Bâtiment: les patrons  disent non à l’accord

Bâtiment: les patrons  disent non à l’accord

Dans le précédent
numéro de solidaritéS, nous nous étions entretenus
avec Alessandro Pelizzari, secrétaire syndical d’Unia
à Genève, à propos du projet d’accord
accepté par les négociateurs patronaux et syndicaux sur
le conflit du gros œuvre du bâtiment. Défendant
globalement le compromis obtenu, il notait cependant: «il est
loin d’être acquis que la SSE ratifie
l’accord». Entre-temps, les délégués
de la Société suisse des entrepreneurs (SSE) ont
rejeté ce protocole, dont nous avions pourtant souligné
toutes les limites du point de vue des travailleurs. En réponse,
l’assemblée des maçons d’Unia du 26 janvier a
adopté un plan d’action: grèves ponctuelles
jusqu’à la fin mars, première vague de
grèves jusqu’à fin avril, puis grève
nationale en mai. Pour nous, aujourd’hui, la priorité est
à la solidarité. Pourtant, il n’est pas
indifférent de mieux comprendre la signification d’une
telle confrontation, engagée par une large majorité des
délégués patronaux. Afin d’ouvrir le
débat, nous reproduisons ici l’analyse de nos camarades
tessinois du bimensuel Solidarietà.
1

L’ampleur du vote de l’assemblée des
délégués (90% de non) de la SSE ne permet pas
d’interpréter cette décision comme le
résultat de la «folie» de son président. Elle
est le signe de la détermination de cette association patronale
(et d’une partie importante de sa base) à continuer
à remettre en cause la politique contractuelle suivie au cours
de ces dernières années.

Ce que veut le patronat

Cela ne signifie pas que la majorité de la SSE ne veuille plus
que les rapports de travail soient réglés par un contrat
collectif. Cependant, pour elle, celui-ci doit être le moins
contraignant possible et garantir, par-dessus tout, la plus grande
flexibilité de l’horaire de travail, soit une
flexibilité quasi-totale.

Mais la décision de la SSE peut aussi être
interprétée d’une autre façon. Par exemple,
par la volonté de remettre en cause la dimension nationale de la
convention. Il est probable que cette nouvelle impasse – surtout
si les réponses syndicales à cette provocation sont
déterminées – nourrisse des dynamiques qui
privilégient (au sein du patronat, mais aussi des syndicats) des
logiques cantonales. Une tendance de ce genre aurait l’avantage,
pour la grande majorité des entreprises qui se concentrent sur
l’axe Berne-Zurich, de se tenir à l’écart des
secteurs syndicaux les plus «difficiles», ceux qui ont
représenté la force de frappe de la mobilisation
syndicale (Genève, le Tessin et les chantiers de la NLFA –
Nouvelle ligne ferroviaire à travers les Alpes). Il n’est
pas non plus irréaliste d’imaginer qu’une
stratégie patronale puisse consister à maintenir un
contrat national avec un contenu minimal, qui déléguerait
ensuite aux cantons la détermination
d’éléments importants, à commencer par les
salaires et leur augmentation.

Mais au-delà de ces stratégies possibles, il n’en
demeure pas moins que la décision patronale doit être
interprétée comme un coup porté à froid au
mouvement syndical, dans une période où celui-ci se
trouve, pour divers motifs, dans une position difficile pour
répliquer.

Reprendre l’initiative

Nous avions déjà souligné, au-delà du
jugement globalement positif que l’on pouvait porter sur la
conclusion de l’accord, que la stratégie syndicale
était défectueuse sur deux points. D’abord, elle
n’avait pas su profiter et mettre pleinement en valeur le
potentiel de mobilisation qui était en train de mûrir
à la fin octobre ou au début novembre. Trop vite surpris
par la proposition de médiation, les syndicats avaient
renoncé aux mobilisations prévues pour le mois de
novembre. Ces expériences auraient été
aujourd’hui très utiles. Ensuite, l’initiative a
été constamment abandonnée à la SSE.
C’est elle qui a dénoncé la convention collective,
qui a fixé le calendrier et fixé les thèmes de la
négociation, qui a demandé la médiation… Et
c’est elle aujourd’hui qui veut repartir sur une nouvelle
négociation…

Au cours de ces derniers mois, les directions syndicales ont
été constamment à la merci de l’initiative
patronale, parfois même victimes des extravagances du
président de la SSE, signe évident d’une faiblesse
stratégique et d’un manque de préparation.

Redonner la parole aux travailleurs

Ce qui a le plus surpris ces derniers jours (et ceci témoigne
aussi d’un manque de préparation des directions
syndicales), c’est l’absence totale d’initiative de
protestation (appelons-les ainsi pour utiliser une formule
générale) pour faire face à la provocation
patronale. Sans doute a-t-on lu des communiqués –
indignés –, des déclarations, etc., mais dans les
faits, aucune tentative de mettre les travailleurs et leur indignation,
certainement très forte, au-devant de la scène. Ceci,
dans un contexte où la position patronale est apparue comme une
incroyable volte-face et une provocation pour la majorité de
l’opinion publique. Et le syndicalisme suisse, si souvent
obsédé par la recherche de l’approbation de
l’opinion publique (beaucoup plus que par de celle des
travailleurs intéressés), a laissé échapper
une occasion en or de prendre des initiatives, même fortes, que
la «mythique» opinion publique aurait sans doute comprises
et justifiées.

Il est vrai que la période n’est sans doute pas des plus
favorables pour organiser des mobilisations. L’activité
n’a pas encore repris tout à fait dans divers cantons et
les entreprises travaillent souvent avec des effectifs réduits,
pour d’évidentes raisons climatiques. Mais tout ceci ne
peut justifier ce manque de réactions, qui auraient
sûrement pu être organisées.

Cela dit, il paraît maintenant nécessaire de fixer un
calendrier précis de mobilisation, de remettre à
l’ordre du jour et d’élargir les mobilisations qui
avaient été prévues pour novembre dernier, de
commencer tout de suite le travail sur les divers chantiers en vue de
ces échéances. Voilà l’unique réponse
que mérite le patronat.

Sophia Ferrari


1    Solidarietà, 31 janvier 2008. Notre traduction.