17 juin à Neuchâtel nous voterons également sur l’éligibilité

17 juin
à Neuchâtel nous voterons également sur l’éligibilité

Nous savions déjà que l’initiative «pas de
démocratie au rabais», qui demande que tous les
électrices et électeurs soient éligibles comme
membres des autorités cantonales seraient soumise au vote du
peuple le 17 juin. Pour rappel, les immigré-e-s porteurs
d’un permis C ont le droit de vote dans le canton de
Neuchâtel au niveau communal depuis 1848, et au niveau cantonal
depuis l’an 2000 (adoption de la nouvelle Constitution
cantonale). Mais pour l’instant, ils-elles sont exclus de la
possibilité de se porter sur des listes pour des
élections. L’UDC et les libéraux, le nouveau bloc
réactionnaire du canton, ont fait aboutir le
référendum contre le projet de loi accordant
l’éligibilité des immigré-e-s au niveau
communal, récemment adopté par le Grand Conseil. Le 17
juin, nous voterons donc sur deux objets:

  • un projet de loi accordant l’éligibilité des immigré-es
  • au niveau communal
  • une initiative constitutionnelle demandant le droit d’éligibilité
  • au niveau communal et cantonal

Un comité s’est formé en faveur du double oui,
regroupant des associations d’immigré-e-s, les partis de
gauche et les syndicats. Il va mener campagne jusqu’au mois de
juin. La question de l’immigration taraude la
société neuchâteloise depuis la fondation de la
République en 1848. Elle fait l’objet
d’affrontements récurrents entre les tenants de
l’ouverture démocratique et les nationalistes
accrochés à leurs maigres privilèges. On pourrait
s’étonner de voir les libéraux, fers de lance de la
lutte contre l’élargissement des droits politiques, mais
ce serait ignorer, qu’en réalité, ils sont les
descendants directs des royalistes et qu’ils n’ont jamais
digéré la République.

Depuis les années 70, la question est revenue sur le tapis, et
devant le peuple, à plusieurs reprises. En ouverture de la
campagne, nous avons interviewé notre camarade Vitaliano
Menghini, président d’honneur de la
Fédération des Colonies libres italiennes en Suisse, qui
s’est engagé toute sa vie pour la défense des
immigré-e-s et du monde du travail et pour
l’égalité politique entre Suisses et
Immigrés.

Dans les années 1950-1960, les immigrés italiens sont
arrivés en nombre en Suisse. Comment s’est passée
leur intégration, comment en sont-ils venus à poser la
question des droits politiques?

L’émigration italienne de ces années-là
était très marquée, culturellement et
politiquement, par les idées de gauche; sa
référence était le Parti communiste italien et les
syndicats italiens. L’immigration était vraiment
vécue comme conjoncturelle, comme un phénomène qui
n’allait pas durer: on retournerait bientôt dans son pays.
Le film «Le train rouge» de Peter Amman, de 1972, relate
très bien cette époque, où des dizaines de
milliers d’Italiens retournaient voter en Italie,
encouragés par l’appel des communistes italiens
«Tornare per votare – Votare per tornare» (retournez
pour voter – votez pour retourner, c’est-à-dire
votez communiste). A partir des années 70, les
émigré-e-s et leurs organisations ont compris
qu’ils faisaient désormais partie structurellement de la
Suisse et qu’il était nécessaire de
s’intéresser à la politique helvétique. Pour
se développer, la Suisse avait besoin de l’immigration.

Comment cela s’est-il passé dans le canton de Neuchâtel?

Dans les années 70, la Colonie Libre Italienne de
Neuchâtel a lancé une pétition pour revendiquer le
droit de vote et d’éligibilité au niveau communal
et cantonal. Plus de 10 000 signatures de personnes de toutes
nationalités ont été rassemblées. Cette
pétition fut bien reçue des autorités. Le Grand
Conseil l’adopta, grâce notamment à l’appui du
constitutionaliste libéral Jean-François Aubert, de
Pierre Aubert, socialiste, qui allait devenir Conseiller
Fédéral, et de Raymond Spira, socialiste, qui deviendra
juge du Tribunal Fédéral des Assurances. Bien sûr
que ces nouveaux droits nécessitaient une modification de la
constitution, donc un vote du peuple. La déferlante des
initiatives xénophobes de ces années-là a
finalement bloqué toute ouverture par rapport à une
politique d’intégration et la motion acceptée par
le Grand Conseil ne fut jamais soumise en votation. En 1988, un projet
de loi accordant le droit d’éligibilité dans les
Conseils Généraux (législatifs communaux) fut
adopté par le Grand Conseil, mais suite à un
référendum de l’Action Nationale, soutenu en
sous-main par certains élus bourgeois, la loi fut refusée
en votation populaire.

Venons-en à l’initiative cantonale «Pas de démocratie au rabais»

Dans les années 90, solidaritéS s’est
constitué sur la base de revendications communes de militant-e-s
de la gauche suisse et d’une partie de l’immigration, Cette
expérience a eu un poids politique déterminant en ville
de Neuchâtel, puisqu’elle a permis le renforcement de la
participation politique des immigré-e-s qui, jusque-là,
se sentaient peu représentés. En ville de
Neuchâtel, solidaritéS a permis le renversement de la
majorité de droite qui était au pouvoir depuis un
siècle et demi. C’est de là qu’est issue
l’idée de relancer une initiative.

Quel fut le soutien?

Un comité large se forma pour lancer l’initiative, le PS
s’engagea, et en tout une quarantaine d’organisations
signèrent le texte. Mais c’est surtout l’engagement
de citoyen-nes de toutes nationalités ( grâce à la
nouvelle constitution ils avaient le droit de signer le
référendum) qui a permis l’aboutissement de
l’initiative.

Que réponds-tu à l’argument des opposants qui
prétendent que pour vouloir participer à la vie
politique, un-e immigré-e doit se naturaliser?

Aujourd’hui s’accrocher à la nationalité est
un anachronisme. A l’heure de la mondialisation, les
multinationales font et défont des pans entiers de
l’économie des pays sans tenir compte des
intérêts nationaux. Pour ce capitalisme sauvage, tous les
salarié-e-s, qu’ils soient suisses ou immigré-e-s,
sont des étrangers. Il faut élargir les institutions
démocratiques et ensemble, autochtones et immigré-e-s,
construire un futur commun où chacun-e aura le même poids
politique.

* Entretien réalisé par

Henri Vuilliomenet