Voyage au cœur du WEF

Voyage au cœur du WEF


C’est loin. Il y fait froid. La police vous défend d’y aller… Mais avant de décider ce que vous ferez samedi 27 janvier, lisez «La Montagne des Vanités»*, de Lewis Lapham, un petit livre très remontant


Julie de Dardel


En une centaine de pages, le journaliste américain dépeint avec un humour décapant et une ironie mordante le cynisme et l’impudence du grand gala annuel du capitalisme néolibéral, auquel il a participé plusieurs fois.


«Tous les ans, vers la fin janvier, ils quittent les basses terres de notre planète pour les cimes baignées d’optimisme de Forum économique mondial de Davos en Suisse. Et là, sur les hauteurs de ce sommet qui a fournit à Thomas Mann le cadre de la Montagne magique, ils méditent sur les mystères de la création capitaliste». Ainsi s’ouvre le récit de celui qui, en 1998, s’est vu invité comme membre du «club des chefs de file des médias» au sommet des maîtres de monde autoproclamés. Ceux-ci sont répartis en trois catégories : «Quelque mille hommes d’affaires représentant des actifs industriels d’environ quatre mille milliards de dollars – soit une somme supérieure au budget global de tous les gouvernements membres des Nations Unis ; cinq cents hommes politiques ; cinq cents intellectuels connus ou d’avenir».


«Tous savaient bien que la libre entreprise était un autre nom de Dieu»


Lapham ne tarde pas à s’acclimater à l’atmosphère du centre des Congrès et à dégager les quelques thèmes obsessionnels des participants : «La contagion était toujours mauvaise, la transparence toujours bonne, à l’instar du dialogue et de la réduction du coût du travail (…). Le problème de la sécurité – sécurité des investissements privés, sécurité des gros marchés régionaux et des réseaux informatiques de communication, sécurité des administrations publiques, sécurité des citoyens, sécurité de la civilisation occidentale – revenait dans toutes les conversations». L’économie de marché, érigée au rang de loi divine, est vénérée par tous les fidèles : «Personne ne remettait en question les principes sacrés du laisser-faire capitaliste ni ne mettait en cause la divinisation des profits nets. Tous savaient bien que la libre entreprise était un autre nom de Dieu». Les global leaders émaillent néanmoins les questions économiques d’un «bon nombre de réflexions à dominante métaphysique» et témoignent d’un goût particulièrement prononcé pour les «contes moraux», au sujet desquels ils sont intarissables.


C’est ainsi que Li Lanquing, vice-premier ministre de la République populaire de Chine, après avoir exposé le plan de privatisation de 87 000 entreprises (entraînant le licenciement de 112 millions de travailleurs), explique: «Sur une des berges du fleuve se trouve l’économie planifiée traditionnelle; sur l’autre, l’économie de marché socialiste. La plupart des entreprises chinoises ont traversé le fleuve et se portent bien maintenant qu’elles se sont adaptées au milieu et aux règles de l’économie de marché… D’autres entreprises tentent encore d’atteindre l’autre berge d’une façon ou d’une autre en utilisant un bateau ou en construisant des ponts. Je pense que d’ici trois ans, la plupart d’entre elles auront réussi à effectuer la traversée. Dans l’intervalle, certaines auront peut-être péri, noyées au cours de ce qui est quand même une traversée difficile». Une parabole gratifiée par l’auditoire d’applaudissements nourris et émus…


Dans cette atmosphère enjouée, le financier George Soros, vénéré par tous pour son immense fortune, va jouer les trouble-fête. Evoquant «un pendule qui, se transformant en projectile destructeur ferait, sur sa folle trajectoire, chuter toutes les économies», il plaide en faveur d’une mondialisation plus con- trôlée. Un discours rébarbatif vite oublié grâce à l’allocution de «l’homme le plus riche de la chrétienté», Bill Gates, dont l’optimisme et l’allégresse remettent tout le monde sur le droit chemin du profit sans limite.


«Les hommes de Davos quittèrent leurs montagnes magique, emportant avec eux un catalogue de certitudes… totalement inadaptées»


Les participants quittent le forum pleins d’autosatisfaction. Une année riche en événements s’écoule avant que Lewis Lapham retrouve ce beau monde à Davos. On ne saurait mieux conclure que le journaliste : «Ils n’y avait pas un an de cela, ils n’avaient pas remarqué les signes annonciateurs d’une révolution en Indonésie, ni ceux de l’effondrement de la Russie ou ceux des essais thermo-nucléaires en Inde et au Pakistan, ; ils avaient prédit que le président Clinton serait mis en accusation et Saddam Hussein anéanti ; ils n’avaient pas compris que les marchés financiers du monde entier avaient été pris de panique à la fin du mois d’août (..).


Mais qu’est-ce que cela changeait? Ils étaient là, de nouveau, à Davos, sans qu’aucune atteinte n’ait été portée à leur vanité, à étudier avec la même assiduité et l’alcool de prune et les cartes routières ; leurs livres blancs, tout dorés et pleins d’abstractions fantaisistes, à l’abri de toute détérioration grâce à des sociétés dont les actifs s’élevaient à environ 4 trillons de dollars. (…) En janvier 1999, les réunions se succédèrent (…) puis les hommes de Davos quittèrent leur montagne magique, emportant avec eux un catalogue de certitudes qui allaient se révéler, comme en 1998, totalement inadaptées aux évènements de l’année qui s’ouvrait».


Qui résistera encore à l’envie de secouer un peu les arrogants apôtres du nouvel ordre mondial ? Rendez-vous le samedi 27 janvier, 13h30, Davosdorf


* Lewis Lapham, La Montagne des vanités, les secrets de Davos, éditions Maisonneuve & Larose, Paris, 2000