Angles morts du confinement : pour un plan d’urgence de santé publique !

Communiqué de presse, 14 avril 2020

La situation actuelle de semi-confinement pour freiner la diffusion du coronavirus a des impacts très différents sur la population selon le statut socio-économique, l’origine, le genre, l’âge, le lieu d’habitation ou encore l’accès à internet de chacun·e… des inégalités qui se révèlent plus crûment que jamais et qui vont poser des problèmes de santé publique dont il faut impérativement tenir compte pour penser la sortie de crise.

Deux poids, deux mesures

Les mesures déployées par les autorités auront notamment révélé avant tout une criante inégalité de traitement. Déployant des moyens répressifs importants pour amender tout attroupement de plus de cinq personnes à l’extérieur (plus de 700 amendes d’ordre et contraventions dressées depuis le 17 mars à Genève), les travailleurs·euses de nombreux secteurs d’activité non-indispensables ont pourtant continué à être contraints de se rendre sur leur lieu de travail (ateliers, usines, open-spaces, etc.) où, trop souvent, les mesures sanitaires ne pouvaient pas du tout être respectées, comme l’ont dénoncé plusieurs syndicats. À croire que seuls les rassemblements qui ne permettaient pas à des patrons d’engranger des profits étaient interdits. C’est notamment pour contester ce « deux poids, deux mesures » que nous avons contribué à lancer un appel demandant l’arrêt immédiat de toute activité non-essentielle, afin de protéger les salarié·e·s et leur proches, et pour ralentir la propagation du virus.

Les angles morts du confinement 

Au-delà de cette revendication, nous devons également préparer l’après-crise, en pensant tout particulièrement aux personnes qui ont été vulnérabilisées par la situation de semi-confinement. En effet, si les mesures actuelles sont indispensables pour éviter un engorgement des hôpitaux et doivent absolument être respectées, elles génèrent aussi des effets secondaires qui ont été sans doute sous-estimés.

Les plus précaires en première ligne

Bien sûr, les inégalités sociales jouent à plein durant cette période et rendent ce semi-confinement particulièrement difficile à vivre pour les classes populaires, contraintes de passer l’essentiel de leur temps à plusieurs dans des appartements de petite taille, sans parler de toutes les personnes en situation de grande précarité (sans-abris, etc.). Ces vulnérabilités doivent absolument être prises en compte dans les plans publics pour « l’après » car on ne sortira pas tous égaux de cette période selon qu’on l’ait passée dans le jardin de sa villa ou entassés à 5 dans un 2 pièces.

La souffrance des aîné·e·s

Plus largement encore, la population qui en souffre le plus est paradoxalement la partie la plus importante de la population vulnérable que le confinement vise à protéger : les aîné·e·s. Qu’il s’agisse du maintien d’une activité physique minimale, de la préservation d’un lien social et familial, ou encore du découragement à aller consulter son médecin, l’injonction à « rester chez soi » n’est pas sans conséquences. Si la solidarité entre voisins et les démarches comme le Plan Solidarité 65+ de la Ville de Genève peuvent contribuer à pallier au problème, toutes celles et ceux qui travaillent avec les âgé·e·s fragiles, les personnes en situation de handicap, les vulnérables savent qu’un confinement trop long sans mesures d’accompagnement sérieuses qui prenne en compte ces vulnérabilités spécifiques aura un impact fort sur la santé physique et mentale de ces populations. Nous sommes donc dans un véritable paradoxe de santé publique qu’il faut prendre très au sérieux pour éviter que l’après-confinement ne soit marqué par une vague massive de dégâts collatéraux en gériatrie et en psychiatrie.

À cet aspect s’ajoute la question de l’augmentation des violences physiques et psychologiques domestiques (femmes et enfants) mais aussi du regain de symptômes chez des personnes psychologiquement fragiles. Les jeunes en « rupture » ou LGBTIQ+ qui subissent des situations de grande tension familiale vivent aussi des jours difficiles. Sans parler des enfants pour lesquels les inégalités scolaires se creusent encore à cause de la fracture numérique et des conditions très variables de travail à domicile selon les possibilités d’encadrement (taille de l’appartement en rapport au nombre d’occupants, télétravail du/des parents, langue parlée par les parents, etc.).

Ajoutons encore que les femmes, en plus de la surcharge en termes de travail de care pour toutes celles avec des enfants ou des personnes à charge sont celles qui sont les plus nombreuses dans les secteurs les plus mis sous pression par la pandémie : personnel de vente alimentaire, soins, nettoyage, etc. Elles doivent donc également bénéficier de mesures spécifiques pour compenser le « surtravail » qu’elles auront effectué pendant cette période.

Pour un véritable plan de santé publique collatéral de sortie de confinement

Il est évident que cette période de semi-confinement va laisser des traces au sein de la population. Un véritable plan parallèle de santé publique doit donc être mis en place pour anticiper et accompagner la sortie du semi-confinement et viser en particulier les catégories de population les plus vulnérabilisées : aîné·e·s, classes populaires, femmes, proches-aidants, etc.

Ce plan d’urgence de santé publique doit assurer une prise en charge gratuite des besoins spécifiques pour toute la population :

  • Renforcer massivement l’aide et les soins à domicile avec une attention toute particulière sur la remobilisation physique et la reconstitution du lien social (intervention notamment de physiothérapeutes et ergothérapeutes, tant à domicile que pour des sorties accompagnées avec de personnes affectées dans leur mobilité à la suite du confinement)
  • Un accompagnement à domicile par les sages-femmes des femmes récemment accouchées, pour éviter un pic de dépression post-partum
  • Une prise en charge sans délai des personnes avec des fragilités psychiatriques
  • La création d’un dispositif de soutien scolaire renforcé pour les enfants et adolescents pour éviter toute aggravation du phénomène de « décrochage scolaire » et ne laisser personne sur le bord du chemin

Dans l’attente de la sortie du demi-confinement, les autorités doivent mettre en place :

  • Un plan spécifique d’intervention à l’endroit des personnes nécessitant des soins en multipliant les prises de contact individuelles, voire en se rendant à leur domicile ou en les accompagnant chez leur médecin (ou en les incitant à le faire), dans le respect des normes sanitaires
  • Une diffusion large par l’affichage public dans la rue (et la diffusion de messages sur les radios et télévision de service public) des numéros d’aide pour les victimes de violences domestique et les jeunes en « rupture » familiale
  • Un plan d’urgence contre la fracture numérique en mettant à disposition gratuitement des ordinateurs, tablettes, smartphones et imprimante pour toute personne en faisant la demande avec assistance technique