L’OTAN revoit son «concept stratégique»

Entretien avec Jaime Pastor, professeur de sciences politiques et directeur de la revue Viento Sur à propos du sommet de l’OTAN à Madrid

Volodymyr Zelensky parle à l’OTAN
Allocution de Volodymyr Zelensky, 29 juin 2022
NATO

Quels étaient les buts du sommet de l’OTAN, à Madrid ?

Les objectifs de cette réunion étaient fondamentalement centrés sur l’actualisation du « concept stratégique » de l’OTAN : renforcer la militarisation du flanc est face à la Russie (« la menace la plus significative et directe pour la sécurité ») et du flanc sud face à la dénommée « immigration illégale » qui menacerait « la souveraineté et l’intégrité territoriale » des États membres ; faire face aux « conflits, à la fragilité et à l’instabilité en Afrique et au Proche-Orient [qui] touchent directement notre sécurité et celle de nos alliés » ; pointer aussi l’aire géopolitique clé de l’Asie-Pacifique, face au principal concurrent stratégique de l’hégémonie étasunienne, c’est-à-dire la Chine (vu que celle-ci représente des « défis systémiques » à « notre sécurité, à nos intérêts et à nos valeurs »). Tout cela en maintenant la déjà vieille guerre globale contre le terrorisme « dans toutes ses formes et manifestations » : une formule dont la tendance extensive, s’appliquant à toute forme de protestation, est suffisamment vérifiée.

Dans ce cadre, on utilise des formules ambiguës (« acteurs autoritaires », « compétiteurs stratégiques », « adversaires potentiels », « stratégies de guerres hybrides ») pouvant justifier l’intervention militaire de l’OTAN bien au-delà de la supposée mission « défensive » qui a présidé à sa fondation, comme cela s’est déjà produit plus d’une fois par le passé. 

Évidemment, la demande d’entrée dans l’Alliance déposée par la Finlande et la Suède – sur le dos probablement des résident·e·s kurdes dans ces pays, comme l’a exigé le régime autoritaire de Turquie – a été reçue avec enthousiasme, surtout par les USA. Cette grande puissance a été sans doute le grand triomphateur d’un sommet ayant réussi à obtenir une augmentation substantielle du budget militaire de l’Union européenne (UE) et l’adhésion totale à son projet militariste global. Les pays de l’UE ont ainsi renoncé aux velléités d’une « autonomie stratégique » à laquelle ils prétendaient aspirer. 

Tout cela s’est accompagné d’une réaffirmation du rôle joué par leur arsenal nucléaire comme « suprême garantie de sécurité », contribuant ainsi à une nouvelle course aux armements sur tous les plans. 

Nous sommes donc confrontés à une stratégie agressive qui, malgré le recours à l’alibi de la guerre injuste contre l’Ukraine et à la rhétorique libérale pour satisfaire l’opinion publique, implique un saut en avant très dangereux dans sa conception militariste de la « sécurité », qui ne fait que couvrir la défense des intérêts géopolitiques et économiques du bloc capitaliste occidental dans toutes les parties du monde.

Tout ce processus va contribuer à aggraver l’ensemble des crises qui traversent la planète, avec en premier lieu l’urgence climatique et écosociale et le renforcement des tendances autoritaires du capitalisme néolibéral dans toutes ses variantes.

Quelles sont les conséquences de ce sommet pour l’État espagnol (qui a accueilli ce sommet) ?

Pour l’État espagnol, ce sommet a supposé une meilleure subordination aux intérêts étasuniens, confirmée par son engagement d’augmenter le budget militaire, l’élargissement de sa présence militaire sur la base de Rota (qui passe de 4 à 6 navires de guerre) et, surtout, une revalorisation pour l’Alliance de son rôle sur le flanc sud, en association étroite avec la dictature marocaine, comme nous avons pu le constater avec le massacre de Melilla. 

Dans ce cadre, le gouvernement a renforcé son alignement pro-­atlantiste en assumant en outre sans complexes la nécro-politique migratoire. Il n’est pas surprenant, dans ce contexte, que la présence au gouvernement de Unidas Podemos suscite un malaise croissant chez une partie non négligeable de ses militant·e·s. 

Quelle orientation, dans cette situation, pour la gauche radicale ?

Je pense que les défis principaux pour la gauche radicale consistent fondamentalement à savoir défendre un anti-impérialisme internationaliste, clairement opposé au bloc impérialiste occidental, mais aussi à l’impérialisme russe et à sa guerre injuste d’agression contre le peuple ukrainien. 

Celui-ci devrait obtenir tout l’appui possible à son droit légitime à la défense, armée et non armée. Cette position n’est pas incompatible avec une attitude critique face à des discours comme celui prononcé lors de ce sommet par le président ukrainien Zelensky. Elle exige d’autant plus la solidarité politique et matérielle avec les gauches ukrainienne et russe dans leur pari de projets alternatifs à ceux de leurs gouvernements respectifs. 

Tout cela devrait s’accompagner d’une conception alternative de « sécurité globale », multidimensionnelle et centrée principalement sur la défense de la vie et des biens publics et communs face au nouveau bras de fer néolibéral auquel nous assistons.

Propos recueillis par Juan Tortosa
Traduit du castillan par Hans-Peter Renk