Encore des renvois de la honte
Une mobilisation large d’ami·e·s de Tahir et de Solomon a dénoncé leur renvoi vers l’Ethiopie par vol spécial Frontex le 27 janvier dernier. Celui-ci a été rendu possible grâce à la complicité du Conseil d‘État genevois et des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG).
Une forte mobilisation citoyenne s’est relayée nuit et jour du 25 au 27 janvier 2021 devant la prison de Frambois à Genève pour montrer son soutien à Tahir et Solomon et pour essayer d’éviter l’exécution du renvoi. Leur parcours révèle les graves atteintes aux droits des personnes dans l’exécution de ces renvois.
Tahir enfermé pendant cinq mois
Tahir avait fui l’Éthiopie et était arrivé à Genève en 2015. Mais comme celle de trop nombreux·euses de ses compatriotes, sa demande d’asile a été refusée. La durée de son séjour, son intégration, son large réseau d’ami·e·s n’ont pas été pris en compte. Berne a décidé qu’il devait partir. Le 7 septembre 2020, il a été arrêté manu militari dans le foyer de l’Hospice général où il survivait avec 10 francs par jour d’aide d’urgence, dans un état dépressif chronique. Il a été conduit en prison administrative.
Cinq mois plus tard, il s’y trouvait toujours. Une détention rendue encore plus pénible par la pandémie et deux périodes de quarantaine empêchant toute visite. Une pétition, signée par plus de 1000 personnes et demandant au Conseil d’État genevois de le soutenir a été déposée, celle-ci est restée sans réponse.
Tahir a très mal vécu cet enfermement qui avait comme seul but de le laisser jour et nuit à disposition des autorités en vue de son expulsion. Terrifié par la perspective de retourner en Éthiopie, où il risque la prison ou pire, il s’est mis en grève de la faim et de la soif.
Des urgences des HUG directement à l’avion
Mercredi 27 janvier vers midi, l’état de santé de Tahir s’est dégradé et il a été transféré aux urgences des HUG escorté par la police, entravé par des liens aux pieds – comme si, dans son état, il pouvait s’échapper. En fin de journée, Tahir est sorti de son lit aux urgences pour être emmené à l’aéroport.
Qu’un homme en grève de la faim et de la soif, se plaignant de douleurs importantes, ait pu être considéré comme apte à subir le choc d’un vol spécial est incompréhensible. Tout aussi inqualifiable, la connivence entre les HUG et la police au point que cette dernière puisse sortir une personne des urgences pour organiser un renvoi ! Enfin, il est peu probable que les médecins qui ont jugé Tahir apte à être renvoyé connaissaient les conditions violentes dans lesquelles se déroule un renvoi forcé. Rappelons que trois demandeurs d’asile sont déjà morts au cours de telles opérations.
Solomon, humilié et volé
La vie de Solomon, jusqu’à son renvoi en janvier 2021, était bien ancrée en Suisse. Il travaillait dans un atelier de mécanique vélo, était engagé dans le foyer dans lequel il vivait dans le canton de Vaud, apprécié de tout le monde. Déclaré débouté comme Tahir, il était contraint d’aller renouveler son papier d’aide d’urgence régulièrement. C’est à cette occasion que la police va l’arrête le 19 janvier 2021 au matin, dans les locaux du Service de la population. Menottes aux poignets, sans aucune explication. Ce n’est qu’en arrivant sur place qu’il apprend qu’il a été emmené à Genève, à la prison de Frambois.
Le 27 janvier, Solomon est transféré vers l’aéroport de Genève. Affaibli par sa grève de la faim, par les nombreuses humiliations subies de la part de la police, dont une fouille intégrale, il est contraint de se rendre sur le tarmac menotté, encadré par deux policiers.
Dans l’avion, ils étaient quatre Éthiopiens de Suisse, trois Éthiopiens d’Allemagne, et plus de 40 policiers. Pendant le trajet, un des policiers a tendu à Solomon une enveloppe en lui disant qu’il s’agissait des plus de 1000 francs d’aide au retour auquel il a droit. Solomon signe une sorte de reçu, un papier écrit à la main. Arrivé à Addis-Abeba, il ouvre l’enveloppe dans laquelle il n’y a plus qu’une centaine de francs.
Ce vol spécial était l’un des premiers à destination de l’Éthiopie, à la suite de la signature d’un accord entre la Suisse et le gouvernement éthiopien en 2018. Depuis, la situation dans le pays s’est largement dégradée. Plusieurs associations ont déjà réagi et demandé aux autorités fédérales de suspendre immédiatement les renvois forcés vers l’Éthiopie, en raison de l’instabilité politique qui prévaut dans ce pays et qui génère des situations de violence.
Stop aux renvois et aux centres de renvoi
Les vols spéciaux doivent être bannis définitivement des pratiques de la Suisse, soi-disant garante des droits humains. Complexe dévolu à la multiplication d’opérations de ce type, la construction en ce moment même d’un centre de renvoi et de nouvelles places de détention administrative au Grand-Saconnex à Genève doit cesser. Nous exigeons des autorités qu’elles mettent en œuvre une réelle politique de refuge et d’accueil, plutôt que d’exclusion et de renvois forcés !
Aude Martenot