Avortement libre et gratuit : Battre les intégristes pour avancer

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Battre les intégristes pour avancer !


A l’issue d’un laborieux processus parlementaire, les Chambres fédérales ont accouché d’un projet de loi, qui ne répond pas aux exigences démocratiques élémentaires en la matière: une dépénalisation totale de l’avortement et le libre choix pour les femmes. Que faire? La FemCo a appellé à un débat national samedi 16 juin 2001 pour faire le point sur la situation en matière de droit à l’avortement et pour répondre à la question: quelle campagne mener aujourd’hui en la matière? Ce débat est bienvenu et nécessaire. Pour y contribuer utilement et le lancer parmis nous, solidaritéS a publié dans ses colonnes un texte récent de l’ASDAC1 (No 127 du 18 mai 2001) et a tenu une réunion élargie de sa coordination, afin de dégager une première prise de position propre. Il ne s’agissait pas d’anticiper les conclusions du débat de la FemCo, mais de tenter d’y apporter une contribution utile. L’article ci-contre, essaie modestement, d’aller dans ce sens…

Anita Cuénod et Pierre Vanek

Attendre du parlement helvétique, avec sa majorité de droite écrasante et le verrou particulièrement réactionnaire du Conseil des Etats, qu’il initie et porte à terme des projets de réformes progressistes et démocratiques est évidemment un leurre. Ceci, quelle que soit l’énergie déployée en matière de lobbying ou les bonnes intentions de telles ou tels parlementaires…


Une mauvaise loi


La loi votée le 23 mars s’inscrit dès le départ dans le cadre d’une révision du Code pénal suisse, ce qui est en soi critiquable. Elle vise à remplacer la loi existante, largement dépassée dans la pratique de la majorité des cantons, et à répondre à une opinion largement favorable à la «solution des délais» 2 adoptée, sous une forme ou sous une autre, dans la majorité des pays européens. Si la loi introduit en effet une «solution des délais», elle est cependant critiquable à plusieurs titres:



  • 1. Le «délai» que le Conseil national prévoyait de fixer à 14 semaines, a été raboté, sous pression du Conseil des Etats, et ramené à 12 semaines seulement.


  • 2. Les femmes qui veulent interrompre une grossesse non désirée dans le délai légal, devront «passer sous le joug» moral consistant à faire une «demande écrite» pour «invoquer qu’elle[s] se trouve[nt] en situation de détresse»3. Cette mesure, imposée pour concilier les Etats, est particulièrement perverse: il ne s’agit en effet pas, cette fois ci, de fixer dans la loi des «indications» objectives, mais «simplement» …de forcer les femmes à se plier à un exercice moral visant à les «sensibiliser» à la gravité de la décision qu’elles prennent. Cette mesure ne constitue pas une barrière «objective» à l’avortement, ce sur quoi insistent les milieux les plus réactionnaires, en la qualifiant d’«artifice», de «subterfuge» et de «coquille vide», comme le fait le Conseiller national du PDC, Jean Michel Cina, qui déplore que «cette notion de détresse n’a aucun caractère contraignant du point de vue légal et restera sans effet lors de la mise en vigueur du texte modifié. Elle ne constitue pas un obstacle supplémentaire pour la femme qui veut interrompre une grossesse.» 4 Jacques-Simon Eggly, conseiller national libéral genevois, banalisait également la clause en question – dans l’autre sens – en revendiquant cyniquement l’«artifice» dénoncé par son compère PDC et en exhortant les députés partisans de la solution des délais à «ne pas faire de blocage sur cette notion de détresse qui permettra de mieux faire passer le projet devant l’opinion publique.» 5Or, cette clause est particulièrement humiliante pour les femmes concernées, d’autant plus qu’elle est explicitement et purement idéologique. Elle leur impose, par le biais du code pénal, un exercice écrit de conformité, pour tenter de les empêcher d’assumer l’interruption de leur grossesse comme un droit fondamental et inaliénable, librement choisi, et pour ravaler de fait celle-ci à une dérogation exceptionnelle, dont elles bénéficieraient pour des motifs extraordinaires et honteux.De fait, cette clause constitue la reconduction par les Chambres de la situation profondément hypocrite ayant cours aujourd’hui, solution des délais de facto largement appliquée en parallèle au maintien d’une législation ultra-réactionnaire d’un autre âge. Cette clause est aux antipodes, tant de l’esprit, que de la lettre de la solution des délais, qu’elle est pourtant présentée comme devant aider à «faire passer»! Comme on l’a vu d’ailleurs, elle apporte en outre de l’eau au moulin des référendaires, intégristes de OUI à la Vie, qui ont beau jeu de la dénoncer comme une «coquille vide», … contenant qu’ils se proposent bien entendu de remplir de leur marchandise nauséabonde. Le radical tessinois Dick Marty, rapporteur de la commission des Etats, en rajoute à ce propos dans le paternalisme étatiste. A travers cette mesure, «le législateur doit donner un message éthique à la femme» et «il faut signifier à la femme qu’elle ne doit pas prendre une décision à la légère»6. Il cultive ainsi, la double image, d’une part, des femmes comme étant irresponsables et légères, bref essentiellement «mineures» et incapables de prendre elles-mêmes les décisions essentielles qui les concernent, et de l’autre, de l’avortement comme étant l’objet de la part de celles-ci de décisions impulsives et irréfléchies.


  • 3. La nouvelle loi contient, en outre, une disposition visant le corps médical.7 Celui-ci devra devenir le garant – sous peine d’emprisonnement ou d’amende – de la bonne exécution de la disposition du Code pénal que nous venons d’évoquer. L’aveu de détresse évoqué ci-dessus, le médecin devra l’«exiger». En outre, celui-ci devra, en sus de sa fonction de conseil et d’information «sur les risques médicaux de l’intervention» – contre signature! – remettre à la femme un dossier ad hoc fournissant des éléments pour qu’elle puisse, dans l’esprit du législateur, envisager de revenir sur sa décision d’interrompre sa grossesse et répondre autrement à sa «situation de détresse» en s’adressant aux «associations et organismes susceptibles de lui apporter une aide morale et matérielle» ou en envisageant «les possibilités de faire adopter l’enfant»…


  • 4. Enfin, la nouvelle loi prévoit la désignation par les Cantons des seuls «cabinets et établissements» qui seront autorisés à pratiquer les interruptions de grossesses admises par la loi.8 Cette disposition, inexistante pour toute autre intervention médicale, renforce l’idée pernicieuse que l’avortement serait une «médecine d’exception», alors que, sur le plan médical, il n’en est évidemment rien. En outre, elle contribuera sans aucun doute, par le pouvoir qu’elle donne aux cantons, à faire perdurer les inégalités inacceptables entre ceux-ci. De Genève à Uri – on s’en doute – la manière dont seront désignés ces établissements risque évidemment de ne pas être la même. Enfin, en limitant les établissements en question, on court le risque de désigner un certain nombre de cliniques ou de cabinets médicaux, ainsi que les femmes qui les fréquentent, à la vindicte et aux attaques des milieux intégristes les plus réactionnaires, dont on sait les ignominies qu’ils sont capables de commettre!

Ainsi, on peut le dire, le «compromis», à la sauce typiquement helvétique, constitué par cette loi présente de très nombreux aspects inacceptables, qui viennent limiter, et surtout contredire, l’«avancée» que nous étions nombreuses/eux à attendre et à espérer depuis des dizaines d’années déjà.
Situation politique difficile


Comme le formulait l’ASDAC, très justement, dans sa lettre aux parlementaires du 12 mars 2001:


«Le régime des délais consiste en cela: autoriser la femme à décider librement d’interrompre ou non une grossesse non désirée, dans un délai de x semaines fixé par le législateur. Toute autre condition transforme le régime du délai en une loi des indications et ne constitue de ce fait pas un progrès par rapport à la situation actuelle.»


L’ASDAC écrivait encore ceci:


«En 1977 déjà, en lançant le référendum nous disions que le projet d’indications sociales était un net recul par rapport à la pratique libérale de l’interruption de grossesse dans plusieurs cantons. Aujourd’hui, 24 ans plus tard la situation sera sur le fond absolument similaire si entre en vigueur une loi qui oblige les femmes à invoquer une situation de détresse…»
Mais en 1977, l’USPDA 9 et Femmes en lutte avaient lancé un référendum – comme des milieux catholiques de l’autre bord d’ailleurs 10 – ayant abouti en 1978 à un rejet de la loi en question par 69% des votant-e-s, moins d’une année après que l’initiative fédérale de l’USPDA «pour la solution des délais» ait failli obtenir la majorité des suffrages populaires (rejet à 51.7%). Ainsi, l’issue du vote pouvait largement être interprétée comme le reflet d’une volonté progressiste de n’accepter rien de moins que la solution des délais.


Or, aujourd’hui, la donne est malheureusement différente. Sans doute aurait-il fallu un débat national, bien avant celui du 16 juin, bien avant le vote final de la loi par les Chambres, posant explicitement la question du lancement d’un référendum progressiste, si la loi ne remplissait pas un certain nombre de conditions minimales.11 Or, à notre connaissance, cette question n’a jamais été posée. Elle l’a même été à l’envers, en effet le «Groupe de travail interruption de grossesse» composé d’un certain nombre d’associations féminines… ainsi que de l’USPDA et de l’ASDAC, a surtout «accompagné» les travaux parlementaires, en appelant de ses voeux la solution la meilleure possible, en se livrant à un lobbying intense, en saluant la loi votée «avec satisfaction» et même en … «engageant les opposants au régime des délais à revenir sur leur décision de lancer un référendum.» 12
NON … aux référendaires !


Ainsi, c’est le PDC, l’Association Suisse pour la Mère et l’Enfant (ASME), Oui à la Vie, et autres intégristes, qui occupent aujourd’hui, avec des moyens matériels considérables et un discours ultra-réactionnaire le champ politique du référendum.


Même si la loi ne matérialise pas réellement la «solution des délais», c’est bien contre celle-ci que ces gens là sont en campagne:


«NON à la solution des délais ! Infanticide comme solution?» portent en titre les listes référendaires éditées par l’ASME. «Signez le référendum contre la solution (finale ?) des délais» écrit OUI à la Vie. «Le PDC est un parti des valeurs avec fondement chrétien, il ne peut accepter la solution des délais votée par le parlement» écrivent les démo-chrétiens, mettant l’accent sur le fait que «La protection de la vie revêt une importance primordiale pour le parti des valeurs qu’est le PDC», etc. ad nauseam…


Ainsi, aujourd’hui, si la loi votée par les Chambres n’est pas vraiment la «solution des délais» pour laquelle nous militons depuis des années, le référendum – quant à lui – est bien réellement un référendum contre la solution des délais et la dépénalisation de l’avortement. En outre, le PDC a déposé, simultanément au lancement du référendum, une nouvelle initiative parlementaire qui prévoit de durcir la loi en disposant que l’avortement sera «non punissable durant les douze premières semaines» pour les seules femmes qui auront «préalablement consulté un centre de consultation reconnu par l’Etat» où elles seront «conseillées rigoureusement et de manière approfondie» et «accompagnées et soutenues dans cette décision difficile» 13 tout ceci pour «donner une chance à l’enfant à naître.» (sic !) 14


Donc, pour décider de quelle campagne nous devons mener, on ne peut se contenter d’une comparaison: situation actuelle versus situation issue de la nouvelle loi, en analysant les textes, voire les pratiques actuelles. On doit surtout comparer la situation actuelle avec celle – légalement identique, mais politiquement (et pratiquement) bien différente – qui ressortirait d’une victoire des référendaires intégristes. Ceux-ci pouvant légitimement revendiquer la paternité d’un NON populaire, avec une solution «raisonnable» dans leur manche (celle du PDC) et dans les coulisses, l’épouvantail «extrémiste» de l’initiative fédérale de l’ASME, interdisant purement et simplement tout avortement. Ceci dans un contexte où, des USA de Bush à l’Italie de Berlusconi, les militants anti-avortement relèvent la tête… Un tel NON serait de nature à enclencher une régression concrète dans les pratiques actuelles, y compris dans les cantons les plus «libéraux» qui interprètent la loi existante de manière à en contourner de fait très largement l’esprit répressif.

Concrètement, il nous semble impossible de «rattraper» le retard pris et de lancer au lendemain de l’aboutissement d’un référendum réactionnaire, une campagne pour un NON progressiste, pas plus qu’il nous semble opportun de prôner une abstention, aussi dynamique ou critique soit-elle!

Point de vue, actuel, de la coordination élargie de solidaritéS:15


  • Il faut mener une campagne pour que les référendaires PDC, ASME, OUI à la Vie, etc. soient battus de la manière la plus écrasante possible dans l’ensemble du pays. Il nous faudra mobiliser notamment celles/ceux qui, dans les cantons «libéraux» – comme chez nous à Genève – ont été «objectivement démobilisés par une pratique relativement progressiste.
  • Dans ce sens, on doit appeler à un OUI critique à la loi mise en votation, en se donnant les moyens de mener une campagne active de terrain, en constituant des comités populaires ad hoc composés de femmes et d’hommes.
  • Cette campagne pour un OUI critique doit être suffisamment massive et présente pour que l’interprétation du vote ne puisse être revendiquée comme le succès du «compromis helvétique» que serait la loi, entérinant ainsi ses aspects inacceptables.
  • Comme le PDC, notre camp doit avoir une proposition alternative à la loi votée par les Chambres, à déposer ou lancer, sous forme d’initiative parlementaire ou populaire au lendemain du vote, mais qui doit être mis en avant au cours de notre campagne anti-référendaire.
  • Nos critiques à la loi, d’un point de vue progressiste, ne doivent en aucun cas être escamotées au cours de la campagne sous des prétextes «unitaires» ou autres. Au contraire, les aspects réactionnaires de la loi doivent être mis en évidence, permettant de stigmatiser concrètement le caractère ultra-réactionnaire et intégriste des opposants de droite qui ne se satisfont pas de ceux-ci.



Référendum – dernière : Le PDC rame dans le vide


Le PDC suisse s’était fixé comme objectif d’atteindre, seul et par ses propres moyens, un quota de 65’000 signatures sur «son» référendum contre la nouvelle loi sur l’avortement. Cet objectif lui aurait permis de se poser comme un acteur politique à part entière, autonome par rapport aux milieux les plus «extrémistes» comme Oui à la Vie et l’Association Suisse pour la Mère et l’Enfant (ASME).Or le TagesAnzeiger du 7 juin révèle que le PDC n’a réussi, à quelques semaines de l’échéance du dépôt du référendum début juillet, qu’à engranger 15000 signatures seulement! Ainsi, ce parti apparaît-il clairement pour ce qu’il est dans cette affaire: le porteur d’eau des milieux les plus intégristes.Le conseiller national PDC Jean-Michel Cina explique péniblement cet échec programmé: la distance entre les sections et les décisions prises nationalement serait particulièrement importante chez eux, ils n’ont pas d’expérience du référendum travaillant habituellement dans le consensus, etc.Par contre, du côté de l’ASME on annonce un résultat propre de plus de 50 000 signatures et deux fois 20 000 signatures seraient récoltées, du côté de Oui à la Vie et de la «Société pour la protection de la vie à naître» animée par l’EVP (Parti évangélique populaire). Ainsi le référendum devrait-il aboutir massivement avec plus de 100 000 signatures, toujours selon le Tagesanzeiger.Le Matin-Dimanche du 16 juin rapporte quant à lui que la Vice-présidente du PDC serait d’avis qu’il faudrait «évaluer la situation à la fin de la récolte de signatures.» Ainsi, un retrait en douce du PDC de cette bataille référendaire, pour «limiter la casse» n’est pas exclu. Ce qui plomberait sérieusement leur «initiative parlementaire» déposée avec tambours et trompettes.
(pv)






  1. Association Suisse pour le Droit à l’Avortement et à la Contraception
  2. Sondage GfS du 6.9.99: 62% pour, 25% contre, 13% d’indécis
  3. Art. 119 al. 2 de la nouvelle loi
  4. Article du 3.4.01 sur le site www.pdc.ch
  5. Cité dans une dépêche ATS du 14.3.01
  6. Cité dans une lettre de l’ASDAC aux Conseillères et conseillers nationaux du 12.3.01
  7. Art. 120 al. 1
  8. Art. 119 al.4
  9. Union Suisse pour la décriminalisation de l’Avortement
  10. Une situation «à quelque part» comparable avec la loi militaire passant en votation le 10 juin, contestée tant par le GSsA à gauche que par les milieux blochériens de l’autre côté du spectre politique pour des raisons évidemment fort différentes…
  11. Cette critique est bien entendu à prendre aussi comme autocritique de solidaritéS qui ne s’est jamais un seul instant donné les moyens de poser cette question!
  12. Prise de position sur la décision du parlement du 23.3.01 disponible sur www.svss-uspda.ch.
  13. Extraits de la «Motivation» de l’initiative parlementaire du PDC disponible sur www.pdc.ch
  14. Citation de J.-M Cina
  15. Cette position sera évidemment examinée à l’issue du débat national organisé par la FemCo et sera soumise le cas échéant à une AG de notre mouvement