États-Unis

Le virus de l’inégalité

Le coronavirus affecte tout le monde, mais il n’affecte pas tout le monde de la même manière. En fonction de l’origine raciale et de la situation économique, il existe des inégalités sanitaires scandaleuses.

Distribution alimentaire, Caroline du Sud, 24 avril 2020
Distribution alimentaire en Caroline du Sud, 24 avril 2020

Les dernières semaines ont démontré clairement la terrifiante fragilité, fragmentation et insuffisance de l’État-social états-unien. Le cœur de l’inégalité de notre système de santé réside dans le fait que certain·e·s soient assuré·e·s et d’autres non. Cette situation implique que ceux et celles qui sont les plus susceptibles d’être contaminées sont aussi ceux et celles qui ont le moins de chance de pouvoir recevoir les soins dont ils·elles ont besoin. 

Quinze États, dont neuf au sud des États-Unis, n’ont toujours pas développé Medicaid (système d’assurance maladie étatique destinée aux personnes précaires qui ne bénéficient pas d’assurances privées, ndlr). Alors que le taux national d’affiliation à l’assurance se situe autour des 10 pour cent, la plupart des personnes ne bénéficiant pas d’assurance sont des adultes à revenu modeste, dont la moitié sont des travailleurs·euses de couleur dans les États n’ayant pas développé Medicaid (tableau ➊). En d’autres mots, c’est précisément ceux et celles qui sont le plus durement touchées par la crise causée par le coronavirus qui manquent d’accès sûr aux soins. 

Personnes sans assurance selon ethnicité, USA

➊ Pourcentage de personnes sans assurance selon ethnicité, 2018. Source: Kaiser Family Foundation
 

Graphique des Nouvelles demandes hebdomadaires d’allocations chômage, USA, 1967–2020


➋ Nouvelles demandes hebdomadaires d’allocations chômage, 1967–2020, en milliers. Source: Department of Labor

Même si les États sans Medicaid représentent les cas les plus aigus, ces problématiques ne concernent en aucun cas uniquement le sud du pays. Et l’inégalité, tout simplement, nourrit la vulnérabilité. La santé d’un individu n’est pas seulement dépendante de l’accès aux soins, elle résulte d’un large spectre de déterminants sociaux, tels que la nourriture saine, de l’eau propre, des loisirs, des quartiers fonctionnels et des rues sûres. Les travailleurs·euses à faible revenu ont bien plus de chance de souffrir d’affections antérieures, telles que les maladies respiratoires, qui amplifient le risque de toute crise sanitaire publique.

L’école de l’inégalité

La fermeture des services publics de base – en particulier les écoles – menace également de renforcer les inégalités.

Malgré leurs insuffisances, les écoles publiques sont d’une importance décisive pour les enfants et les familles des classes ouvrières. Elles n’apportent pas seulement des opportunités d’éducation, mais aussi un soutien social essentiel : des programmes pré et post scolaires, des cliniques basées dans des écoles, des services de soutien psychologique et émotionnel, et une source sûr de nourriture. En effet, lorsque les établissements scolaires commencèrent à fermer, la première priorité dans de nombreux districts n’était pas de maintenir la continuité pédagogique mais de maintenir un accès aux repas fournis par les cantines scolaires.

Les précaires en première ligne

Les pertes d’emploi sont, elles, vertigineuses. D’ici l’été, elles sont estimées à 14 millions au niveau national. Elles vont faire passer le taux de chômage bien en dessus de celui connu durant la Grande Dépression. 

Les salarié·e·s travaillant dans le domaine des services endurent cette récession à bien des égards. Ils·elles ne peuvent pas travailler à domicile, un luxe dont profitent deux tiers des employé·e·s du quart le plus élevé des couches salariales, mais par moins d’un dixième du quart le moins élevé. Un tiers de tous les employé·e·s blancs peuvent travailler à domicile, mais cette option n’est possible que pour seulement un·e employé·e afro-américain·e sur cinq, et un·e latin·o·a sur six. Cela signifie que ces employé·e·s sont davantage exposé·e·s au chômage lorsque l’économie s’arrête – ainsi qu’à un risque élevé d’exposition au virus s’ils·elles travaillent encore. 

Pour faire face à cette crise avec autant d’efficacité que de justice, à court terme, nous avons besoin d’une action nationale courageuse et généreuse – soutenant la consommation, comblant les budgets des États, aidant les secteurs économiques indispensables… Nous avons besoin au minimum de quelque chose de l’ordre de New Deal, avec des investissements massifs dans les services publics à tous les niveaux.

Les mesures de secours et de reprise au milieu des années 1930 furent rapidement dépassées par des gains en termes d’émancipation – des droits de négociation collectif, des assurances sociales, une régulation financière solide, des impôts progressifs – qui garantirent la sécurité bien au-delà des horizons de la crise immédiate. Au même titre, les véritables mesures de notre réponse au Covid-19 concernent le long terme – qu’il s’agisse d’un accès universel et égalitaire aux soins, des congés parentaux et maladie payés, des programmes d’assurance sociale généreux et développés, et des services sociaux bien financés. 

Si le Covid-19 est un virus de l’inégalité, nous devons l’attaquer en tant que tel.

Colin Gordon
Article paru sur le site Jacobin le 7.4.2020, traduction et adaptation de notre rédaction.