Votations, Europe, oui mais..


L’Europe, oui mais…


Faut-il oui ou non que le Conseil fédéral engage des négociations en vue de l’adhésion de la Suisse à l’Union Européenne ? *


SolidaritéS appelle à voter OUI le 4 mars. Mais notre OUI n’a rien à voir avec celui des Libéraux ou des Socialistes, qui s’identifient largement avec les choix économiques, sociaux et politiques de l’UE. Notre OUI à l’Europe se veut d’abord un NON au mythe trompeur de l’Alleingang helvétique, qui se fonde sur l’illusion du destin unique d’un peuple industrieux, respectueux de la paix sociale et de la concertation, à l’abri dans le réduit national de ses certitudes.


Cet Alleingang est en réalité un leurre, que défend aujourd’hui la majorité de la droite patronale en espérant ainsi conserver la position sans égale de la place industrielle et financière helvétique, partenaire privilégiée, à la fois, de l’UE et des Etats-Unis. Christoph Blocher n’est pas loin de cette position, lorsqu’il explique que
la Suisse «a des liens avec tous les pays de l’UE, parfois plus étroits que ceux entretenus entre eux par certains de ses membres», qu’elle «participe à la plupart des forums ou se discutent les enjeux transnationaux», et qu’elle se sent plus proche de l’Europe sur la politique agricole, mais plus proche des Etats-Unis sur le libre marché (Le Temps du 29 janvier).
Le secret de cet Alleingang réside dans l’intégration extrêmement poussée de la Suisse aux économies les plus puissantes de la planète. Dans ce sens, loin d’être un petit Etat introverti et provincial, le pays d’Heidi s’est déjà hissé aux avant-postes de la mondialisation économique. Ses banques, ses assurances, ses sociétés multinationales, sa diplomatie, ses global leaders, n’ont pas attendu Maastricht pour imposer la privatisation et la dérégulation de la production de biens et services, y compris des services publics. Aujourd’hui, par exemple, la Loi sur le marché de l’électricité (LME), votée par le parlement, va plus vite et plus loin que les mesures annoncées par l’Union Européenne. En même temps, les patrons de Schweiz AG n’ont pas attendu Schengen, pour combiner l’importation massive, la discrimination institutionnelle et le contrôle policier de la main-d’œuvre étrangère. Dire NON à l’Europe, cela reviendrait à plébisciter ce singulier cocktail de néo-conservatisme et de néolibéralisme dont la Suisse a le secret. D’une part, le culte de l’exceptionnalité helvétique continuerait à barrer l’horizon à toute perspective de convergence des mouvements syndicaux, sociaux et citoyens de ce pays avec leurs homologues européens pour résister à la régression sociale et formuler des alternatives d’ensemble. D’autre part, la compétition effrénée pour porter le maillot jaune de la compétitivité continuerait de justifier les mesures de dérégulation, de libéralisation et de démantèlement social les plus brutales. C’est donc pour nous une voie sans issue.


Il faut donc voter OUI à l’Europe le 4 mars, mais pas n’importe quel OUI. Notre OUI est indissolublement lié à un projet de résistance à la mondialisation néolibérale, à laquelle les politiques de la Suisse et de l’Union Européenne participent pleinement. Nous refusons de mesurer si les dirigeants de la Suisse vont plus vite ou plus lentement que ceux de l’UE dans la course au démontage social et à l’asphyxie de toute forme de souveraineté démocratique et populaire. Nous refusons de choisir entre la peste version Couchepin/Villiger ou le choléra version Schröder/Blair/Jospin. Nous voulons au contraire prendre notre place dans la construction d’un mouvement continental de résistance au capitalisme sauvage, en rupture avec les recettes de plus en plus identiques du libéralisme conservateur de Berne et du social-libéralisme de Bruxelles.


Dans ce sens, solidaritéS ne se reconnaît pas dans l’argumentation des partisans de l’initiative «Oui à l’Europe». Pourquoi? Parce que l’adhésion de la Suisse d’en-haut à l’Union Européenne est un processus déjà bien engagé et irréversible : prendra-t-elle la forme d’une série d’accords bilatéraux ou d’une entrée à part entière dans une Union de plus en plus à géométrie variable? Cela dépendra des conditions concrètes négociées par les parties. Nous pouvons leur faire confiance, cependant, pour que la solution choisie ne débouche sur aucune amélioration des droits sociaux de la majorité d’entre nous.


Ce qui nous intéresse, c’est l’adhésion de la Suisse d’en-bas à un mouvement de contestation social, féministe et écologiste de dimension européenne, dont les manifestations syndicales et citoyennes de décembre dernier contre le sommet de Nice ont montré le chemin.


Un NON à l’Europe marquerait un refus de prendre place dans cette bataille d’ensemble, isolant nos efforts de résistance et les réduisant de plus en plus à l’impuissance. A l’inverse, un OUI pourrait constituer un premier pas dans la bonne direction, à condition qu’il ne nourrisse aucune illusion sur la dynamique en cours du processus d’intégration européenne par le haut.
* Paru dans Le Courrier, cette prise de position signée Jean Batou a été approuvée en coordination le 12 février 2001