Elections neuchâteloises, éléments pour un bilan

Elections neuchâteloises


Eléments pour un bilan


A lire la presse durant la semaine suivant le 8 avril 2001, on aurait pu croire à une victoire écrasante de la droite neuchâteloise. Mais n’est pas forcément rouleau compresseur qui le veut… En effet, seule une différence de 0,7 % des suffrages (avec une participation de 44,1 %, soit 7 % de mieux qu’en 1997) permet à l’entente libérale-radicale de conserver la majorité au Conseil d’Etat et au Grand Conseil: 60 député-e-s de droite contre 55 à la gauche.

Hans-Peter Renk

A droite, malgré une campagne très centrée sur la «trop haute» fiscalité1, le parti libéral perd trois sièges; le parti radical se maintient en gagnant un siège dans le district de Boudry. A gauche, si le parti socialiste perd 2 sièges dans l’ensemble du canton, les formations regroupées au sein de l’intergroupe POP/ECO/SOL passent de 12 à 16 mandats (7 POP, 7 Ecologie & Liberté, 2 solidaritéS). Dans le district de Neuchâtel, sont élu/es au Grand Conseil pour représenter solidaritéS nos camarades Marianne Ebel (1198 suffrages dans le district, 906 en ville) et Daniel Perdrizat (1112 suffrages dans le district, 900 en ville).


L’élection au Conseil d’Etat faisait l’objet d’une triangulaire, comme en 1997: une liste de la droite, une liste du PSN (toutes deux avec 3 candidat/es) et 1 liste POP/ECO/SOL (avec 4 candidat/es). Cette année, la liste alternative POP/ECO/SOL a progressé. Ces résultats ne saurait se comprendre sans rappeler certaines données de la situation neuchâteloise, sociales et politiques, de ces dernières années.


Un canton en mouvement…


Soumis comme dans le reste de la Suisse aux difficultés – à ne pas sous-estimer – que connaissent la gauche et le mouvement ouvrier, le canton de Neuchâtel ne saurait pourtant être réduit à ce consensus légendaire qui fait les délices des autorités et des médias locales. En effet, depuis le milieu des années 90, on observe que:



  1. sur plusieurs questions sociales (assurance-chômage, loi sur le travail 1è et 2e version, loi sur le personnel fédéral, objectif budgétaire 2001, assurance-maternité), l’électorat neu-châ-telois vote à contre-courant des tendances observées dans d’autres parties de la Suisse2;
  2. des mobilisations limitées certes, mais importantes, ont eu lieu: si en 1995, seul le Syndicat des Services publics (SSP-VPOD) s’était opposé à l’abolition du statut de fonctionnaire, durant la seconde moitié de l’année 1999, l’introduction du salaire au mérite par le Conseil d’Etat in corpore a suscité un mouvement plus large, avec une meilleure unité de l’ensemble des associations du personnel.3 Bien qu’il n’ait pas été possible d’obtenir le retrait du décret scélérat de septembre 1999, la mobilisation des employé/es de la fonction publique a modifié quelque peu l’atmosphère sociale et suscité quelques contradictions au sein du Parti socialiste neuchâtelois.4 Rappelons d’autre part la mobilisation massive des étudiant/es de l’Université et des lycées en novembre 1998 contre l’augmentation des taxes universitaires5;
  3. depuis les années 1990, on constate une stagnation du PSN et une avancée des autres formations de la gauche: le POP (présent dans 4 des 6 districts), les Vert/Es (présents dans 5 districts sur 6) et solidaritéS (qui se présentait cette année à Neuchâtel et à Boudry);
  4. il n’existe pas actuellement d’espace pour une formation nationale-conservatrice, style «Union démocratique du Centre», capable de déporter l’axe politique à droite et de capitaliser certaines formes de mécontentement populaire.6

Pourquoi une liste POP/ECO/SOL au Conseil d’Etat?


Sur la base des résultats des élections fédérales d’octobre 1999, le comité électoral du PSN a proposé aux autres formations de la gauche (POP, solidaritéS) et à Ecologie et Liberté de présenter une liste unique de 3 candidat/es au Conseil d’Etat, et cela dès le 1er tour. Une telle formule aurait impliqué une campagne commune avec des candidat/es PSN au gouvernement, dont la conseillère d’Etat sortante Monika Dusong – or, sur plusieurs points, durant la dernière législature, notre mouvement et nos alliés, ainsi que du reste une partie de la base du PSN, ne se trouvaient pas du même côté de la barricade que les conseiller/es d’Etat membres du PSN.7


Si un changement de majorité politique – sans entretenir d’illusions sur les restrictions qu’implique le cadre cantonal – nous paraissait souhaitable, nous ne souhaitions pas renouveler l’expérience 1989-1993 (un gouvernement majoritairement «à gauche» – deux PS et un élu, Michel Von Wyss, «hors-partis» – avec un Grand Conseil de droite – dans un cadre d’un consensus maintenu entre grands partis gouvernementaux). Afin de se donner les meilleures chances pour faire basculer la majorité au Grand Conseil, objectif prioritaire pour débattre sérieusement d’une suite possible à l’exécutif, le POP, solidaritéS et Ecologie & Liberté ont finalement opté pour constituer une liste alternative au Conseil d’Etat avec: André Babey (candidat indépendant, ancien président du SSP-RN), Marianne Ebel (solidaritéS), Claudine Staehli-Wolf (POP) et François Bonnet (Ecologie & Liberté).


Pour les élections au Grand Conseil, a été conclu un apparentement généralisé des listes du PSN, des Vert/Es, du POP et de solidaritéS pour transcender le quorum anti-démocratique de 10 %.8


Résultats au Conseil d’Etat


Si l’on compare les résultats de cette année avec ceux de 1997 9 la constitution d’une liste alternative pour le Conseil d’Etat s’est révélée plus opérationnelle que d’aucuns ne se l’imaginaient…


En 1997, les trois candidats POP/ECO/SOL (Alain Bringolf, Jean-Carlo Pedroli et Henri Vuilliomenet) obtenaient respectivement 5764, 5735 et 3682 suffrages; les candidat/es PSN (Monika Dusong, Francis Matthey et Jean-Pierre Ghelfi) 16’658, 13’498 et 13’100 suffrages; les candidats de droite (Thierry Béguin, Pierre Hirsch et Jean Guinand) 22’120, 21’706 et 21’130 suffrages.


Cette année, les résultats de POP/ECO/SOL sont plus élevés: André Babey (8002 suffrages), Claudine Stähli-Wolf (7982 suffrages), Marianne Ebel (7730 suffrages) et François Bonnet (7147 suffrages). La liste PSN obtient 16’790 suffrages pour Bernard Soguel, 16’411 pour Monika Dusong et 15’900 pour Jacques-André Maire. Quant à la droite, elle obtient des scores légèrement plus élevés: Pierre Hirschy (25’157 suffrages), Thierry Béguin (24’134 suffrages) et Sylvie Perrinjaquet (22’443 suffrages).


Le constat est clair: la liste POP/ECO/SOL a produit un effet mobilisateur, elle a suscité l’intérêt des citoyen/nes, au contraire d’une situation «fermée» et politiquement discutable qu’aurait produit la formule 2+1. Elle a influé, comme nous le souhaitions, mais pas suffisamment, sur les résultats du Grand Conseil.


Résultats du Grand Conseil


L’un des évènements les plus significatifs de ces élections s’est produit dans les Montagnes neuchâteloises, vieux bastion du Parti socialiste, où ce dernier perd 3 mandats au profit d’Ecologie & Liberté (1 siège au Locle, 1 siège à la Chaux-de-Fonds) et du POP (1 siège au Locle). Si l’on y ajoute le doublement de la députation de solidaritéS dans le district de Neuchâtel et le maintien du siège POP dans ce même district, ainsi que les résultats somme toute honorables obtenus dans le district de Boudry (où solidaritéS et le POP se présentaient pour la première fois, mais n’ont pas obtenu de sièges), cela confirme une autre hypothèse de travail avancée lors de nos débats internes: la volonté d’une partie des citoyen/nes de voter à gauche, mais non pour le PSN.


Quelques chiffres à propos de solidaritéS, en comparant ce qui peut l’être et en tenant compte du fait qu’une partie de nos électeurs et électrices sont (encore) exclu/es du corps électoral cantonal:10



  1. Lors des élections communales de 1988, 1992, 1996 et 2000, solidaritéS obtenait respectivement 375, 533, 500 et 572 listes, en ville de Neuchâtel.
  2. Lors des élections cantonales de 1997, solidaritéS obtenait 445 listes dans le district de Neuchâtel – 4,16 % des bulletins – (dont 358 en ville de Neuchâtel). Cette année, nous obtenons 599 listes dans le district – 4,9 % – (dont 470 en ville de Neuchâtel).
  3. Dans le district de Boudry, nous n’y avions obtenu lors des élections fédérales de 1999 que 93 listes. Cette année, la liste solidaritéS recueille 215 listes (soit 2,13 % des bulletins).

En conclusion: ce résultat nous confère des responsabilités modestes, mais importantes. Il s’agit pour notre mouvement de continuer à marcher sur deux jambes: d’une part en défendant nos options fondamentales dans le cadre du Grand Conseil, d’autre part – et cela reste une priorité importante, comme le démontre l’actualité présente – en poursuivant nos activités militantes dans la vie syndicale et associative.


* solidaritéS/NE


  1. L’un des débats centraux de la prochaine législature portera sur une initiative de la Chambre neuchâteloise du commerce et de l’industrie en faveur d’une baisse d’impôt pour les personnes physiques et morales. Durant la campagne électorale, la nouvelle cheffe du Dicastère des finances, Sylvie Perrinjaquet (Parti libéral-PPN), s’est prononcée en faveur de ladite initiative…
  2. Lors de la votation fédérale sur «l’objectif budgétaire 2001», les districts du Locle et de la Chaux-de-Fonds ont rejeté cet objet, malgré un déplacement du conseiller fédéral Kaspar Villiger en personne au Club 44 à La Chaux-de-Fonds.
  3. solidaritéS, n° 20, décembre 1999: interview de Marianne Ebel, présidente du SSP-RN; et une note, «Que la République était belle sous l’Empire…»
  4. Les deux conseiller/es d’Etat PSN, Francis Matthey et Monika Dusong, ont collégialement soutenu leurs collègues de droite dans ce dossier.
  5. Il n’y avait jamais eu autant de monde au Château de Neuchâtel – entre 2000 et 3000 personnes, selon la police qui, cette fois-ci, avait enfin appris à compter… – depuis la révolution de septembre 1831, où 450 insurgés (commandés par le lieutenant Alphonse Bourquin) avaient tenté une première fois – 17 ans avant la révolution du 1er mars 1848 – d’instaurer la République.
  6. Dossier UDC – Genève: solidaritéS/GE, 2000; cf. Lang, Jo. – Blocher, l’UDC et le national-conservatisme suisse: continuités historiques et idéologiques. In: solidaritéS/VD, no 61 (octobre 2000) & 62 (novembre 2000) [NDLR: ces deux documents sont disponibles à notre adresse: solidaritéS/NE solidaritéS/GE ou solidaritéS/VD].
  7. Nos divergences avec la direction du PSN sur la collégialité gouvernementale ne sont réductibles ni aux conseiller/es d’Etat en fonction, ni à la législature passée; il s’agit d’une question récurrente et séculaire…
  8. La projection faite à partir des élections fédérales d’octobre 1999 – qui avaient donné la majorité à la gauche et aux écologistes, la circonscription électorale correspondant à l’ensemble du canton – sur la situation en 2001 sous-estimait l’impact pratique de la subdivision en 6 districts équivalent à 6 circonscriptions électorales (dont 3 – Le Locle, le Val-de-Travers et le Val-de-Ruz – ne détiennent chacun qu’une dizaine de mandats).
  9. Cf. Feuille officielle de la République et Canton de Neuchâtel, A. 167, No 29, 20 avril 2001.
  10. La majorité de droite du Grand Conseil a en effet refusé de faire entrer en vigueur, à l’occasion de ces élections, la nouvelle Constitution cantonale, dont un article élargit le corps électoral aux immigré/es titulaires du permis C – en attendant que de nouvelles évolutions, tant des mentalités que des institutions, permettent une plus grande ouverture à l’égard de tous ceux et toutes celles qui résident dans notre pays…