Les profits avant la vie
Depuis l’arrivée du coronavirus en Suisse, les autorités fédérales répètent que l’ensemble des habitant·e·s du pays avance ensemble pour affronter cette crise. En réalité, le gouvernement marche main dans la main avec les grandes entreprises et les milieux financiers.
« Tout faire pour maintenir autant que possible un niveau d’activité suffisant » 1
Le 16 mars, à l’occasion d’une conférence de presse exceptionnelle, le Conseil fédéral annonce un certain nombre de mesures pour lutter contre la propagation du Covid-19 en Suisse. Les lieux de divertissement, les écoles et les commerces non alimentaires ferment leurs portes, alors que le secteur de la construction ou de l’industrie continuent de tourner. Un confinement à deux vitesses, qui incite quotidiennement les un·e·s à rester chez eux·elles, tout en contraignant les autres à se rendre au travail.
Dans les jours et les semaines qui suivent, des forces politiques, syndicales et associatives multiplient les interpellations aux autorités fédérales pour exiger la fermeture des secteurs non essentiels. Et pour cause : des travailleurs·euses des secteurs concernés dénoncent des conditions sanitaires insuffisantes. Malgré cet appel quotidien, les autorités fédérales font la sourde oreille.
Dans les domaines où le chômage technique s’applique, les travailleurs·euses ne touchent que 80 % de leur salaire habituel, parfois même moins. Celles et ceux avec des contrats de travail précaires, qui ne leur permettent pas de bénéficier des indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT), voient leur source de revenu disparaitre du jour au lendemain. Les personnes sans domicile fixe, les travailleuses du sexe, les personnes exilées sont totalement ignorées par les autorités.
Dans le même temps, le Conseil fédéral s’empresse de débloquer des milliards pour les grandes entreprises. Des entreprises non seulement actives dans des secteurs de la production responsable de la destruction de notre planète, mais qui ont systématiquement profités des réformes fiscales de ces dernières années (RIE3, RFFA). Ces financements ne sont pas assortis d’une interdiction de licenciements, ni de versement des dividendes pour les actionnaires.
Le 16 avril, Alain Berset annonce un assouplissement progressif des mesures déployées un mois plus tôt. Les premiers commerces et les services à la personne pourront rouvrir dès le 27 avril, les écoles dès le 11 mai. La Suisse ne dispose pourtant toujours pas de matériel médical suffisant pour garantir la protection des salarié·e·s. La production et la distribution de masques et de gants ne font pas l’objet d’une réelle planification. Le 17 avril, il déclare que rien ne permet de garantir qu’il ne s’agit pas d’un faux départ (dans La Matinale de la RTS). Les autorités prennent donc le risque de voir la courbe épidémique s’enflammer à nouveau.
Un système de santé public essentiel et méprisé
Depuis le début de la pandémie, le personnel soignant reçoit des applaudissements de la part de l’ensemble de la population, pour le remercier pour son travail exemplaire qui sauve tous les jours de nombreuses vies. Pourtant, au lieu de renforcer massivement les moyens humains et financiers alloués à ce secteur essentiel, le Conseil fédéral a préféré supprimer l’application de la loi sur le travail dans les hôpitaux, poussant le personnel soignant à travailler plus de 60 heures par semaine dans des conditions qui mettent en danger sa santé. Il a également enterré un projet de financement d’urgence de 98 millions pour les structures d’accueil de jour. Ces décisions s’inscrivent dans la lignée des politiques néolibérales d’austérité menées contre le système public suisse depuis de nombreuses années. La santé et les soins coûtent trop cher, et rapportent trop peu.
À plus large échelle, elles démontrent le manque de considération des autorités pour les professions liées à la reproduction sociale, au maintien et à l’amélioration de la vie.
Nous ne paierons pas cette crise
Si les intérêts du Conseil fédéral, d’Economiesuisse et du Centre patronal sont clairs, les nôtres le sont aussi. Ils nous répètent que les temps à venir seront durs et que, pour garantir un retour à la normale, il nous faudra tou·te·s faire des efforts.
Alors certes, le déconfinement est inévitable et même urgent, pour de nombreuses personnes vulnérables qui sont coupées d’accès aux soins, au lien social, à un revenu. Mais nous ne voulons pas d’un retour à la normale, et nous ne paierons pas pour leur crise. Nous devons exiger collectivement la garantie des salaires et des revenus pour tou·te·s pour la durée de la crise, l’interdiction de licenciements pour les entreprises qui bénéficient d’une aide publique, le renforcement massif des services publics de la santé, la mise sous contrôle public du secteur sanitaire privé et une revalorisation immédiate des professions liées au soin. Nous devons nous organiser et lutter sur nos lieux de travail, dans nos foyers, et bientôt à nouveau dans la rue, pour refuser cette société capitaliste mortifère qui fait passer les profits avant la vie.
Rosie Moser
1 Déclaration de Guy Parmelin lors de la conférence de presse du 20 avril 2020