrait professer que cette tension pourrait se résorber en luttant contre les LGBTQIA+-phobies et le racisme en même temps. Si nous le disons et le pensons assez fort, les réponses politiques adéquates apparaîtront comme par magie. Néanmoins, l’on constate des résistances du côté des luttes antiracistes et décoloniales où le combat pour l’émancipation des personnes LGBTQIA+ a pu être perçu et même attaqué comme une forme d’impérialisme supplémentaire.

Le concept d’homonationalisme (voir article « Instrumentalisation raciste des mouvements LGBTQIA+« ) est un outil d’analyse qui permet de mieux comprendre les dynamiques en jeu. L’un des enjeux importants en est la croyance que la tolérance envers les personnes LGBTQIA+ est un produit de la modernité occidentale et qu’avec le temps, les sociétés, dans un processus linéaire, trouveront la lumière et ainsi l’acceptation des personnes déviantes de la norme cishétéropatriarcale.

Cette croyance pose plusieurs problèmes : notamment l’invisibilisation des identités déviantes de genre pré-coloniales, la réification du concept LGBTQIA+ devenant de facto la seule manière de penser les identités déviantes de la norme de genre et l’effacement du rôle des mouvements de libération LGBTQIA+ dans les luttes gagnées ces dernières décennies.

LGBT n’est pas un acronyme neutre. En effet, derrière ces lettres, il y a aussi des modes d’action, des stratégies et des signifiants culturels ancrés dans la société cishétéropatriarcale blanche et capitaliste. Il s’agit d’ailleurs d’un acronyme traversé de contradictions et qui, bien qu’il ait pu contribuer au développement de mouvements de luttes importants, reste utilisé à défaut de mieux. N’oublions d’ailleurs pas que ce n’est pas nous les déviant·e·s en tout genre, qui nous sommes nommé·e·x·s lesbiennes, homosexuels et trans*, mais une médecine bourgeoise et capitaliste dont l’objectif était de classifier notre anormalité afin d’éviter la contagion.

Une méfiance légitime certes, mais…

La méfiance ressentie par les mouvements anti-raciste et décoloniaux par rapport à ce concept de « LGBT » est donc à mon humble avis compréhensible tant celui-ci fait parti de l’arsenal des politiques homonationalistes. Par contre nier l’existence de la déviance de genre et de sexualité dans les sociétés non-blanches ne l’est pas. Comme l’attestent différentes recherches, la déviance de la binarité de genre aurait existé à un niveau individuel mais également sociétal dans de multiples cultures précoloniales sur tous les continents. Néanmoins, celle-ci avait (et a) des différentes manières de se penser, de se nommer et évidemment de se vivre. C’est en déterrant petit à petit des morceaux d’histoire enfouis par le colonialisme que l’on commence à entrevoir que la déviance de genre et de sexualité n’est pas le produit des sombres et destructrices lumières occidentales. Les Deux-Esprits amérindiens, les Hijras dans le sous-continent indien ou les Góor-jigéen du Sénégal, concepts plus au moins antérieurs à la colonisation, en sont des exemples parlants.

Une réappropriation essentielle

Ces facettes apparaissant en tension me le semble de moins en moins , ou en tout cas pas de manière essentielle. La création de cette tension tient bien plus des dynamiques d’exploitation et de domination qui structurent nos sociétés. Si les LGBTQIA+ n’existent pas partout, les déviant·e·s de genre et de sexualités oui, rendant la queerness de facto légitime partout également. C’est en se réappropriant nos histoires mais aussi nos sexualités et noS genreS dans toutes leurs complexité et leurs fluidités, que nous serons à même de lutter,ressentir et vivre l’utopie queer dont nous rêvons.

Maimouna Mayoraz