Parti de la Gauche Européenne: point de vue d’un anticapitaliste

Parti de la Gauche Européenne: point de vue d’un anticapitaliste

Les 8 et 9 mai derniers, quinze partis de la mouvance des PCs, issus de onze pays, ont tenu une Conférence à Rome en vue de fonder le Parti de la Gauche Européenne (ELP-European Left Party)1. Refondation Communiste (PRC, Italie) coordonnait la réunion, à laquelle avaient été également conviées une vingtaine d’organisations progressistes, communistes et révolutionnaires n’appartenant pas à l’ELP ou à l’UE, dont nos camarades du Parti Suisse du Travail. La Conférence a adopté des Statuts et un Manifeste politique. L’ELP dispose déjà du nombre de parlementaires requis pour être reconnu par Bruxelles et recevoir un appui financier substantiel. Pour en savoir plus, nous nous sommes entretenus avec François Vercammen, qui participait à cette rencontre en tant que Coordinateur des Conférences de la gauche anticapitaliste européenne.

Que signifie la fondation du Parti de la gauche européenne (ELP) dans le paysage politique européen?

Elle reflète l’européanisation croissante de nos sociétés. La grande masse des gens constatent que l’UE influe de plus en plus sur leurs conditions de vie et de travail, même s’ils ne voient guère les moyens d’agir sur elle. Par le biais du Parlement européen, elle valorise aussi – notamment financièrement, la constitution de partis européens. Les verts, la social-démocratie et les divers fractions des partis bourgeois ont fondé ou sont en train de fonder de tels partis. Pour revenir à l’ELP, elle se situe à gauche des formations sociales-libérales (sociaux-démocrates et verts). Son centre de gravité est différent de celui de la gauche anticapitaliste, tout en présentant des convergences sur l’analyse de la situation, ainsi que sur un certain nombre de revendications fortes, ce qui devrait nous permettre d’agir ensemble. En même temps, les partis de l’ELP sont fortement attirés par une participation à des gouvernements de la gauche sociale-libérale, ce qui risque de les tirer sur un terrain plus consensuel.

Les documents adoptés à Rome précisent les orientations du parti. Que peux-tu en dire?

Le ton du Manifeste est plus radical que celui du Préambule des Statuts. Ces documents sont cependant loin d’être clairs sur des enjeux essentiels. On y lit que «l’internationalisation et la globalisation (…) résultent de décisions politiques», alors qu’elles renvoient au développement du marché mondial, à la base même du système capitaliste. Ils exigent un «monde qui ne soit pas une marchandise», un «autre monde de paix, de démocratie, de développement durable et de solidarité». Mais peut-on l’atteindre en changeant de politique, sans toucher au pouvoir économique et politique de la classe dominante et aux rapports économiques et sociaux fondamentaux? Une transformation sociale profonde ne peut se dispenser de mettre en cause la propriété privée des grands moyens de production et d’échange. L’appropriation collective/sociale/publique est incontournable: elle s’impose dès à présent dans notre rejet de la politique néolibérale. Ces textes ne font aucune référence à l’auto-émancipation des salarié-e-s, c’est-à-dire d’une classe; il n’est question que des citoyen-nes. Or, sans l’action de cette force sociale majoritaire, aucun changement «démocratique» n’est envisageable. Ainsi, «les crimes staliniens» sont dénoncés, sans déboucher sur une vision alternative du socialisme démocratique.

Quelles critiques l’ELP adresse-t-il à l’Union Européenne réellement existante et quelles alternatives dessine-t-il?

Le Manifeste ne lui ménage pas ses critiques: «Nous voulons construire un projet pour une autre Europe et donner un autre contenu à l’UE: autonome de l’hégémonie US, ouverte au Sud, alternative au modèle social et politique capitaliste, favorable à la protection de l’environnement et aux droits humains, y compris les droits sociaux et économiques. Nous nous prononçons pour les droits civiques de toutes celles et ceux qui vivent en Europe (…) Nous voulons une Europe libre des politiques antidémocratiques et néolibérales de l’OMC et du FMI, qui refuse l’OTAN, les bases militaires étrangères et tout modèle d’armée européenne qui ouvre la voie à une compétition militaire croissante et à la course aux armements dans le monde. Nous voulons une Europe de paix et de solidarité, débarrassée des armes nucléaires et de destruction massive, qui rejette la guerre comme moyen de résoudre les conflits internationaux». Suivent des propositions alternatives qui présentent de fortes convergences avec celles de la gauche anticapitaliste européenne. Voilà un terrain possible pour avancer dans les luttes et le débat.

Comment l’ELP aborde-t-il les institutions de l’UE?

Comment lutter «pour une transformation profonde» de la société sans mettre en cause les institutions de l’UE, mille fois plus anti-démocratiques et anti-sociales que celles des pays membres? Sur ce point, le Manifeste accouche d’une souris: «Depuis des décennies, l’Union Européenne a été construite par en haut, sans égard à la grande diversité de ses cultures et de ses langues – sans ses peuples et souvent contre eux». Il ne propose même pas de changer l’architecture des institutions existantes, bétonnée par le projet de Constitution! De celle-ci, il n’est tout simplement pas question… Il se contente de préconiser le renforcement des prérogatives des organes élus (Parlement européen et nationaux) et des comités représentatifs (comité économique et social, comité des régions) face au «directoire des Grandes Puissances». Il se revendique de «la défense des intérêts des travailleurs et de la démocratie, de la société européenne, avec ses organisations et ses institutions, parmi lesquels, le Parlement européen». Sur ce point, le discours ne tranche pas sur celui de la social-démocratie ou des verts. Faut-il y voir une peur d’entrer directement en conflit avec le projet politique le plus important des bourgeoisies européennes depuis la Deuxième guerre mondiale: l’Europe impérialiste unifiée et l’appareil d’Etat supranational qui en découle? Les choix politiques de l’ERP et de ses principaux partis nous le diront sous peu…

Entretien réalisé par Jean BATOU

  1. PRC (Italie), PRC (Saint-Marin); PDS (Allemagne); PCF (France – doit confirmer son adhésion par le vote de ses membres); Synaspismos (Coalition, Grèce); IU (Gauche unie, Espagne), dont EUiA (Gauche Unie et Alternative-Catalogne) et PCE; KPÖ (Autriche); SDS (République thèque); ESDTP (Estonie); Munkaspart (Hongrie); SAP (Roumanie); KSS (Slovaquie). L’ELP compte trois partis «observateurs»: AKEL (Chypre), PdCI (Italie) et La Gauche (Luxembourg).