France

Non aux mégabassines !

Le 25 mars dernier s’est déroulée une manifestation organisée par les Soulèvements de la Terre, le collectif Bassines Non Merci et la Confédération Paysanne pour protester contre les mégabassines en construction dans les Deux-Sèvres, en France. Deux cents blessé·e·x·s, deux personnes entre la vie et la mort et de nombreuses violations des droits humains ont été recensées.

Un groupe de manifestants contre la mega-bassine de Sainte-Soline

Plus de 25 000 manifestant·e·x·s se sont rassemblé·e·x·s et ont formé trois cortèges pour se diriger près de la bassine de Sainte-Soline en début d’après-­midi. À l’approche de la zone, les gaz lacrymogènes, les grenades de désencerclement et les tirs de LBD ont accueilli les militant·e·x·s. Le dispositif policier était disproportionné, les mensonges de l’État qui ont suivi éhontés. 

Une répression féroce

Les médias grand public se sont quant à eux fait une joie d’opposer manifestant·e·x·s pacifistes et militant·e·x·s radicaux·les. Mille « éléments violents » à identifier, traquer, retrouver. Tout a été mis en œuvre pour que la criminalisation d’activistes écologistes et politiques puisse légitimement continuer. 

Un militant suisse a d’ailleurs été visé par des mesures anti-­terroristes de l’Etat français à cette occasion : interdiction de territoire, menace à la sécurité de l’État, centre de détention, expulsion ont résumé son séjour en France. Le rôle de la Suisse est encore flou. Le 28 mars, c’est le ministre de l’Intérieur français Gérald Darmanin qui s’est empressé d’annoncer sa volonté d’engager la dissolution des Soulèvements de la Terre, mouvement devenu trop critique, trop puissant, trop soutenu. 

Mais ce qu’il faut retenir de ce week-end-là, c’est la puissance indescriptible d’une coalition de réformistes, de révolutionnaires, de penseur·euse·x·s, d’artisan·ne·x·s, de politiques, de militant·e·x·s autonomes, de scientifiques, d’artistes, de jeunes, de vieux·eilles, de citadin·e·x·s et d’agriculteur·ice·x·s. C’est la solidarité immense entre toutes ces personnes qui n’a jamais été mentionnée dans les médias et qui était pourtant si visible pour quiconque a marché sur la terre de Sainte-­Soline ce jour-là. Vingt-cinq mille personnes pour crier que, selon le slogan populaire qui résonne du Chili au Mexique : « Ce n’est pas une sécheresse, c’est un pillage ! ».

Une mégabassine, c’est quoi ? 

Les mégabassines, ou retenues de substitution, sont des réservoirs d’eau, artificiels, plastifiés et imperméables. Ces réservoirs d’eau qui s’étendent sur plusieurs hectares (8 à 18) ont pour but de pomper l’eau des nappes phréatiques de surface en hiver, de la stocker et de l’utiliser en été pour irriguer les grandes cultures céréalières de l’agro-industrie présentes dans la région. 

Ces réservoirs de substitution ne vont par ailleurs être utilisés que par 6 % des agriculteur·ice·x·s. Les petites exploitations ne sont pas concernées et la grande majorité voit l’eau manquer, les puits s’assécher et ne pourront pas bénéficier de ces réservoirs. Cette inégalité de traitement est d’autant plus frappante que les bassines sont financées par de l’argent public à 60 %. 

Certain·e·x·s agriculteur·ice·x·s ne sont d’ailleurs pas fondamentalement contre ce projet de bassines, mais voudraient que cela soit décidé de manière collective, avec les habitant·e·x·s et les exploitant·e·x·s de la région. 

Sur un plan écologique, les bassines ont également été nettement critiquées : l’eau stockée perd de sa qualité au fur et à mesure des mois en développant des micro-­organismes, la quantité d’eau diminue car celle-ci s’évapore à hauteur de 20 % et aucune interdiction de prélever de l’eau en été n’accompagne ces constructions, ce qui revient donc à augmenter la quantité totale d’eau prélevée. 

Sur le plan économique, ces bassines ne seraient pas rentables sans un investissement public, surtout au regard de la situation actuelle qui ne permet pas de garantir que les bassines puissent être remplies en hiver en raison du manque d’eau provoquée par le réchauffement climatique. Elles entrainent également une spéculation sur le prix des terres qui participent à augmenter le foncier. 

Ces bassines, qui vont de pair avec une technologisation et une numérisation de l’agriculture, sont des solutions à court-terme qui essaient de sauver une agriculture industrielle dépendante des énergies fossiles, basée sur des monocultures intensives nécessitant un apport important de produits phytosanitaires et d’eau. 

Actuellement, c’est plus de 100 bassines de ce type qui existent déjà en France. Le collectif Bassines Non Merci, aux côtés d’autres collectifs et organisations, organise depuis plus de six ans des conférences, des recours en justice, des rassemblements et des actions de masse et reste déterminé à rendre compte de l’aberration de ces bassines. C’est grâce à leur travail que le tribunal de Poitiers a par exemple déclaré 9 des 16 bassines prévues non conformes, à la suite de recours juridiques.

Ironiquement, la répression que l’État français a mise en place ce jour-là a coûté cinq millions d’euros, soit deux à trois millions de plus que le prix d’une bassine.

Alice Dubois    Agathe Moreau