Au-delà du mobbing, le harcèlement sexuel comme outil de maintien de la ségrégation professionnelle

Au-delà du mobbing, le harcèlement sexuel comme outil de maintien de la ségrégation professionnelle

Le harcèlement sexuel a été analysé
dès les années septante, notamment par la juriste
féministe C. Mackinnon, comme un moyen utilisé par les
hommes pour subordonner sexuellement les femmes sur leur lieu de
travail. La doctrine juridique féministe états-unienne a
développé, depuis la fin des années nonante,
diverses nouvelles théories permettant d’expliquer la
nature discriminatoire du harcèlement sexuel. Ces
théories mettent en avant la nécessité
d’inclure dans la définition du harcèlement sexuel
toutes les pratiques, sexualisées ou non, qui renforcent les
stéréotypes de genre sur le lieu de travail.

En Suisse, l’évolution doctrinale et jurisprudentielle
consistant à inclure dans la notion de harcèlement sexuel
des comportements sexistes, même sans lien avec la
sexualité, semble être freinée, depuis quelques
années, par l’attention croissante accordée
à la problématique du harcèlement psychologique,
interdit en droit suisse au titre d’atteinte à la
personnalité. Les pratiques de dévalorisation des
travailleuses qui ne revêtent pas une forme strictement sexuelle
ont tendance à être qualifiées uniquement de
«mobbing», le contexte de ségrégation
professionnelle dans lequel s’inscrivent les dites pratiques
n’étant pas pris en considération.

Pareille évolution a non seulement pour effet de priver les
travailleuses concernées de la protection plus étendue
offerte par la loi sur l’égalité, mais signifie en
outre que le harcèlement sexuel peut continuer à
opérer comme un mécanisme invisible de maintien des
formes de travail les plus valorisées dans le champ de la
compétence masculine. (…)

Karine Lempen*

*Docteure en droit et diplômée en Etudes genre.
Chargée de cours suppléante en Etudes genre à
l’Université de Genève.